CHAPITRE 1
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Le concept de pouvoir financier public revêt une dimension particulièrement étendue et ne saurait se limiter à la seule compétence budgétaire ; il intègre aussi le pouvoir de consentir à l’impôt, de recourir à l’emprunt, de battre monnaie (pouvoir monétaire), d’intervenir financièrement dans l’économie… Pouvoir politique, pouvoir à dimension normative, tout pouvoir revêt en fait et sans doute d’abord une dimension institutionnelle et fonctionnelle. Il n’est pas et ne peut pas être étranger aux conceptions économiques, politiques, sociologiques, gestionnaires qui irriguent les sociétés, pas plus que l’action des autorités publiques en ce domaine ne peut se réaliser en ignorant le rôle des marchés financiers, des banques et autres institutions ou opérateurs financiers, ou de secteurs connexes ou encore les comportements des opérateurs économiques ; il existe aussi un pouvoir financier privé. La distinction entre finances publiques et finances privées est plus ténue qu’il n’y paraît de prime abord ; les deux peuvent d’ailleurs se compléter. De plus, les acteurs privés ne sont pas étrangers aux finances publiques, que cela concerne les prêts accordés aux collectivités publiques, la certification des comptes publics, la notation etc. En outre, il ne faut pas oublier que ce pouvoir s’inscrit dans une dimension historique que l’on néglige trop souvent et qui est un facteur important d’explication des différences quasi culturelles et sociétales constatées dans les rapports nationaux à l’économie et aux finances. Il est aussi marqué par une évolution, certes inégale selon les pays, reposant sur un contrôle démocratique progressif des ressources publiques et de leur emploi, la question démocratique revenant au cœur des analyses face aux interventions des grandes organisations internationales, de l’Union européenne, face à une forme de « technocratie financière » qui tendrait à imposer une lecture uniforme, standardisée de la gestion financière publique.
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Ce pouvoir n’est plus, désormais (et s’il ne l’a jamais été), circonscrit à la sphère nationale. Un phénomène relativement nouveau né au cours de la seconde moitié du
XXe siècle repose sur l’émergence de pouvoirs supranationaux qui non seulement encadrent les pouvoirs financiers nationaux mais peuvent être conduits à les « discipliner » tout en disposant à leur tour d’une compétence financière, et pour certains d’entre eux budgétaire, comme l’Union européenne.
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L’appropriation de ce pouvoir a donné lieu et donne lieu encore à une certaine concurrence entre autorités financières et en particulier entre l’Exécutif et le Législatif (
section 1), autorités financières dont les prérogatives ont été limitées par des autorités régionales (pour la France, européennes) et internationales qui disposent elles aussi d’un certain pouvoir financier (v.
chapitre 3 et
chapitre 4), les autorités financières publiques étant soumises ou se soumettant (à) ou encore imposant un ensemble de règles financières (
section 2) tout en s’appuyant sur un Trésor public (
section 3).
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Celles-ci relèvent de dimensions juridiques différenciées, constitutionnelles ou non. Longtemps, le Parlement fut l’autorité prépondérante (
§ 1) ; progressivement, l’Exécutif d’abord, d’autres entités publiques ensuite, ont marqué et marquent de leur emprise l’exercice du pouvoir financier, faisant apparaître une forme de pluralité au sein de ce pouvoir (
§ 2).
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Elle trouve son origine lointaine dans le
principe du consentement à l’impôt et est liée à l’histoire constitutionnelle. Ce principe remonte aux derniers siècles de la féodalité, époque à laquelle on considère que le monarque, qui devrait normalement se contenter des revenus de son domaine (« revenus ordinaires »), mais dont les besoins financiers deviennent de plus en plus pressants (essentiellement pour des raisons militaires), ne peut lever l’impôt, c’est-à-dire une ressource considérée comme un « revenu extraordinaire », sans le consentement d’instances représentant les populations ou catégories sociales intéressées.
Ce principe fondateur est affirmé en Angleterre dès le XIIIe siècle (« Magna carta », Grande charte de 1215) et il permet au Parlement britannique d’acquérir progressivement un droit de regard sur les dépenses et les comptes du roi, puis de faire prévaloir le principe de périodicité de ses autorisations. Réaffirmé en 1628 dans la Pétition des droits, il prévaut définitivement, après la guerre civile du milieu du XVIIe siècle, avec le Bill of Rights de 1689.
Les États-Unis d’Amérique se sont inscrits dans cette démarche, la Constitution de 1787 conférant le pouvoir financier, dont l’établissement de l’impôt, au seul Congrès.
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En France aussi, le principe du consentement à l’impôt par les états généraux (clergé, noblesse, tiers état) fut périodiquement affirmé à partir du
XIIe siècle, notamment sous Philippe le Bel puis pendant la guerre de Cent Ans (
XIVe-
XVe siècles). Mais le roi obtient, au milieu du
XVe siècle, le droit de lever l’impôt de manière permanente (quitte à déléguer ce droit à certains états ou à certaines villes, comme il le fait assez souvent), puis il réussit à se défaire de tout contrôle des états généraux (qui ne sont plus réunis de 1614 à 1789), seules subsistant certaines résistances, épisodiques, des « parlements » (instances judiciaires), essentiellement au
XVIIIe siècle.
Si l’on s’en tenait aux écrits de Jean Bodin, l’impôt n’est sans doute pas condamnable dans son principe mais est une solution quelque peu ultime, après bien d’autres, « car il n’y a rien de plus juste que ce qui est nécessaire », mais il conteste la pratique de la création de nouveaux impôts soulignant que « la plupart des imposteurs et inventeurs de nouveaux impôts y ont perdu la vie » (Les six livres de la République, chap. VI, 1583) ; autres temps, autres mœurs !
Paul Leroy-Beaulieu citait dans son Traité de la science des finances (Tome second, 1879, p. 4), Philippe de Commines lequel écrivait « Il n’y a ni roi, ni seigneur en terre, qui ait pouvoir, outre son domaine, de mettre un denier sur ses sujets sans octroi et consentement de ceux qui doivent payer, sinon par tyrannie et violence » en notant que cette maxime était finalement une constante de l’ancien régime tout en mettant en avant un lit de justice du premier président du Parlement de Paris qui énonçait en 1787 à l’adresse de Louis XVI : « Le principe constitutionnel de la monarchie française est que les impositions soient consenties par ceux qui doivent les supporter. Il n’est pas, sire, dans le cœur d’un roi bienfaisant d’altérer ce principe qui tient aux lois primitives de votre État, à celles qui assurent l’autorité et garantissent l’obéissance. Si votre Parlement a cru, depuis plusieurs années, pouvoir répondre à Votre Majesté de l’obéissance des peuples en matière d’impôts, il a souvent plus consulté son zèle que son pouvoir. » Par un décret du 17 juin 1789, l’Assemblée nationale devait proclamer l’illégalité de toutes les contributions perçues dans le royaume car n’ayant pas été consenties par la nation (tout en les maintenant provisoirement), une Déclaration des intentions du Roi du 23 juin 1789 posant le principe (en son art. 1°) du libre vote de l’impôt par les représentants de la nation, La Constitution de 1791 va consacrer la compétence exclusive du corps législatif s’agissant de l’établissement des contributions publiques. L’annualité de l’autorisation alors posée est cependant restée discutée ; ainsi, trois Constitutions françaises (art. 49 Constitution de 1814, art. 41 Constitution de 1830, art. 17 Constitution de 1848) ont pu confirmer ou consacrer le consentement à « l’impôt foncier » pour une année, tandis que les impositions indirectes pouvaient donner lieu à un consentement pour plusieurs années.
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Ce schéma constitutionnel faisant du Parlement l’acteur prépondérant en matière financière sera progressivement intégré par nombre d’États.
La Suède, dans sa Constitution de 1809, consacre ou rappelle « le droit immémorial du peuple suédois de s’imposer lui-même », droit qui est exercé par « les États exclusivement à une diète générale » (art. 57). Le Portugal, dans sa Constitution de 1822 verra les Cortès disposer « indépendamment de la sanction royale » du droit de fixer annuellement les impôts et les dépenses publiques. Il en ira de même pour le Brésil dans sa Constitution de 1824 au profit de l’Assemblée générale. Le nouvel État belge affirme, dans sa Constitution de 1831 qu’« aucun impôt au profit de l’État ne peut être établi que par une loi » adoptée par le pouvoir législatif ; ce n’est qu’au travers de leurs constitutions de 1848 que les Pays-Bas et le Luxembourg vont voir émerger non pas l’autorisation législative pour l’établissement d’un impôt mais une autorisation fruit du vote du Parlement (La Chambre des députés au Luxembourg, les États-Généraux au Pays-Bas) ; la Prusse elle-même, dans sa Constitution de 1850, consacrait une telle approche, au moins sur le plan textuel. Le Japon, dans sa mutation de la fin du XIXe siècle, a suivi la même voie au travers de sa Constitution de 1889 qui précisait que seule une loi adoptée par le Parlement impérial pourrait créer un impôt nouveau. La consécration parlementaire s’est largement répandue depuis, voire a été systématisée, sans pour autant que le modèle démocratique occidental soit à la base de ce processus (la Constitution chinoise actuelle prévoit aussi, en son article 62-10, que l’assemblée populaire nationale examine et approuve le budget de l’État et le rapport sur l’exercice budgétaire).
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La
Déclaration de 1789 (qui est actuellement de droit positif) réaffirme les principes, notamment en son article 14 qui dispose que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée » (v. également art. 13 et 15). Mais, pendant une trentaine d’années, sa portée reste relative. D’une part, le principe du consentement à la recette n’est pas toujours respecté, notamment sous le Premier Empire. D’autre part et malgré certaines dispositions des Constitutions de 1791 et 1795, la prérogative parlementaire s’exerce encore assez peu sur la dépense, qui est largement considérée comme « domaine réservé » de l’exécutif (ce dernier reçoit, en particulier, une autorisation générale de dépense) et qui, de toute façon, n’est pas encadrée par des règles suffisamment strictes.
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C’est donc sous
la Restauration et la monarchie de Juillet que s’affirment véritablement les prérogatives financières des chambres, à l’occasion du développement du régime parlementaire (et de la nécessité de remédier au désordre financier hérité des décennies précédentes).
Sous l’impulsion principale du baron Louis, du comte de Villèle, du marquis d’Audiffret, sont alors développées deux séries de principes.
Les premiers sont les principes budgétaires modernes (annualité, unité, universalité, spécialité : v. ss 78 s.) qui concernent la préparation et l’adoption du budget et permettent un renforcement du contrôle parlementaire en imposant, du moins en théorie, une présentation annuelle (la règle date de la fin du XVIIIe siècle), unique, complète et détaillée des projets de recette et de dépense ; en particulier, le Parlement obtient de voter les crédits, non plus globalement (système dit de l’abonnement), mais par ministère (1817), puis section de ministère (1827), puis chapitre (1831).
La seconde série de principes concerne, elle, l’exécution du budget : d’une part, les modalités d’exécution sont strictement précisées par l’élaboration des règles modernes de comptabilité publique (notamment le règlement général résultant de l’ordonnance du 31 mai 1838) ; d’autre part, le contrôle de l’exécution est renforcé, en particulier par l’attribution au Parlement, en 1817-1818, du pouvoir de voter la loi de règlement (des comptes de l’État).
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Le
Second Empire continue d’améliorer les techniques de la comptabilité publique, en édictant, notamment, un nouveau règlement général (Décr. 31 mai 1862) mais il remet en cause certains principes budgétaires, notamment la règle de spécialité : tout en restant présenté de manière détaillée, le budget n’est plus voté que par ministère (1852), puis section de ministère (1861), le vote par chapitre n’étant à nouveau prévu qu’en 1869. Or, durant cette même période, le juge rappelle l’autorité de la loi en matière fiscale ; ainsi, la Cour de cassation rappelait-elle qu’« aucun impôt, soit direct, soit indirect, ne peut être augmenté, diminué ou modifié qu’en vertu d’une loi » (12 mai 1862,
L’Adm. de l’enreg. c/ Stéphens) ; « les taxes postales, de même que les autres impôts, ne peuvent être augmentées, diminuées ou modifiées que par une loi formelle » (27 avr. 1863,
L’Adm. des postes c/ Lebigre-Duquesne)
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La
Troisième République marque l’épanouissement du contrôle parlementaire. En premier lieu, les chambres utilisent l’arme financière pour établir leur pouvoir ; fin 1877, Mac Mahon doit s’incliner devant les Républicains car la Chambre refuse de voter les recettes pour 1878 ; en 1896, le Sénat renverse le ministère Léon Bourgeois en « coupant les crédits » de l’expédition militaire à Madagascar ; en 1906, le Parlement abolit la censure en supprimant les crédits des censeurs, etc. En deuxième lieu, le Parlement s’immisce très largement dans la préparation du budget, tout particulièrement par la « toute puissante » Commission des finances de la Chambre qui, non seulement fait trembler les ministères, mais encore devient parfois le véritable auteur du projet de budget. En troisième lieu, le Parlement affine son contrôle lors de l’adoption et de l’exécution du budget : le vote par chapitre est réaffirmé et renforcé à partir de 1871 et, à défaut d’arriver à adopter un texte établissant un vote, encore plus détaillé, par article, le Parlement parvient souvent à faire prévaloir sa volonté article par article (théorie dite de la spécialité parlementaire). Les décennies précédant la Première Guerre mondiale marquent alors l’apogée des pouvoirs financiers du Parlement.
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Cette affirmation est d’abord caractérisée par la prépondérance actuelle des gouvernements (
A), prépondérance mais non exclusivité, d’autres autorités notamment « subordonnées », décentralisées, fédérées… occupant une place significative au sein des finances publiques (
B), ce qui amène à s’interroger sur l’existence ou l’émergence d’une forme de fédéralisme financier (
C).
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Celle-ci se manifeste en France à partir de la Première Guerre mondiale, qui marquera le début du déclin, d’abord masqué, puis ouvert, des pouvoirs financiers du Parlement. Elle provoque, à partir de l’entre-deux-guerres, un interventionnisme économique et social grandissant, qui engendre lui-même une amplification considérable (v. ss 212 s.) et un important désordre des finances publiques. Ces phénomènes finissent par entraîner des réformes successives des règles budgétaires (
1) et une nouvelle répartition des pouvoirs entre autorités constitutionnelles (
2), le ministre chargé des finances occupant une place particulière (
3).
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Elles s’expliquent par le fait que le cadre financier, conçu au
XIXe siècle pour des finances publiques limitées et un État libéral, est devenu inadapté aux finances, importantes et complexes, de l’État interventionniste du
XXe et du début du
XXIe siècle. Elles interviennent en deux étapes principales.
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La première, principalement opérée par une ordonnance organique du 2 janvier 1959, ultérieurement complétée par un décret du 29 décembre 1962 portant un nouveau règlement général de comptabilité publique, avait repris largement les dispositions d’un décret-loi organique du 19 juin 1956 (lui-même précédé de plusieurs tentatives) mais en en accentuant la sévérité et l’effectivité à la faveur des nouvelles règles posées par la Constitution de 1958 et de l’instauration d’un Conseil constitutionnel.
Il s’agit, d’une part, de prolonger (voire d’accentuer) dans le domaine financier les dispositions « orthopédiques » édictées dans la nouvelle Constitution pour rompre avec la toute-puissance (ou l’impuissance) du Parlement sous les deux Républiques précédentes et d’accorder de solides prérogatives à l’exécutif, notamment au ministère des Finances (principal auteur de la réforme).
Ceci s’est traduit notamment par la limitation du domaine d’intervention du Parlement et du droit d’initiative des parlementaires, ainsi que par des dispositions permettant au gouvernement d’obtenir un vote rapide du budget.
Il s’agit, d’autre part, de remettre en ordre le budget et les comptes en réintégrant dans ce budget de nombreuses opérations qui en avaient été distraites après la Grande Guerre, en introduisant plus de rigueur dans la présentation des documents budgétaires et en permettant un vote plus global (et plus cohérent) de la loi de finances.
En particulier le vote par chapitre est abandonné car le nombre de chapitres, qui était d’un peu plus de 150 en 1831, était passé à plus de 1 000 en 1900 et parfois plus de 4 000 dans les années 1950. Mais les chapitres, dont le nombre sera progressivement abaissé à moins de 1 000 sous la Ve République, resteront les unités de spécialisation des crédits jusqu’à leur suppression par la loi organique du 1er août 2001.
Mais, au fil des décennies, cette ordonnance subit elle-même des critiques croissantes, non seulement parce qu’elle paraît limiter à l’excès les prérogatives des chambres (malgré une jurisprudence constitutionnelle plutôt favorable à ces dernières), mais encore parce qu’en fin de compte, elle cherche plus à renouer avec l’orthodoxie financière du XIXe siècle, marquée par le souci de contrôler a priori, et en détail, les moyens accordés aux administrations et à faire prévaloir des considérations de régularité juridique (en somme une « logique de pouvoir ») qu’à satisfaire aux nécessités de la gestion publique du XXIe siècle, qui impose rationalité des choix, efficacité de l’action administrative et possibilité pour les citoyens (conformément à l’art. 14 de la Déclaration de 1789 : v. ss 16) de constater la nécessité et de suivre l’emploi de la contribution publique (en somme, une « logique de gestion »).
On a reproché en particulier à l’ordonnance de 1959 d’empêcher tout choix budgétaire véritable et toute responsabilité des gestionnaires en ouvrant, pour l’essentiel, les crédits par nature (« budget de moyens »), en les fractionnant à l’excès (entre chapitres, comptes et exercices annuels) et en les reconduisant, pour l’essentiel, l’année suivante (« services votés »), tous facteurs constitutifs d’une grande rigidité dans la gestion publique.
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Une seconde étape est constituée par une
loi organique du 1er août 2001 qui, issue d’une proposition parlementaire (entrée progressivement en vigueur de 2002 à 2005), s’efforce de remédier aux défauts de l’ordonnance de 1959. Cette « loi organique relative aux lois de finances » a rapidement été désignée sous le sigle
LOLF qui sera utilisé dans la suite de l’ouvrage (v. ss. 466 s.).
D’une part, elle pose le cadre financier d’une rénovation de la gestion publique étatique, notamment en globalisant les moyens mis à la disposition des administrations et en imposant à ces dernières une gestion par programme (en particulier, les chapitres sont supprimés, les crédits étant votés par grandes missions et ouverts par programmes).
D’autre part, elle affermit les pouvoirs du Parlement en augmentant son droit d’initiative, son domaine d’intervention et ses pouvoirs de contrôle – les prérogatives parlementaires ayant, par ailleurs, été étendues en 1996 avec l’instauration des lois de financement de la Sécurité sociale (v. ss 761).
Elle a été à son tour complétée par le décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (RGBCP) qui s’est substitué au décret du 29 décembre 1962 (v. notamment ss 543 s.).
25
Cette répartition est restée en France conforme au schéma mis en place par la Constitution de 1958 (précisé, notamment, par la jurisprudence du Conseil constitutionnel) et, plus généralement, à l’évolution de la plupart des pays industrialisés au cours du
XXe siècle.
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Le gouvernement est principalement investi d’un
pouvoir d’impulsion, conformément à l’article 20 de la Constitution, qui dispose que c’est le gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la Nation ». Cette situation, qui s’explique très largement par la technicité et la complexité des problèmes et des services de l’État interventionniste (ainsi que par les faiblesses et abus des Républiques précédentes) conduit, en particulier, à réserver au gouvernement l’essentiel de l’initiative financière puisque l’exécutif peut, seul, établir le projet de budget et proposer des mesures qui aggravent la situation des finances publiques ou affectent certaines recettes. On soulignera ici le fait que la Chambre des communes britannique avait depuis bien longtemps montré la voie en s’interdisant toute initiative financière depuis… 1713.
Cette « exclusivité » n’est pas une spécificité française ; elle est générale et repose inévitablement et notamment sur la maîtrise technique, statistique de l’administration : « Le budget du Japon est préparé et soumis à la Diète par le cabinet » (art. 86 de la Constitution de 1946) ; « Les chambres approuvent chaque année la loi de finances (et de règlement) présentée par le gouvernement » (art. 81 de la Constitution italienne) ; « Il incombe au gouvernement d’élaborer le budget général de l’État et aux Cortès générales de l’examiner, de l’amender et de l’adopter » (art. 134 de la Constitution espagnole) ; « Le projet de loi de finances ainsi que les projets de loi de finances rectificative et les projets de rectification du budget sont déposés au Bundestag en même temps qu’ils sont transmis au Bundesrat » (art. 110 de la Constitution allemande) ; « Le Président devra présenter aux deux chambres du Parlement chaque année un état prévisionnel des recettes et dépenses du Gouvernement de l’Inde pour cette année-là… » (art. 112 de la Constitution indienne) ; « Des lois à l’initiative du Pouvoir exécutif établissent… les budgets annuels », « Les projets de lois… de budget annuel sont adressés par le président de la République au Congrès national… » (art. 165 et 166 de la Constitution du Brésil), etc.
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Deux États pouvaient donner à penser qu’un système relativement différent pouvait exister : les États-Unis et la Suisse. S’agissant des États-Unis, la question ne fut en fait réglée que par le Congrès lui-même qui par une loi du 10 juin 1921
Budget and Accounting Act a prévu que le Président transmettrait au Congrès un projet de budget au premier jour de chaque session régulière. Du côté de la Confédération helvétique, il appartient au Conseil fédéral d’élaborer « le plan financier ainsi que le projet du budget » (et d’établir le compte d’État). (art. 183 de la Constitution).
Le gouvernement a, en France, en droit ou en fait, le pouvoir d’apporter de larges modifications aux autorisations budgétaires, à charge de les faire ratifier par les assemblées investies du pouvoir de contrôle.
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Le Parlement dispose principalement d’un
pouvoir de contrôle sur le gouvernement. Cette prérogative (qui n’exclut évidemment pas le pouvoir de dernier mot) a toujours été juridiquement étendue mais n’a pas toujours été exercée en raison de l’interprétation française du phénomène majoritaire apparu en 1962 (à tel point qu’il a fallu que ce soit le Conseil constitutionnel qui protège la compétence parlementaire). Et pourtant, la LOLF a paru redonner au Parlement français un certain renforcement de ses attributs en matière financière, non pas dans la procédure législative, mais sur le terrain de l’information des assemblées et sur celui du contrôle en imposant de nombreuses informations de nature financière à destination du parlement (art. 48 et s. LOLF – rapport sur l’évolution de l’économie nationale, sur les orientations des finances publiques, système des questionnaires adressés au gouvernement… –, v. ss 516), en renforçant aussi le rôle et les prérogatives des deux commissions des finances (et en particulier de leur Président et rapporteur, général, art. 57 et s. LOLF), tout en prévoyant que la Cour des comptes assurerait une mission d’assistance auprès du Parlement (art. 58 LOLF). Cet appui de et sur la Cour des comptes ne renforce pas en propre le Parlement français et ses capacités d’expertise. Il reste étroitement dépendant des informations financières, économiques, statistiques venant essentiellement de l’appareil administratif placé sous l’autorité du gouvernement. Si les deux assemblées disposent d’offices, ils ne sont pas à vocation financière. De fait, le Parlement français peut aller plus avant de façon ponctuelle dans ses recherches au travers des missions d’information et de contrôle mais il n’a pas en propre un appareil d’expertise en ce domaine. De la même façon, les lois de règlement du budget et d’approbation des comptes (v. ss 526, 568) auraient pu être un temps fort du débat politique au travers de l’étude des rapports annuels de performance (RAP) qui accompagnent le projet de loi. Tel n’est pas le cas. On remarquera que quelques parlements ont cherché à disposer d’une expertise en propre en matière budgétaire permettant de renforcer leur fonction de contrôle. Le Congrès des États-Unis a dès 1974 créé un Bureau du Budget ; c’est aussi le cas de la Chambre des communes britannique, qui a créé en 2002 un Service d’examen qui dépend du Bureau des Comités de la Chambre, etc. La démarche la plus intéressante est sans doute celle du Canada qui, au travers d’une Loi sur la responsabilité de 2006, s’est doté d’un Directeur parlementaire du budget dont la fonction est de « présenter au Parlement une analyse indépendante sur l’état des finances de la nation, le budget des dépenses du gouvernement, ainsi que les tendances de l’économie nationale ; et, à la demande de tout comité parlementaire ou de tout parlementaire, de faire une estimation des coûts de toute proposition concernant des questions qui relèvent de la compétence du Parlement ». Cette mission va donc au-delà du rôle actuel de la Cour des comptes française.
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Le couple Parlement/gouvernement, qui représente
l’autorité politique centrale, est lui-même investi d’une double mission.
D’une part, il dirige et contrôle l’action financière de l’Administration étatique ; c’est, en particulier, ce qui explique que les principes budgétaires, traditionnellement présentés comme un moyen pour le Parlement de contrôler le gouvernement (et, à l’origine, de contrebalancer le pouvoir monarchique) sont également, et depuis maintenant bien longtemps, un moyen pour les instances gouvernementales (notamment le ministre des Finances) de « tenir » les services administratifs (et de contrebalancer – sauf à lui succomber – le « pouvoir technocratique »).
D’autre part, il coordonne, ou devrait coordonner, les finances publiques nationales, dans lesquelles les finances de l’État sont devenues minoritaires avec le développement d’autres volets importants du secteur public (collectivités locales, Sécurité sociale, hôpitaux, entreprises publiques : v. ss 4 s.), qu’il convient, au surplus, d’articuler avec les finances européennes.
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Au sein du gouvernement, le ministère des Finances, entendu ici au sens générique (car sa dénomination et son organisation changent fréquemment), a acquis un rôle déterminant, à l’issue d’une évolution qui a consacré à la fois l’importance du ministre et le poids du ministère ainsi que de ses alliés.
31
Ce ministère a été créé à la fin du
XVIIIe siècle pour succéder aux administrations financières, notamment au Contrôle général des finances de l’Ancien Régime. Après plusieurs expériences (dont une suppression, deux scissions, une mention du ministre dans la Constitution de l’An VIII…), il a durablement trouvé son unité en 1814, tout en se développant progressivement (
a), mais a été constamment marqué par des tentatives d’affaiblissement (
b).
32
Ce développement a été très important, sous l’effet, notamment, de l’absence de véritable chef du gouvernement sous les III
e et IV
e Républiques (ainsi, la direction de la Fonction publique est, jusqu’en 1945, assumée, pour l’essentiel, par le ministère des Finances) et de l’interventionnisme croissant de la puissance publique, qui, en France, a conduit à confier l’essentiel des pouvoirs d’expertise et d’intervention économiques et financières à cette administration appelée ainsi à s’occuper à la fois de l’économie nationale et des finances publiques.
Par comparaison, on notera que dans plusieurs pays (États-Unis, Royaume-Uni, Suède, Espagne, Irlande, Pays-Bas, Canada) l’administration fiscale constitue une agence séparée du ministère des Finances. De même, dans de nombreux pays (et, à quelques rares occasions, en France), la responsabilité de l’économie (et, parfois, du budget d’investissement) est confiée à un ministère différent de celui chargé des Finances.
Ce ministère a acquis un poids considérable, moins d’ailleurs par ses effectifs (loin derrière l’Éducation nationale et la Défense) que par ses pouvoirs et sa place particulière : constituant une hiérarchie financière parallèle à la hiérarchie administrative générale, et exerçant, sur cette dernière, une tutelle souvent mal ressentie, l’administration des Finances a souvent été accusée de constituer « un État dans l’État », « une Bastille à Bercy ».
« Un des vices du système politico-administratif français, déclarait en 1995 le premier président de la Cour des comptes, était l’incapacité des services du ministère des Finances à accepter de perdre une bataille : ils revenaient sans cesse sur les décisions qui paraissaient acquises » (déclaration du 27 juin 1995 devant la Commission des finances de l’Assemblée nationale, rapportée dans le Bulletin de l’Assemblée, 1995, no 58, p. 36).
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Celles-ci ont été périodiquement effectuées, principalement dans trois directions.
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La première a consisté, à partir de la Constitution de 1958 (art. 21) et de l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 (art. 37, repris LOLF 2001, art. 38), à affirmer
l’autorité du Premier ministre sur le ministre des Finances ; généralement effective (à l’occasion, notamment, des « arbitrages budgétaires »), mais la plupart du temps limitée aux grandes options, à des questions de principe (révocation d’A. Madelin en août 1995 pour déclarations jugées inopportunes sur la condition des fonctionnaires) ou à des problèmes ponctuels, cette autorité s’est cependant avérée souvent insuffisante (ce qui explique que soit périodiquement proposé le rattachement au Premier ministre de la direction du Budget).
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Aussi recourt-on périodiquement à
une deuxième solution, celle du
cumul des fonctions de chef du gouvernement et de ministre des Finances : ainsi sous les ministères R. Poincaré (1926-1928), A. Pinay (1952) ou R. Barre (1976-1978) ; mais la lourdeur des charges imposées à une seule personne (M. Barre a dû nommer un « ministre délégué ») n’a pu rendre cette situation qu’exceptionnelle.
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La troisième solution principale a donc consisté dans la scission du ministère en deux (et parfois en trois, comme en 1951) : d’une part un ministère chargé de l’Économie et de la politique économique de l’État et lui-même conçu, ou bien comme un « super-ministère » chargé de faire prévaloir l’économie sur le budget (ex. : gouvernements Blum en 1936, Daladier en 1938, de Gaulle en 1944), ou bien comme un ministère ordinaire ayant simplement pour effet d’assurer un certain démembrement de l’administration des Finances (ex. : gouvernements Barre 1978-1981, Balladur 1993-1995), et, d’autre part, un ministre chargé strictement du Budget. Mais, toujours temporaire (et parfois annihilé par des cumuls de fonctions), ce démembrement a été tout relatif et, peut-être source de complications plus que de réelles améliorations, il a davantage atténué l’importance du ministre que celle du ministère.
Tous les gouvernements successifs au cours de ces dernières années vont faire évoluer la structure et les périmètres ministériels sans arriver à organiser un ensemble cohérent et stable. En ce sens, la place ministérielle de la fonction publique fut des plus aléatoires. La démarche la plus originale et peut-être la plus subtile politiquement aura sans doute été la structuration du gouvernement Ayrault constitué en 2012 avec un seul ministre chargé de l’Économie et des Finances mais six ministres délégués dont un ministre chargé du Budget.
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Une telle situation proprement française, pourrait être rapprochée d’une situation fondamentalement différente, à savoir celle du Canada qui a introduit un mécanisme dual particulièrement stable avec d’un côté un conseil du Trésor avec un Président à sa tête, qui gère notamment le budget, tandis que le ministre des Finances canadien a des fonctions plus politiques (politique économique, fiscale…) et intervient sur toutes les questions non attribuées de droit au Conseil du Trésor ou aux autres ministères et assure des fonctions de mise en œuvre sur le plan fédéral. Cette dualité fonctionnelle est organisée au travers de la Loi sur la gestion des finances publiques de 1985 et empêche de ce fait un nouveau Premier ministre de recomposer à son gré les fonctions financières autour de nouveaux périmètres ministériels.
En France, depuis plus d’une décennie, on peut noter une perte d’influence du ministère, les causes étant diverses.
Les unes, structurelles donc probablement appelées à s’amplifier, tiennent à la libéralisation économique, la décentralisation et la construction européenne qui dépouillent l’État central (et particulièrement centralisé), auquel le ministère des Finances a fini par être identifié, de pans entiers de ses prérogatives et de ses moyens traditionnels et régaliens (notamment la politique monétaire et une partie de la politique budgétaire, le secteur financier public, l’usage discrétionnaire du droit public économique, fiscal et douanier, la tutelle financière des collectivités publiques subordonnées et des marchés…), même si l’État, au travers du ministère de l’Économie, cherche ponctuellement à se redonner certaines prérogatives, au risque de subir les « foudres » européennes, comme ce fut le cas avec le décret du 30 décembre 2005 (2005-1739) relatif aux règles d’autorisation préalable en matière de contrôle des investissements étrangers (C. mon. fin., art. R. 153-2 s.).
Les autres, conjoncturelles ou symboliques, se rattachent à certains épisodes ou à certaines révélations qui ont sapé l’autorité morale du ministre.
Ainsi l’affaire du Crédit lyonnais, banque publique (privatisée en 1999) dont les dysfonctionnements, favorisés par les carences dans le contrôle qui incombait au Trésor, ont contraint au milieu des années 1990, à un sauvetage qui a, pour le contribuable, un coût net final de plus de 15 Mds €. De même, l’affaire dite de la cagnotte fiscale, dans laquelle le ministère s’est efforcé de dissimuler, fin 1999, une plus-value de recettes d’environ 7,5 Mds €. De même, encore, les pratiques (traditionnelles), révélées notamment par un rapport de décembre 1999 de la Cour des comptes sur la fonction publique de l’État, consistant à accorder à certains agents de ce ministère (et de quelques autres) des rémunérations discrètes et préférentielles, à partir de fonds hors budget, en marge des règles de la fonction et de la… comptabilité publique. On peut mentionner le comportement des agents du ministère qui, pour des raisons essentiellement corporatistes, avaient, en 2000, fait échouer (y compris par la grève de l’impôt sur le revenu) un projet de réforme tendant à rapprocher les directions générales des impôts et de la comptabilité publique pour simplifier les modalités, parfois fort complexes, de l’assiette et du recouvrement des impôts et en réduire le coût, particulièrement élevé en France. Mais que dire aussi de l’épisode plus récent de l’affaire Cahuzac…
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Sur un plan plus général, on peut remarquer que depuis deux décennies, les ministres des Finances français, à la différence de leurs prédécesseurs de la V
e République et de leurs homologues étrangers, par exemple allemands, restent peu de temps à leur poste. La durée moyenne de fonction est désormais d’environ un an et demi avec parfois des « passages » de quelques mois, ce qui ne permet guère d’asseoir l’autorité d’un ministre sur cet important ministère. La situation n’est sans doute pas fondamentalement différente dans d’autres pays, même si la durée moyenne du mandat y est toutefois plus longue. Les Secrétaires du Trésor des États-Unis n’ont cependant quasiment jamais eu de durée de fonctions identique à celle du Président des États-Unis (Donald Regan, avec quatre années sous la présidence de Ronald Reagan, entre 1981 et 1985, étant une exception). Côté britannique, les Chanceliers de l’Échiquier (fonction qui trouve ses origines au
XVIe siècle), connaissent un sort similaire, avec quelques exceptions comme Neville Chamberlain (1931-1937), Gordon Brown (1997-2007) et actuellement George Osborne (depuis 2010).
A-t-on besoin d’un cadre juridique pour asseoir une stabilité ministérielle au-delà des épisodes particuliers précités et qui ne sont pas propres à la France ? Ce n’est pas certain mais on perçoit alors les importantes différences de culture et de pratique politique.
L’exemple allemand permet de constater ce type de différence. Il existe en Allemagne deux ministères : l’un de l’économie, l’autre des finances. Or, si ces dernières années les ministres de l’Économie allemands ont eux aussi une durée moyenne de fonction assez courte, à savoir, depuis 1993, un peu moins de trois années, tout en notant le record toute catégorie de Ludwig Erhard, ministre de 1949 à 1963, le ministre des Finances a une durée de fonction nettement plus conséquente et supérieure à quatre années, dont l’actuel, Wolfgang Schäuble, en fonction depuis octobre 2009 ; le record de Fritz Schäffer, ministre de 1949 à 1957, pourrait peut-être être battu.
Toutefois, l’organisation ministérielle allemande est foncièrement différente de celle rencontrée en France puisque le ministre des Finances actuel bénéficie de l’appui de deux Secrétaires d’État parlementaires (c’est-à-dire conservant leur mandat au Bundestag) et de trois Secrétaires d’État fonctionnaires qui assurent « la coordination des directions techniques du ministère ».
L’affaiblissement politique du ministre et du ministère français des finances a en tout cas certainement facilité le vote de la LOLF, qui écorne sur plusieurs points les pouvoirs que le ministère s’était, en grande partie, octroyés (ou avait fait octroyer à l’exécutif) dans l’ordonnance du 2 janvier 1959.
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Certaines compétences ont été transférées au Premier ministre (ou sont désormais exercées conjointement avec les autres ministres), notamment en matière de transferts, d’annulations ou de reports de crédits. D’autres ont été transférées au Parlement ou placées sous contrôle de ce dernier (en particulier, en matière de redevances, de garanties, de plafonds d’emprunt…), la disposition la plus symbolique étant probablement celle qui dépossède (au profit des chambres) le ministre des Finances de son pouvoir d’autoriser les collectivités locales à déposer leurs fonds hors des caisses du Trésor.
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Celles-ci ont marqué l’histoire française (
1) et bénéficient à présent d’une autonomie mieux garantie (
2), même si la question du pouvoir fiscal et dépensier local n’en demeure pas moins toujours posée (
3).
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Certains siècles (
XIIe au
XVIe) ont été marqués par une forte autonomie des villes. La centralisation entreprise par l’autorité royale (notamment l’édit de Colbert du 12 avr. 1683) puis par les autorités républicaine et impériale à la jonction des
XVIIIe et
XIXe siècles a ensuite considérablement réduit cette autonomie, en particulier avec la suppression des octrois et la difficile recherche de nouvelles ressources locales. N’a-t-on pas parlé alors « des misères des finances locales » (G. Lepointe,
Histoire des institutions du droit public français). Celle-ci a retrouvé une certaine vigueur à partir de la monarchie de Juillet puis de la III
e République et elle a été garantie par la Constitution du 27 octobre 1946 (art. 87).
Proclamée en 1789, l’autonomie locale fut, au bout de quelques années, brisée par la centralisation jacobine (culminant dans la loi du 28 pluviôse an VIII) avant de renaître progressivement, en particulier avec les lois du 18 juillet 1837 (communes) et du 18 mai 1838 (départements) et, surtout, la loi du 10 août 1871 sur les départements et la loi du 5 avril 1884 sur les communes. À partir de 1837-1838, les budgets des collectivités locales, jusque-là réglés par les seules autorités étatiques, furent votés par les autorités locales mais demeurèrent repris, totalement (départements) ou partiellement (« centimes » communaux), dans le budget de l’État, où ils furent cependant isolés, à partir de 1862, dans un « budget sur ressources spéciales » (qui demeurait voté par le Parlement) ; ce budget ne fut supprimé, et le cordon ombilical ainsi coupé, qu’à partir d’une loi du 18 juillet 1892. L’autonomie fut ensuite accrue par plusieurs textes, notamment un décret-loi du 26 novembre 1926, une ordonnance du 5 janvier 1959 et une loi du 31 décembre 1970.
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Si la Constitution de la IV
e République a consacré la libre administration des collectivités territoriales (art. 87), la garantie d’autonomie (financière) a été reprise en 1958 dans la Constitution de la V
e République (art. 72) et a été accentuée progressivement sans pour autant que cela conduise à une modification en profondeur du pouvoir financier local.
On peut sans doute rapprocher les éléments qui suivent du cadre constitutionnel espagnol dont la Constitution prévoit en son article 142 que « les finances locales doivent disposer de moyens suffisants pour remplir les missions que la loi attribue à chacune des collectivités » ou encore de la Constitution italienne dont l’article 119 énonce que « Les communes, les Provinces, les villes métropolitaines et les Régions ont une autonomie financière en matière de recettes et de dépenses, dans le respect de l’équilibre de leurs budgets… » ; mais c’est sans doute du côté britannique qu’il faut appréhender avec attention les effets (même si ce fut un échec) du référendum écossais sur l’indépendance qui a conduit à de nouveaux engagements en faveur du renforcement de la dimension financière de la Dévolution (au profit de l’Écosse, du pays de Galles et de l’Irlande du Nord) et ce dans le prolongement législatif donné au rapport de la Smith Commission rendu en novembre 2014 et préconisant des transferts de pouvoirs fiscaux aux autorités de ces trois territoires.
Depuis 1958, cette autonomie financière a été renforcée en France à la fois par une révision constitutionnelle, l’adhésion de la France à la Charte européenne de l’autonomie locale et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
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La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 introduit, notamment, un article 72-2 dans le texte constitutionnel, aux termes duquel : « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources » (art. 72-2, C, al. 3), ce qui assure un minimum d’autonomie financière (qui paraissait menacée par l’augmentation de la part des dotations de l’État dans les budgets locaux) ; elle a été précisée par la loi organique du 29 juillet 2004 qui a fixé à la fois la notion et le niveau des ressources propres (v. ss 522). Cette garantie est renforcée par l’article 72-4 qui impose que tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution des ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Il en va de même pour toute création ou extension de compétences.
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L’adhésion de la France, en 2007, à la Charte européenne de l’autonomie locale (du 15 oct. 1985) a renforcé l’affirmation de cette autonomie sur le plan financier car l’article 9 du texte stipule que « les collectivités locales ont droit, dans le cadre de la politique économique nationale, à des ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans l’exercice de leurs compétences », tout en précisant qu’une partie au moins de ces ressources financières doit provenir de redevances et d’impôts locaux dont elles ont le pouvoir de fixer le taux (dans les limites de la loi).
Cependant, la France a émis deux réserves : l’une relative à une disposition devant permettre la compensation financière des frais occasionnés par l’exercice du mandat, des gains perdus ou une rémunération du travail accompli et une couverture sociale, et l’autre précisant que la charte n’est pas applicable aux établissements publics de coopération intercommunale « qui ne constituent pas des collectivités territoriales ».
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Mais le Conseil s’est, jusqu’à présent, refusé à censurer des restrictions de ressources (v. notamment Cons. const. 29 mai 1990, 274 DC ; 25 juill. 1990, 277 DC ; 6 mai 1991, 291 DC ; 26 janv. 1995, 358 DC ; 25 juin 1998, 402 DC ; 29 déc. 1999, 405 DC ; 28 déc. 2000, 442 DC ; 29 déc. 2003, 489 DC ; 29 déc. 2009, 599 DC). Dans le prolongement de la réforme constitutionnelle de 2003, il a cependant rappelé dans sa décision du 29 décembre 2005 (530 DC) qu’il ne pourrait que censurer des actes législatifs ayant pour conséquence de porter atteinte au caractère déterminant de la part des ressources propres d’une catégorie de collectivités territoriales ;
Même si au cas d’espèce la mesure (plafonnement de la taxe professionnelle) ne menaçait pas de son seul fait – l’autonomie financière d’une collectivité territoriale. Il adressait cependant un avertissement en ce domaine pour le cas où des ressources transférées viendraient à baisser, l’État se devant de maintenir ces ressources au niveau équivalent à celui consacré aux compétences avant leur transfert (29 déc. 2005, 530 DC).
La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 introduisant un article 61-1 dans la Constitution de 1958 avec l’apparition de la question prioritaire de constitutionnalité, aurait pu contribuer à renforcer les droits financiers des collectivités territoriales sur le fondement de l’atteinte à la libre administration garantie à l’article 34 de la Constitution. Cette disposition tend à permettre la mise en cause, à l’occasion d’un litige, de la constitutionnalité de toute disposition législative portant atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.
Cependant, les décisions rendues en ce domaine furent pour l’essentiel négatives : 22 sept. 2010, 29/37 QPC ; 6 oct. 2010, 59 QPC ; 18 oct. 2010, 56 QPC ; 25 mars 2011, 109 QPC ; 30 juin 2011, 143, 144, 142/145 QPC ; 13 juill. 2011, 149 QPC… 29 juin 2012, 255/265 QPC ; 19 avr 2013, 305/306/307 QPC, à l’exception notable des décisions 323 QPC du 14 juin 2013, 397 QPC du 6 juin 2014. Le Conseil d’État, pour sa part, a estimé que le principe de péréquation financière entre collectivités territoriales n’était pas au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution, au sens de l’article 61-1 (CE 23 déc. 2010, Cne Lisses), ce que le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs semble-t-il énoncé dès septembre 2010 (22 sept. 2010, Cne Besançon et a., 29/37 QPC, cons. 5).
Une décision du 8 juillet 2011 mérite toutefois d’être soulignée : elle censure une disposition législative sur le fondement de l’atteinte à la libre administration, disposition contestée dans le passé et qui interdisait aux collectivités territoriales de moduler les aides allouées aux communes et groupements compétents en matière d’eau et d’assainissement en fonction du mode de gestion retenu (« cette interdiction restreint la libre administration des départements au point de méconnaître les articles 72 et 72-2 de la Constitution », 8 juill. 2011, Dpt Landes, 146 QPC, cons. 5).
S’agissant des dépenses obligatoires, elles peuvent être décidées par le législateur mais les obligations doivent être définies avec précision quant à leur objet et à leur portée et ne sauraient méconnaître la compétence propre des collectivités locales ni entraver leur libre administration (18 juill. 2001, 447 DC). On rappellera par ailleurs que le législateur est seul compétent pour imposer directement ou indirectement aux collectivités locales des dépenses à la charge de l’État (CE 5 janv. 2005, Cne Versailles).
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Cette autonomie est en effet inégale suivant qu’il s’agit du pouvoir fiscal (
a) ou du pouvoir dépensier (
b).
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Celle-ci est, en effet, traditionnelle et se retrouve dans l’actuel bloc de constitutionnalité qui confie à la loi le soin d’autoriser annuellement la perception des impositions locales (LO 2001, art. 34) et de fixer les règles concernant les « impositions de toutes natures » (Const., art. 34).
Il en découle d’abord que le système fiscal local ne peut résulter que de la loi nationale. Une collectivité territoriale ne peut créer un impôt mais peut, au plus, se voir reconnaître la possibilité de renoncer à certains impôts (dits « facultatifs ») ou, depuis la réforme constitutionnelle de 2003, de fixer, sur autorisation de la loi, et dans les limites que cette dernière détermine, le taux et l’assiette de certaines impositions (art. 72-2 C, al. 2). Ceci n’exclut pas d’éventuels particularismes (notamment dans les territoires d’outre-mer, devenus en 2003 collectivités de l’article 74-C, où ne s’applique pas la législation fiscale de droit commun), mais ces particularismes, même consacrés dans des conventions avec l’État, sont à la discrétion de la loi nationale (Cons. const. 19 juill. 1983, 160 DC), abstraction faite désormais des statuts très particuliers de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française.
Il en résulte ensuite que l’utilisation du système fiscal fixé par la loi nationale est cantonnée dans des limites parfois étroites. D’une part, la liberté de fixation des taux n’est, ni générale : elle n’existe que pour certains impôts, notamment les principaux impôts directs (depuis L. 10 janv. 1980), ni absolue : l’autorité locale est tenue de respecter certaines contraintes, notamment certains plafonds que doit lui assigner le législateur (Cons. const. 30 déc. 1987, 239 DC, et 25 juill. 1990, 277 DC). D’autre part, l’interventionnisme fiscal est limité aux cas d’exonérations fiscales (partielles ou totales) expressément prévus par la loi. Le Conseil a aussi admis que le législateur puisse fixer un tarif maximal dérogatoire motivé notamment par une volonté d’une évolution progressive des impositions, le dispositif n’ayant pas pour effet « de réduire les ressources propres de certaines communes dans des proportions telles que serait méconnue leur autonomie financière » (19 avr. 2013, Cne Tourville-la-Rivière, 305/306/307 QPC, à propos de la taxe locale sur la publicité extérieure).
Le Conseil constitutionnel a, enfin, tranché le débat entre autonomie financière et autonomie fiscale en consacrant la première mais non la seconde dans une décision rendue en 2009 : « Il ne résulte ni de l’article 72-2 de la Constitution ni d’aucune autre disposition constitutionnelle que les collectivités territoriales bénéficient d’une autonomie fiscale » (Cons. const. 29 déc. 2009, 599 DC).
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Le développement de ce pouvoir caractérise les collectivités locales depuis que leur budget, rattaché au budget de l’État et approuvé par le Parlement jusqu’en 1892, est devenu autonome et que leurs compétences ont été accrues. Certes, la Constitution (art. 34 et 72) précise que les collectivités locales s’administrent dans les conditions prévues par la loi. Mais, le législateur lui-même a accru sensiblement l’autonomie des collectivités locales. Sur le plan institutionnel, il a ainsi supprimé, par la loi du 2 mars 1982, la tutelle ministérielle ou préfectorale sur leurs actes budgétaires. Sur le plan matériel, il a aussi développé leurs compétences et leurs possibilités d’action.
Les transferts ou créations de compétences doivent cependant s’accompagner des ressources adéquates (Cons. const. 12 août 2004, 503 DC), dès lors qu’il s’agit d’un transfert ou d’une extension de compétences obligatoires (30 juin 2011, Dpts Hérault et Côtes-d’Armor, 144 QPC, cons. 7), sans pour autant que le législateur soit tenu d’affecter une ressource particulière à ce financement ou de maintenir dans le temps une telle affectation (30 juin 2011, Dpts Seine-Saint-Denis et Hérault, 143 QPC, cons. 7). Un tel transfert « doit être accompagné de l’attribution des ressources équivalentes à celles qui étaient antérieurement consacrées à leur exercice » (30 juin 2011, Dpts Seine-Saint-Denis et a., 142/145 QPC, cons. 24).
Le Conseil a tenu à préciser que le principe de libre administration « ne doit pas être dénaturé par la fixation réglementaire de certains seuils », l’augmentation de charges pouvant ou devant conduire les pouvoirs publics à prendre les mesures correctrices appropriées (30 juin 2011, 144 QPC, cons. 11).
Dans le même ordre d’idée, si une collectivité demande à ne plus assumer une charge facultative qu’elle avait elle-même sollicitée, il lui appartient, le cas échéant avec l’État, d’organiser la fin de la prestation en question (à propos des centres d’information et d’orientation, 13 juill. 2011, Dpt Haute-Savoie, 149 QPC, cons. 6).
Le développement des budgets aidant, les collectivités locales sont devenues de véritables centres de décision financière. Mais elles demeurent soumises à un contrôle de légalité et à un contrôle budgétaire exercés par le préfet et les juridictions administratives et financières, qui veillent au respect de principes qui demeurent imposés aux autorités locales, notamment l’équilibre des finances, le règlement des dépenses obligatoires (qui demeurent nombreuses), le dépôt des fonds au Trésor et l’interdiction de certaines dépenses (aides faussant la concurrence, certaines aides à l’enseignement privé, dépenses sans intérêt local…).
Par ailleurs, le développement de l’Union économique et monétaire européenne a pour conséquence de resserrer le contrôle du pouvoir central, seul responsable, au regard du droit européen, des règles, notamment financières, que doivent respecter l’ensemble des administrations publiques françaises (v. ss 289 s.).
Enfin, il convient de noter que les dépenses publiques locales sont régulièrement mises en cause (notamment sous l’angle confus des dépenses de fonctionnement) et l’on discerne bien (en intégrant l’effet européen) une volonté de l’État d’assurer la maîtrise de la croissance des dépenses publiques locales voire d’en orienter les principaux domaines.
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Le questionnement n’est pas nouveau et amène à s’interroger sur l’existence pour la France d’un fédéralisme financier ou encore d’un fédéralisme fiscal. L’expression est largement utilisée dans les milieux économiques (utilisée par l’OCDE dans ses travaux consacrés à l’autonomie financière locale) et a pu être dissociée de l’approche strictement juridique du fédéralisme. Le processus décentralisateur français a sans doute renforcé le pouvoir financier local (dépense, gestion des services publics, vote des taux…), qui toutefois avait une certaine réalité antérieurement à la période décentralisatrice des années 1980, mais il paraît difficile d’aller jusqu’à identifier un tel schéma juridico-financier qui serait fondé sur une répartition quasi constitutionnelle du pouvoir en particulier fiscal entre l’État et les entités locales ; certains auteurs comme Michel Bouvier mettent en avant le fait que la « double logique décentralisatrice et européenne » amenée à se développer devrait conduire à « une réorganisation générale du processus de décision fiscale » « les contours d’un réordonnancement des pouvoirs » pouvant se dessiner dans la perspective « d’un fédéralisme fiscal » (
Finances publiques). Cette réflexion se retrouvait antérieurement dans les travaux notamment de Jean-Claude Martinez et Pierre di Malta, sous l’angle de l’existence d’un fédéralisme budgétaire (
Droit budgétaire).
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Il est vrai que l’expression est souvent utilisée même au-delà de l’État fédéral, par exemple s’agissant de la Catalogne.
La question des États fédéraux a toujours été plus délicate à appréhender sur le plan financier que pour ce qui est des États unitaires, non point s’agissant de la compétence « parlementaire » pour voter l’impôt mais parce que l’État fédéré a disposé et dispose du pouvoir d’imposer, parfois d’abord seul, parfois en concomitance avec l’État fédéral avec, progressivement, là aussi, une sorte de « conquête » de ce pouvoir d’imposer au niveau de l’État fédéral, construisant ainsi une forme de fédéralisme fiscal.
Ainsi, le Canada avec la Loi constitutionnelle de 1867 connaît une dualité financière ; les provinces ont la faculté de recouvrer des impôts par la voie de la taxation directe, tandis que l’État fédéral a pu le faire par « tous modes ou systèmes de taxation ». C’est sur la base d’une Loi de l’impôt de guerre sur le revenu de 1917 que l’État fédéral a pu initier à son tour une taxation directe au travers notamment de l’impôt sur le revenu, qui va se développer pour faire de l’État fédéral l’acteur prépondérant en ce domaine, et le collecteur de l’impôt sur le revenu pour le compte des provinces (à quelques exceptions près pour le Québec, l’Ontario et l’Alberta). Le débat canadien a de fait plus porté sur le pouvoir fédéral de dépenser. La Suisse aura connu un phénomène presque similaire, si l’on s’en tient à sa Constitution de 1848. Les dépenses de la Confédération étaient supportées par quelques produits financiers (droits de douane, poste…) et les contributions des cantons. C’est avec la Constitution de 1874 que l’on voit apparaître au profit de la Confédération une fraction de la recette fiscale d’une taxe prélevée par les cantons (taxe sur les exemptions du service militaire) ; ce n’est que de façon très fractionnée et progressive que la Fédération va « conquérir » un pouvoir d’imposition : à partir de 1887 sur les boissons distillées, puis en 1915 un impôt de guerre non renouvelable, en 1916 un impôt sur les bénéfices de guerre, en 1917 les droits de timbre, 1919 un impôt extraordinaire sur la fortune et le produit du travail, 1933 une contribution fédérale de crise, etc. (Cf. Aperçu historique des impôts fédéraux, Union des autorités fiscales suisses, état au 1er nov. 2014). Enfin, le nouvel empire germanique, au travers de sa Constitution de 1871, va pour sa part opérer une répartition de la compétence financière entre les États de la Confédération et l’Empire, le pouvoir impérial disposant alors de la compétence exclusive de légiférer en matière douanière et sur certains impôts.
L’Allemagne actuelle est marquée par un partage des compétences financières et fiscales mais traduit aussi ce phénomène général que l’on rencontre dans tous les États fédéraux, à savoir la nécessité d’une collaboration voire d’une coopération financière entre l’État fédéral et les États fédérés, le schéma étant relativement différent, d’ailleurs, selon l’État fédéral en question.
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On peut sans doute écarter cette dimension au plan français, même si l’outre-mer amène inévitablement à une telle formulation lorsque l’on examine le statut fiscal de la Nouvelle-Calédonie ou encore celui de la Polynésie française. La Nouvelle-Calédonie a toujours bénéficié d’une fiscalité locale particulière, une LO du 19 mars 1999 consacrant la faculté pour le territoire, au travers de lois du pays, de fixer les règles relatives à l’assiette et au recouvrement des impôts, droits et taxes de toute nature (art. 99) pouvant s’appliquer à l’ensemble du territoire, comme la création fin 1999 d’une taxe générale sur les services (Cons. const., 2000-1 LP du 27 janv. 2000) ; or, la Polynésie française dispose aussi de la faculté d’instituer des impôts ou taxes (art. 53 LO du 27 février 2004). On sait ainsi assez peu qu’il existe, notamment, un code des impôts de Nouvelle-Calédonie, un code des impôts de Polynésie française, approches formelles autant identitaires, symboliques, que juridiques. On notera enfin avec intérêt les propositions de l’Assemblée de Corse relatives au projet de réforme fiscale territoriale en faveur de la Corse (Délib. 14/241 AC).
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Dans l’exercice de leur pouvoir financier, les autorités publiques doivent respecter certaines règles. Ces règles sont parfois rattachées à des principes plus généraux (ils débordent quelquefois le cadre financier) et plus transversaux (ils concernent à la fois les domaines budgétaire, comptable et fiscal), qui sont de plus en plus proclamés sous l’effet, à la fois, de la « bonne gouvernance » (
§ 1) demandée aux États par les organisations internationales (v. ss 330 s.) et les milieux financiers internationaux, de la surveillance exercée en matière financière par l’Union européenne (v. ss 289) et de l’exigence accrue de démocratie et de bonne gestion qui se manifeste dans de nombreux pays (dont la France : v. ss 338 s.).
Les règles en question sont traditionnellement les règles budgétaires (
§ 2), qui concernent l’établissement du budget, les règles comptables relatives à l’exécution du budget et au patrimoine (
§ 3) et les règles fiscales afférentes à la principale recette publique (
§ 4).
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Celle-ci revêt une dimension internationale qui s’est accrue avec le temps (
A) et repose sur quelques principes généraux (
B).
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Cette dimension internationale s’est accentuée au cours de ces trente dernières années. Elle est le fruit des attentes d’organisations comme le FMI, la Banque Mondiale, mais aussi des marchés financiers eux-mêmes, les États étant parmi les principaux emprunteurs. Or, cette sorte d’« emprise » internationale qui a marqué nombre d’États, se double d’une démarche de regroupement d’institutions compétentes dans le domaine des finances publiques, regroupement tendant à une homogénéité méthodologique, phénomène que l’on retrouve aussi dans le domaine de la comptabilité, et de facto à un processus de rapprochement, sinon de standardisation, des concepts, méthodes, techniques…
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Les traditionnelles « institutions supérieures de contrôle des finances publiques » (ISC) sont ainsi regroupées au sein de l’Organisation internationale des institutions supérieures de
contrôle des finances publiques (INTOSAI) créée en 1953 (avec des branches régionales dont une européenne, dont relève la Cour des comptes française).
Ces autorités, souvent à statut constitutionnel, relèvent (globalement) de deux systèmes : soit un système collégial fondé sur une Cour des comptes, comme en France, en Allemagne, au Portugal, en Espagne, en Belgique, en Russie… et donc essentiellement en Europe (mais non exclusivement comme en Algérie), soit sur un acteur unique, le Contrôleur général disposant de services en propre que l’on rencontre plus dans les pays anglo-saxons, mais bien au-delà (Suède, Argentine, Chine…), et qui paraît être une forme institutionnelle dominante : ex. le Vérificateur général au Canada, le Contrôleur et vérificateur général en Inde, le Vérificateur général en Australie, le Contrôleur général des États-Unis… Cette fonction de contrôle marquée du sceau de l’indépendance est généralement opérée en faveur ou en direction du Parlement (Congrès aux États-Unis, Chambre des communes en Australie, au Canada, au Royaume-Uni…) ; il convient ici de rappeler que, s’agissant de la Cour des comptes française, le Conseil constitutionnel, dans sa décision 448 DC du 25 juillet 2001, mit en avant le fait que « l’indépendance des juridictions est garantie ainsi que le caractère spécifique de leurs fonctions », que la Cour est une juridiction administrative, la Constitution garantissant « son indépendance par rapport au pouvoir législatif et au pouvoir exécutif » (cons. 104 et 105).
L’appartenance de ces différentes entités nationales à une même organisation qui s’est donnée comme objectif statutaire « d’encourager les échanges d’idées et d’expériences entre les institutions Supérieures de Contrôle des Finances Publiques dans le domaine du contrôle des Finances Publiques » conduit non seulement à un échange de savoirs et peut-être à une standardisation des savoirs mais aussi à une dimension qualitative nouvelle concernant l’adoption et la mise en œuvre de règles professionnelles voire la création de chartes éthiques (v. ss 65).
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On notera qu’au sein d’INTOSAI (qui s’affirme organisation « autonome ») ont été élaborés un
Guide sur la Bonne Gouvernance (destiné à « fournir des conseils aux services publics sur la bonne administration des fonds publics » !) mais aussi
Les Principes fondamentaux de contrôle avec le développement de normes ISSAI (normes internationales des Institutions Supérieures de Contrôle des Finances Publiques) dont la vocation est, notamment, de « couvrir tous les types d’audit dans le secteur public », d’offrir une « base professionnelle commune, reconnue à l’échelle internationale », de préciser « l’autorité des ISSAI » conduisant à l’établissement de quatre normes (ISSAI 100 : Principes fondamentaux de l’audit du secteur public ; ISSAI 200 : Principes fondamentaux de l’audit financier ; ISSAI 300 : Principes fondamentaux de l’audit de performance ; ISSAI 400 : Principes fondamentaux de l’audit de conformité) (v.
Revue internationale de la vérification des comptes publics).
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L’affirmation de la nécessaire indépendance de ces institutions, proclamée au travers de la Déclaration de Lima de 1977 relative aux Directives sur les principes de contrôle s’appuyait sur l’affirmation suivante : « L’institution du contrôle est immanente à l’administration des finances publiques laquelle constitue une gestion fiduciaire. Le contrôler des finances publiques n’est pas une fin en soi mais il est un élément indispensable d’un système régulatoire qui a pour but de signaler en temps utile les écarts par rapport à la norme ou les atteintes aux principes de la conformité aux lois, de l’efficience, de l’efficacité et de l’économie de la gestion financière de manière à ce que l’on puisse, dans chaque cas, prendre des mesures correctives, préciser la responsabilité des parties en cause, obtenir réparation ou prendre des mesures pour empêcher, ou du moins pour rendre plus difficile, la perpétration d’actes de cette nature » !
58
Consécration quasiment suprême, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution le 21 novembre 2014 affirmant la nécessaire indépendance de ces institutions, leur rôle dans « la promotion de l’
efficience, du sens des responsabilités,
de l’efficacité et de la transparence des administrations publiques » et encourageant les États membres « à poursuivre et à intensifier leur coopération avec l’Organisation internationale des institutions supérieures de contrôle des finances publiques, notamment pour le renforcement des capacités, en vue de promouvoir une bonne gouvernance à tous les niveaux en assurant l’efficience, le respect du principe de responsabilité, l’efficacité et la transparence grâce au raffermissement de ces institutions et, au besoin, à l’amélioration des systèmes de comptabilité publique ».
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Or, à côté de ces institutions, les États ont été à l’origine ces dernières années du développement de ce que l’OCDE a dénommé les Institutions Financières Indépendantes (IFI), phénomène d’une certaine ampleur mais qui, selon l’OCDE, ne serait pas la « panacée ».
On notera ainsi que nombre d’États se sont dotés, pour l’essentiel à l’occasion ou à cause de la crise économique et surtout financière de 2007-2008, d’institutions, d’organismes, aux vocations plus spécifiques comme au Royaume-Uni, avec le Bureau pour la responsabilité budgétaire (OBR créé en 2010), en France avec le Haut conseil des finances publiques (HCFP), en Allemagne, avec le Conseil de stabilité créé en 2009 à statut constitutionnel, art. 109 a), en Irlande avec le Conseil consultatif budgétaire (IFAC, créé en 2011), en Belgique avec le Conseil supérieur des Finances (institué dans sa forme actuelle un peu plus anciennement en 2006), au Portugal, le Conseil des Finances Publiques créé en 2011, en Suède avec le Conseil de la politique budgétaire créé en 2007, en Slovaquie avec le Conseil de responsabilité budgétaire de 2012, en Autriche, le Comité de la dette publique, en République Tchèque, le Bureau central d’audit, d’autres institutions relevant cependant d’une démarche plus ancienne comme l’Office budgétaire du Congrès aux États-Unis qui remonte, lui, à 1974, ou aux Pays-Bas avec le Bureau central du plan institué en 1947, ou encore d’une démarche plus particulière comme au Canada avec le Directeur parlementaire du Budget.
60
Les principes généraux en question sont au nombre de trois.
61
Le premier, le plus général, est celui de
transparence, déclinée notamment dans les « codes » publiés par le FMI, l’OCDE ou encore INTOSAI et, à un degré moindre, dans les règlements financiers de l’Union européenne (v. ss 249 s.), mais qui, polymorphe, est plus un objectif ou un principe d’organisation d’un système (répartition des fonctions, accessibilité de l’information, clarté des comptes et des procédures…) qu’une règle juridique applicable à un document donné.
62
Le deuxième, celui de
sincérité, est plus restreint et plus opérationnel, mais il possède deux volets au contenu différent : la sincérité budgétaire, à caractère subjectif (v. ss 78, 485, 628, 761) et la sincérité comptable, à caractère objectif (v. ss 583, 672).
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Le troisième, le plus récent, est celui de
bonne gestion financière (pour reprendre l’expression consacrée dans les règlements financiers de l’Union européenne) qui impose de faire bon usage des fonds requis des contribuables (v. notamment DDHC, art. 14, ss 16).
Dans un premier temps, le principe de bonne gestion financière a été essentiellement conçu comme devant s’appliquer à l’exécution du budget, qui doit s’efforcer de respecter les principes d’économie (le moindre coût), d’efficience (le meilleur rapport coût/résultats) et d’efficacité (la conformité aux objectifs fixés).
Mais, de plus en plus, on s’efforce d’appliquer ce principe dès l’établissement du budget. Traditionnellement, en effet, ce dernier allouait (et alloue encore parfois) des moyens aux administrations en se fondant sur la nature administrative (personnel, fonctionnement, investissement…) des crédits demandés (« budget de moyens »), ce qui ne renseigne pas sur les actions à entreprendre et ce qui conduit parfois à des gaspillages. Le principe de bonne gestion financière (que l’on s’efforce, notamment, de mettre en œuvre dans le budget de l’État français depuis la loi organique du 1er août 2001 et dans le budget de l’Union européenne) exige, en revanche, que le budget présente d’emblée, de façon concrète et financièrement argumentée, les objectifs et les programmes d’action auxquels seront ouverts les crédits (« budget de performance », « budget de programmes », « budget par activités »…), ce qui permet de mieux apprécier a priori puis de contrôler a posteriori l’usage projeté puis fait des « deniers publics ». Car le « bon usage des deniers publics » est une exigence de valeur constitutionnelle (Cons. const. 29 déc. 2003, Loi de finances pour 2004, 489 DC, cons. 33). Mais la mise en œuvre de cette exigence n’est pas facile, à la fois parce qu’il n’est pas toujours aisé de déterminer et de quantifier à l’avance l’action publique et parce que le budget n’est pas seulement un instrument de gestion, permettant de mesurer des programmes ; il est aussi un instrument de pouvoir, permettant de contrôler des administrations et, en particulier, les moyens qui leur sont alloués.
64
Ces principes généraux sont habituellement accompagnés d’une exigence fondamentale, la soutenabilité des finances publiques.
On pourrait ainsi être amené à détecter un quatrième principe général, celui de « santé », proclamé par les règlements européens fixant aux États membres un objectif de « finances publiques saines » (v. ss 301). Mais ce principe se rapproche sensiblement du principe d’équilibre budgétaire. Il n’est, enfin, pas sans intérêt de faire le lien entre les trois principes précités et la double exigence de transparence et de responsabilisation dans la gestion des finances publiques contenue dans la convention des Nations unies du 31 octobre 2003 contre la corruption et à laquelle la France a adhéré. Cette convention pose cinq nécessités : des procédures d’adoption du budget national, la communication en temps utile des dépenses et des recettes, un système de normes de comptabilité et d’audit, et de contrôle au second degré, des systèmes efficaces de gestion des risques et de contrôle interne, la préservation de toute documentation financière et comptable relative aux dépenses et recettes publiques « pour en empêcher la falsification » (art. 9).
Au vu de ces différents éléments, il n’est pas surprenant de voir les États se doter de guides, de codes, de chartes, intéressant la gestion budgétaire et fondant un certain nombre de principes devant structurer les budgets.
65
C’est par exemple le cas de l’Australie, qui s’est dotée en 1998 d’une
Charter of Budget Honesty, complétée en 2012 par des
Policy Costing Guidelines ; c’est le Royaume-Uni qui dispose depuis 1998 d’un
Code for Fiscal Stability et qui a établi en 2014 une
Charter for Budget Responsibility ; on retrouve ce type de démarche en Inde avec
The Fiscal Responsibility and Budget Management Act de 2003, en Nouvelle-Zélande avec
A Guide to the Public Finance Act de 2005 lequel intègre les
Principles of Responsible Fiscal Management, etc.
66
Les règles budgétaires, qui n’étaient pas totalement inconnues de l’Ancien Régime, se sont principalement développées avec le parlementarisme (v. ss 17). Étendues aux autres collectivités publiques et réaménagées au
XXe siècle (v. ss 41 s.), elles ont pour objet d’encadrer le pouvoir de décision des autorités financières publiques en le soumettant à un budget (
A) dont elles fixent la périodicité (
B), la présentation (
C) et, parfois, l’équilibre (
D).
Issu de l’anglais budget, lui-même inspiré de l’ancien français « bougette » (petite bourse), ou encore « boulge », « bouge », terme qui serait lui-même inspiré du celtique « boc » voire du bas-latin bulga, le terme de budget a, semble-t-il, été utilisé pour la première fois en France par un arrêté du 17 germinal an XI (7 avr. 1803) relatif aux finances communales et une loi du 24 avril 1806 « relative au budget de l’État pour l’an XIV et 1806 » ; certains travaux font référence à une utilisation, dans son sens actuel, plus récente dans un Rapport au Roi sur la situation des finances au 1er avril 1814.
Enfin, il ne faut pas considérer que les budgets, en particulier nationaux, relèvent de périmètres similaires. En ce sens, la question des finances sociales et donc de la protection sociale amène à des budgets très différenciés traduisant des choix politiques majeurs qui peuvent évoluer avec le temps. Ainsi, il est difficile de comparer l’approche française fondée actuellement sur deux lois financières, avec le budget du Royaume-Uni qui est un budget « global » et qui intègre la protection sociale et la santé dans un même document (732 Mds £ en 2014-2015 dont 222 pour la protection sociale et 140 pour le système national de santé), ou encore avec le budget de l’État fédéral américain qui comprend, depuis les années 1960, deux interventions importantes en matière de santé (Medicaid et Medicare), l’assurance privée étant l’élément dominant du système social de cet État.
67
Le budget est présenté par Paul Leroy-Beaulieu comme un « état de prévoyance des recettes et des dépenses pendant une période déterminée » (
Traité de la science des finances, tome 2, p. 2). Il est traditionnellement défini comme le document où l’ensemble de documents dans lequel sont prévues et autorisées les ressources et les charges des organismes publics. Il est, selon l’article 7 du RGBCP, « l’acte par lequel sont prévues et autorisées les recettes et les dépenses. Le cas échéant, il prévoit et autorise les emplois et engagements de dépenses ».
Ce document (le budget au sens formel) comprend parfois, non seulement des prévisions et autorisations de recettes et de dépenses (le budget au sens matériel) mais également d’autres dispositions, qui relèvent de la « légalité ordinaire » et non de la « légalité budgétaire » (v. ci-dessous).
De plus, il n’englobe pas toujours toutes les ressources et toutes les charges de l’organisme public concerné ce qui amène parfois les textes à indiquer, de façon alors tautologique et peu signifiante, que le budget concerne « l’ensemble des recettes et des dépenses budgétaires »… (LO 2001, art. 6).
Il revêt donc deux caractères principaux. Il s’agit d’un acte de prévision (
1) et d’un acte d’autorisation préalable (
2).
68
C’est en matière de recettes que, compte tenu des techniques actuellement retenues (il est désormais très rare que l’autorité publique décide de prélever un montant préfix de ressources), l’aspect « prévision » est le plus développé. S’agissant des dépenses, cet aspect n’est, certes, pas absent mais il s’efface au fur et à mesure que croît le nombre de services bénéficiaires pour lesquels le budget est essentiellement une autorisation de dépense (et, en conséquence, fréquemment assimilée par eux à une « ressource »).
69
Celui-ci est donné par l’autorité délibérante à l’autorité exécutive ou, plus généralement, par l’autorité politique à l’administration. C’est donc l’acte qui permet et traduit le mieux le pouvoir d’une autorité sur une autre et qui, historiquement, a constitué le prolongement logique du consentement à l’impôt (v. ss 13). C’est ce caractère éminemment politique de l’acte budgétaire qui entraîne les principales différences entre finances publiques et finances privées, et qui explique plusieurs originalités du droit financier public, notamment la notion de
crédit budgétaire ; celui-ci est une autorisation de dépenser (notion juridique), qui ne doit pas être confondue avec les fonds en caisse (notion matérielle) : un crédit peut être ouvert sans fonds encore disponibles ou refusé alors même qu’existent des fonds ; cette autorisation est accordée à une administration déterminée (dont elle fixe ainsi les moyens), pour un objet déterminé (retracé dans une subdivision budgétaire, traditionnellement le chapitre) et pour un montant maximum (les crédits sont, en principe, limitatifs, sauf cas particuliers, notamment les établissements publics industriels et commerciaux qui, pour leurs dépenses d’exploitation, n’ont qu’un « état de prévisions », simplement indicatif) ; l’autorisation n’est aussi accordée que pour une durée déterminée.
Ces caractères expliquent que la notion de budget soit consubstantiellement liée à un principe d’antériorité qui veut que le document budgétaire soit adopté avant l’exercice auquel il s’applique ou, surtout, qu’en tout cas aucune opération ne puisse être effectuée sans autorisation préalable.
Mais cette autorisation (qui procède de la « légalité budgétaire ») ne modifie pas l’ordonnancement juridique ; pour être licite, l’opération autorisée doit, par ailleurs, être permise par la « légalité ordinaire » ; par exemple, l’ouverture de crédits pour indemniser des victimes de catastrophes naturelles ne confère pas un droit à indemnisation (v. CE 28 mars 1924, Jaurou) ; ce droit doit trouver ailleurs sa « base légale », pour reprendre l’expression consacrée en droit européen, pour lequel, également, toute dépense nécessite, d’une part une base budgétaire (un crédit) permettant la dépense, d’autre part une base normative distincte, créant ou permettant la dette à payer.
70
Cette périodicité repose sur un principe d’annualité (
1) dont l’application peut être aménagée (
2) et qui peut être parfois dépassé (
3).
71
Principe traditionnel, il impose d’adopter un budget tous les ans. Ce principe s’explique d’abord par des raisons politiques car il permet un contrôle suffisamment fréquent de la part de l’autorité budgétaire ; en particulier, il a historiquement permis un progrès décisif du contrôle parlementaire sur l’autorité royale. Ce principe est également justifié par des considérations techniques, l’année ayant paru constituer une période raisonnable pour faire des prévisions sérieuses, des comparaisons rapprochées et des rectifications en temps utile ; en France, comme dans nombre de pays (États de l’Europe continentale et l’Irlande, la Chine, le Brésil, la Russie), cette année budgétaire coïncide actuellement avec l’année civile, mais certains États la font débuter le 1
er avril (Grande-Bretagne, Japon, Canada, Nouvelle-Zélande, Inde), le 1
er juillet (Australie, Égypte) ou le 1
er octobre (États-Unis) (la France a essayé le 1
er avr. de 1929 à 1933) ; on pourrait, par ailleurs, concevoir un alignement sur l’année économique ou, au moins pour certains organismes, sur l’année… scolaire (1
er sept. ou 1
er oct.).
On notera que, à l’occasion d’une QPC, le Conseil d’État français a estimé que le principe d’annualité ne relevait pas des droits et libertés garantis par la Constitution au sens de l’article 61-1 de la Constitution (CE 25 juin 2010, Région Lorraine, no 339842).
72
Il est en effet impossible de faire totalement coïncider l’activité financière et l’année civile.
En premier lieu, il arrive que le budget soit adopté après le début de l’exercice auquel il s’applique (non-respect du principe d’antériorité budgétaire) ; en France, le cas est devenu rare pour l’État mais il demeure la règle pour les collectivités locales et oblige à prévoir des régimes provisoires, qui varient selon les catégories de collectivité publique.
En deuxième lieu, le budget, qui est un acte de prévision, est généralement rectifié en cours d’année par des actes modificatifs, dont l’appellation varie selon les collectivités (lois rectificatives, décisions modificatives, budget supplémentaire…) mais qui partout introduisent une dimension infra-annuelle dans les dispositions budgétaires.
En troisième lieu, l’arrivée du 31 décembre ne coupe pas tout lien avec l’année suivante.
D’abord, il est de tradition que l’exécution du budget d’une année déborde sur l’année suivante. Pendant longtemps, c’était même le principe, puisque les comptes d’une année n’étaient clos qu’une fois terminées, même longtemps après, les opérations décidées au cours d’une année (système dit de l’exercice illimité) ou, en tout cas, une fois expirée une assez longue période après le 31 décembre (système dit de l’exercice limité). Actuellement, le principe est qu’on clôt les comptes le 31 décembre en ne prenant en considération que les opérations terminées pendant l’année (système dit de la gestion ou de caisse) mais certaines opérations en cours à la fin de l’année civile peuvent encore être rattachées à cette année à condition d’être achevées (ou parfois simplement constatées) pendant une période complémentaire (ou « journée complémentaire ») qui, limitée et variable suivant les organismes, tend à se réduire (voire à ne plus être utilisée).
Ensuite, il existe des liens entre les exercices budgétaires. D’une part, les résultats de l’exécution d’un budget (déficit ou excédent) doivent parfois être intégrés dans le budget suivant, en vertu du principe de continuité des exercices, qui s’applique à tous les organismes publics sauf l’État. D’autre part, les crédits inutilisés à la fin de l’exercice ne sont pas toujours annulés, comme le voudrait le principe d’annualité, mais peuvent parfois être ajoutés aux crédits de l’exercice suivant, par la technique des reports de crédits, en vigueur dans tous les organismes publics.
Enfin, il arrive que le budget d’une année soit la reprise pure et simple des chiffres de l’année précédente, soit sous la forme, devenue exceptionnelle, de la reconduction de certains crédits, soit par l’intermédiaire, plus rare, de la reconduction de l’ensemble du budget (facilité parfois employée sous les IIIe et IVe Républiques), les deux techniques conduisant, alors, à un dépassement de fait du principe d’annualité.
73
Celui-ci est en effet de plus en plus souvent pratiqué ou proposé, en particulier au niveau des organisations internationales (budget biennal pour l’ONU, voire triennal pour certaines organisations).
À cela, trois raisons principales : la longueur de certaines opérations, essentiellement d’investissement, qui débordent très largement le cadre annuel ; l’ampleur et la complexité des budgets contemporains, qui rendent difficile à soutenir le rythme annuel de préparation et de vote ; plus généralement, la nécessité de permettre une gestion des deniers publics à la fois plus prospective et plus souple, en supprimant les rigidités et, parfois, les gaspillages dus au carcan annuel (car la surconsommation des crédits en fin d’année est une pratique répandue).
Pour ce faire, il existe trois moyens principaux.
74
Le premier consisterait à adopter un
budget pluriannuel. Ce dernier pourrait s’étendre sur la durée d’un mandat politique et traduire un programme de gouvernement ; mais l’idée, parfois avancée, a paru techniquement trop ambitieuse (les incertitudes de la prévision risqueraient de conduire à des rectifications aussi importantes que les budgets annuels) et politiquement trop dangereuse (elle risquerait de diminuer le contrôle politique et d’asseoir certaines situations administratives). Aussi le budget a-t-il plus raisonnablement paru pouvoir être étalé sur deux ans, sous la forme d’un budget biennal, permis par certaines constitutions étrangères (dont celle de l’Allemagne) mais peu pratiqué, sinon dans l’Espagne franquiste et certaines organisations internationales (ONU et ses institutions spécialisées) (v. ss. 328)
75
Le deuxième moyen consiste à ne voter que certains
crédits pluriannuels. C’est la formule actuellement la plus employée, selon la technique dite (en droit de l’Union européenne) des « crédits dissociés » qui, ainsi que l’implique l’expression, comprennent deux éléments : d’une part des « crédits d’engagement » ou « autorisations d’engagement » (ou « autorisations de programme » lorsqu’elles concernent des investissements) qui permettent d’engager, juridiquement et financièrement, l’administration pour plusieurs années ; d’autre part des « crédits de paiement », ouverts annuellement (conformément à un calendrier, ou « échéancier », généralement prévu dès l’origine) pour payer les sommes dues et qui peuvent être, si nécessaire, reportés d’une année sur l’autre en cas de non-utilisation. Cette technique, utilisée par l’État et l’Union européenne, est également permise aux collectivités locales et à certains établissements publics. Elle facilite l’action des administrations bénéficiaires et la réalisation de leurs programmes financiers mais, par les engagements qu’elle permet, crée une rigidité qui a parfois paru néfaste à l’action conjoncturelle et dangereuse pour l’équilibre financier.
Traditionnellement restreinte, en France, aux investissements, cette technique a été étendue (sur le modèle du droit de l’Union européenne) à d’autres opérations de l’État (« autorisation d’engagement », loi organique du 1er août 2001) et des collectivités locales (« autorisation de programme », Ord. 26 août 2005).
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Aussi le troisième moyen de dépassement du principe d’annualité consiste-t-il en
l’insertion du budget annuel dans un cadre pluriannuel purement indicatif. Ce cadre peut résulter de projets inscrits au titre d’une démarche contractuelle pluriannuelle (contrats de plan État-Régions), ou d’une programmation sectorielle (lois de programme ou de programmation de l’État, « délibérations de programme » des collectivités locales). On peut sans doute intégrer dans cette démarche la loi du 3 août 2009 dite « de programmation » relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement. Il peut aussi consister en des objectifs, fixés dans des lois d’orientation ou dans des programmes triennaux de stabilité (que doivent actuellement fournir les États membres de l’UEM : v. ss 303). Le « programme » au sens de l’article 7 de la LOLF s’inscrit lui aussi dans cette démarche en ce qu’il concourt à une politique publique « définie » et regroupe des crédits « destinés à mettre en œuvre une action ou un ensemble cohérent d’actions… ». Il peut, enfin, s’agir de simples prévisions, ou projections, pluriannuelles tendant à décrire, pour l’infléchir éventuellement, l’évolution des finances publiques au cours des années à venir (selon une technique de « programmation » ou de « planification » financière fréquemment mise en œuvre dans les pays étrangers).
En ce domaine, les finances publiques françaises ont connu une mutation importante en direction d’une confortation de la pluriannualité avec l’apparition des lois de programmation des finances publiques, fruit de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (art. 34 avant-dernier alinéa) ; la première loi de programmation des finances publiques fut celle pour 2009-2012 (L. 9 févr. 2009, no 2009-135) qui offrit un cadre gestionnaire pluriannuel s’intégrant dans une méthodologie d’inspiration communautaire, le budget guidant la préparation des projets de loi de finances.
Pour sa part, l’Union européenne connaît un budget annuel mais établi dans un cadre pluriannuel (7 ans) défini par un accord interinstitutionnel.
77
La présentation et le contenu du budget obéissent à une série de règles dont la combinaison a pour objectif de permettre un contrôle aisé à la fois de l’ensemble et du détail des opérations envisagées. Il faut ici distinguer les principes classiques des finances publiques d’unité et d’universalité (
1) et de spécialité (
2).
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Ces principes d’unité (
a) et d’universalité (
b) (v. ss 17) doivent être combinés avec le principe, plus récemment affirmé, de
sincérité, l’ensemble pouvant être inclus dans un principe plus large (et inusité), de
globalité, comprenant deux volets d’inégale étendue.
79
Compris dans une acception formelle, pourrait également être appelé principe d’
unicité car il exige que le budget soit présenté en un seul document, faute de quoi le contrôle serait inefficace, car fragmentaire. Mais l’ampleur et la complexité des budgets contemporains ont souvent conduit à n’exiger qu’un seul ensemble de documents en admettant, à côté du budget central (budget principal ou général) des budgets annexes (et, pour l’État, des comptes spéciaux), le tout accompagné de documents de développement. Par ailleurs, la multiplication de budgets rectificatifs en cours d’année peut atténuer la portée de la règle d’unicité.
Dans un sens plus large, incluant une acception matérielle, le principe comprendrait également la règle de totalité qui, suivant les auteurs, est incluse dans le principe d’unité ou dans celui d’universalité.
80
Traditionnellement présenté comme englobant les principes de non-affectation et de non-compensation, ce principe est le corollaire du principe d’unité en ce qu’il exige que le document présenté soit sincère et global.
Le principe de sincérité, qui fait désormais partie du droit local, national et communautaire, comprend lui-même, lorsqu’il s’agit de la sincérité budgétaire (et non comptable), trois éléments.
81
Le premier (auquel fait essentiellement allusion le droit budgétaire) est la
sincérité des évaluations portées au budget (pas de surestimation ou de sous-estimation des dépenses et des recettes). Mais le budget étant (notamment) un acte de prévision (v. ss 68), la sincérité ne peut être que relative (on ne peut exiger d’une prévision qu’elle soit réalisation) et doit, pour l’essentiel, être comprise (ainsi que le font notamment la loi organique du 1
er août 2001 et le Conseil constitutionnel pour la loi de finances : v. ss 483) comme une sincérité subjective (celle d’un « bon père de famille », serait tenté d’ajouter le droit civil) marquée par l’absence d’intention de fausser les évaluations et l’absence d’erreur manifeste d’appréciation.
82
Le deuxième élément, qui conditionne en partie le premier, est la
sincérité du périmètre budgétaire retenu. Correspondant, pour l’essentiel, à la règle de
totalité, il exige que soient prévues dans le budget toutes les opérations de tous les services de la collectivité publique intéressée (au besoin « pour mémoire » si le montant n’en est pas encore connu). Mais ce principe, essentiel, connaît plusieurs vicissitudes. D’une part, les personnes publiques ne font pas toujours figurer dans leur budget l’intégralité de leurs opérations financières ; il en va notamment ainsi des
opérations de trésorerie, qui sont censées n’être que de simples ajustements de caisse, normalement
infra-annuels (par exemple une avance de fonds pour quelques mois), mais qui, pour l’État, sont conçues de manière particulièrement extensive (tous les emprunts…) et qui, partout, revêtent une importance croissante. D’autre part, les personnes publiques ne font pas figurer à leur budget les opérations financières de leurs satellites qui, dotés de la personnalité morale (de droit public ou de droit privé), ont, en conséquence, des
budgets autonomes mais dont la dépendance vis-à-vis de la collectivité mère appellerait une « consolidation des comptes » (dont certains éléments ont commencé d’être imposés aux collectivités locales). Par ailleurs, les
budgétisations et
débudgétisations qui, d’une année sur l’autre, affectent le contenu des budgets publics rendent difficile la comparaison entre exercices et entre collectivités, ce qui, s’agissant de l’État, a amené le juge à censurer certaines débudgétisations et le législateur organique à prévoir, en 2001, une « charte de budgétisation », permettant de comparer les périmètres des exercices successifs (v. ss 486 et 574).
83
Le troisième élément consiste en la
sincérité de la présentation des opérations, qui se traduit notamment par la règle essentielle et traditionnelle de
non-compensation (ou de
non-contraction ou encore du
produit brut) : il est interdit de soustraire certaines dépenses de certaines recettes (par exemple les frais de recouvrement du montant des impôts perçus) ou certaines recettes de certaines dépenses (par exemple les recettes propres du montant total des dépenses) et de ne présenter qu’un solde, car un solde ne renseigne, ni sur le montant total, ni sur la nature (éventuellement prohibée) des opérations. Aussi cette règle, élémentaire, est-elle la plupart du temps respectée, seul l’État connaissant quelques dérogations notables (certains comptes spéciaux et certaines procédures comptables particulières).
84
Cette règle pourrait peut-être se rattacher à un principe, plus général, de
clarté des comptes, traditionnellement mis en avant par la doctrine allemande et que semble parfois consacrer le Conseil constitutionnel à travers le principe d’intelligibilité des textes (il existe ainsi un objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, 16 déc. 1999, 421 DC) et la censure de dispositions qui ne sont pas énoncées de façon « claire et précise » (7 déc. 2000, 435 DC ; 29 déc. 2005, 530 DC, cons. 78).
Le Conseil d’État, à l’instar du principe d’annualité, a estimé, toujours à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, que le principe de sincérité ne relevait pas des droits et libertés garantis par la Constitution au sens de l’article 61-1 de la Constitution (CE 15 juill. 2010, Région Lorraine, no 340492).
85
La
règle de non-affectation (élément traditionnellement rattaché au principe d’universalité) interdit, elle, d’affecter une recette à une dépense. Toutes les recettes doivent être versées dans une caisse unique et on décide des dépenses sans distinction d’origine des fonds, ce qui contribue à la globalité du budget.
Cette règle se justifie à la fois par des impératifs de solidarité (nul ne peut prétendre à un financement particulier), par des raisons financières (une recette affectée peut dépasser les besoins du bénéficiaire) et par le souci de préserver l’entier pouvoir de décision de l’autorité budgétaire (qui doit pouvoir fixer librement et précisément les dépenses d’un service, qui ne saurait prétendre à l’autonomie financière).
Mais cette règle ne concerne que de manière relative les collectivités publiques subordonnées, notamment les collectivités locales, qui, au contraire, doivent affecter certaines recettes (recettes d’investissement, recettes spécifiques) à certaines dépenses, car l’affectation constitue un moyen de tutelle, d’ailleurs en recul avec le développement de la décentralisation.
De plus, même au niveau de l’État, la règle connaît de nombreuses dérogations car l’affectation est indispensable pour calculer le coût et le rendement des services marchands ou même certaines opérations particulières ; elle a paru utile pour faire accepter des prélèvements nouveaux en les affectant (ou en promettant de les affecter) à des dépenses déterminées (servant en général de nobles causes) ; elle s’est avérée inéluctable lorsque les pouvoirs publics ont cédé aux demandes, fréquentes et pressantes, d’affectation de recettes.
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Avec des mécanismes et des histoires différenciées, nombre d’États se sont tournés vers le système de la caisse unique. C’est en particulier le cas des États du Commonwealth et donc d’abord du Royaume-Uni.
À partir de 1786, avec la création d’un fonds consolidé, il n’y aura plus d’affectation d’une recette à une dépense, selon le système jusque-là en vigueur fondé sur une dualité fonctionnelle avec un comité des subsides examinant les recettes et un comité des voies et moyens destiné à en assurer la correspondance sur la base des demandes de la Couronne. Par la suite, avec l’Exchequer and Audit Departments Act 1866 qui fusionna différents fonds fut créée une caisse unique. Ce fonds central fut dénommé Fonds consolidé du Revenu (Consolidated Revenue Fund). Ce système du fonds unique va être poursuivi et maintenu au sein des anciennes « colonies » britanniques. C’est le cas, par exemple, pour l’Australie dont la Constitution elle-même prévoit que toutes les ressources ou sommes perçues par le pouvoir exécutif de la Fédération composeront un fonds consolidé « qui sera approprié pour le service de la Fédération » (art. 81). De plus, « aucune somme ne pourrait être distraite du Trésor de la Fédération si l’emploi n’a pas été déterminé par la loi » (art. 83). C’est encore le cas pour l’Inde qui dispose d’un système similaire, là aussi intégré dans la Constitution de cet État, avec en outre un Fonds consolidé par État fédéré (art. 266 et s.), ou encore pour le Canada avec le Fonds consolidé de revenu du Canada (qui n’exclue pas non plus un tel système au niveau des provinces ; art. 102 et s. loi constitutionnelle de 1867, reprise dans la loi constitutionnelle de 1982). Ce fonds consolidé qui correspond au « total des fonds publics en dépôt au crédit du receveur général » y est dénommé « Trésor » (art. 2, Loi sur la gestion des finances publiques).
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Celui-ci revêt au moins deux significations.
La spécialité comptable impose d’indiquer avec précision le détail des opérations prévues, tout particulièrement des crédits demandés, ce qui exige une nomenclature budgétaire présentant au moins deux caractères.
Elle doit, d’une part, être suffisamment affinée, ce qui a conduit à l’élaboration de nomenclatures qui, suivant les cas, sont différentes (État, certaines grandes collectivités locales) ou semblables (la plupart des collectivités publiques subordonnées) aux nomenclatures employées en comptabilité générale ; elles sont souvent assez détaillées et entraînent, surtout pour l’État, un volume impressionnant de documents budgétaires ; mais l’amplification des budgets publics rend toujours relatif, dans les grandes collectivités, le degré de détail.
La nomenclature budgétaire doit, d’autre part, reposer sur des critères de classification suffisamment significatifs ; en ce domaine, le critère traditionnel entraîne une classification des crédits par nature (et, pour l’État, par ministère), mais on cherche, de plus en plus, à lui ajouter, voire à lui substituer, une classification par destination (grandes collectivités locales) ou par programme (État) permettant une vision plus opérationnelle des budgets ; mais la démarche se heurte à bien des difficultés tenant aux habitudes, au réalisme comptable (la comptabilité générale est établie par nature) et au fait, parfois oublié, que le budget est autant un moyen de contrôler des structures que de gérer des politiques.
La spécialité juridique implique, elle, que les crédits soient ouverts de manière relativement détaillée, suivant des subdivisions (programme pour l’État, chapitre ou article pour les collectivités locales) dont le bénéficiaire ne peut plus ensuite modifier le contenu, toute modification impliquant, en principe, une nouvelle décision de l’autorité budgétaire.
L’ouverture détaillée des crédits ne signifie pas nécessairement le vote détaillé de ces crédits : on peut voter globalement un ensemble de crédits ensuite ouverts en détail (c’est la règle pour l’État, c’est admis pour les collectivités locales).
Elle ne signifie pas plus que les crédits sont ouverts au plus bas niveau de la nomenclature comptable : on peut présenter les crédits de manière très détaillée mais ne les ouvrir que de manière plus globale, ce qui est d’ailleurs l’état du droit ; l’unité de spécialisation des crédits (programme, chapitre ou article) doit, en effet, permettre de concilier les nécessités du contrôle par l’autorité budgétaire, qui pousse à des subdivisions plutôt fines, et les besoins de souplesse dans la gestion des administrations, qui incite à une globalisation des crédits (ce que marque notamment l’abandon, pour l’État, de la spécialisation des crédits par chapitre : v. ss 23 et 24). L’équilibre a toujours été difficile à établir. D’une certaine manière, il est facilité par les possibilités, parfois importantes (État, certains établissements publics), données à l’exécutif de modifier lui-même, et dans certaines limites, les autorisations budgétaires.
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À la différence des règles précédentes, le principe d’équilibre budgétaire ne concerne que certaines collectivités publiques dont est, notamment, exclu l’État qui, en France, n’a jamais été tenu d’équilibrer son budget ; c’est d’ailleurs une situation qui se retrouve dans la plupart des États étrangers. Par ailleurs, il est rare qu’un tel principe soit directement inscrit et explicité dans une Constitution. Le concept de
« règle d’or » souvent mis en avant et qui ne signifie pas un équilibre strict entre ressources propres et ensemble des dépenses mais usuellement conduit à permettre de financer l’investissement par l’emprunt, n’apparaît quasiment jamais dans les constitutions. Le rapport à l’équilibre, au déficit et à la dette donne lieu à une relative hétérogénéité d’approche juridique mais aussi dans l’énoncé et la mise en œuvre des mesures de discipline budgétaire prenant en compte la question du solde et notamment du solde structurel. Il faut ici rappeler que le
Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG) (v. ss 305) énonce ainsi que « la situation budgétaire des administrations publiques d’une partie contractante est en équilibre ou en excédent », cette règle étant considérée comme respectée si leur solde structurel annuel correspond à l’objectif à moyen terme (OMT) spécifique de chaque pays avec une limite de déficit structurel de 0,5 % du produit intérieur brut aux prix du marché (art. 3 b).
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En ce domaine les initiatives des États et notamment des États membres de l’Union européenne sont diverses et hétérogènes.
L’Allemagne, souvent montrée en exemple, a connu un cadre constitutionnel relativement limitatif en matière d’emprunt, hormis en matière d’investissement, l’article 115 de sa Constitution autorisant cependant un tel recours « pour lutter contre une perturbation de l’équilibre économique global ». La constitution allemande fut réformée de façon assez consensuelle en juillet 2009. Désormais, le déficit structurel fédéral est limité à 0,35 % du PIB et les budgets des Länder sont tenus à une obligation d’équilibre. Ceci étant, ce plafonnement ne s’applique pleinement qu’en 2016 et l’équilibre imposé aux Länder à partir de 2020. L’Allemagne s’est imposé une réduction rapide de son déficit ; cependant, la Constitution allemande conserve différents mécanismes dérogatoires tenant à des circonstances exceptionnelles (évolution normale de la conjoncture, évolution s’écartant de la situation normale, catastrophe naturelle, situations exceptionnelles d’urgence…). La Constitution de l’État libre de Bavière s’inscrit dans une telle démarche, puisque son article 92 énonce que « par principe, le budget (de cet État) doit être équilibré sans recours net à l’emprunt », sauf en cas d’évolution conjoncturelle sortant de l’ordinaire, de catastrophe naturelle, d’urgence extraordinaire… L’Espagne, pour sa part, a modifié sa Constitution en 2011 en s’inspirant de ce « modèle » constitutionnel allemand, en inscrivant dans sa Constitution (art. 135) un principe d’équilibre budgétaire imposé à toutes les administrations publiques, mais qui là aussi repose sur l’existence possible d’un plafond de déficit structurel défini par une loi organique (établi à 0,40 % du PIB et réparti ou partagé entre l’État, 0,26 %, et les communautés autonomes, 0,14 %) et avec un échéancier plus lointain pour atteindre cet objectif d’équilibre (2020) et la faculté d’y déroger par exemple en cas de récession économique. La Constitution polonaise est sans doute d’une rigueur plus apparente même si elle n’aborde pas directement cette question de l’équilibre puisqu’elle n’impose en fin de compte que le respect d’un plafond de dette publique de l’État s’agissant de l’émission des emprunts ou l’octroi de garanties ou cautionnements et ce sans dépasser les trois cinquièmes du PIB (art. 216-5). L’Autriche, de son côté, ne prévoit dans sa Constitution qu’un objectif : « la gestion budgétaire de la Fédération, des Länder et des communes doit viser l’équilibre global de l’économie » (art. 13-2), une situation de péril pouvant justifier un dépassement de crédits pour faire face à des besoins imprévisibles et urgents (art. 51 b.). L’Italie a une approche quelque peu différente puisque sa Constitution (art. 81) énonce que l’État assure l’équilibre entre les recettes et les dépenses de son budget « en tenant compte des phases favorables et des phases défavorables du cycle économique », l’endettement devant s’inscrire dans ce processus et renvoyant à une loi, notamment, les critères visant à assurer l’équilibre entre les recettes et les dépenses des budgets ainsi que la possibilité de faire face à la dette de l’ensemble des administrations publiques.
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Plus particulière, inévitablement, est la situation du Royaume-Uni qui a adopté, à l’initiative de M. Gordon Brown, au travers du
Finance Act 1998 la mise en place d’un
Code for Fiscal Stability, lequel n’organise pas non plus une règle d’équilibre budgétaire sur une base annuelle mais énonce un objectif de réduction de la dette, celle-ci s’inscrivant dans un cycle économique. Quant à la Suède, celle-ci a très tôt intégré la question de l’équilibre et des soldes, dès 1996, en organisant un « modèle-cadre » destiné à permettre le retour à l’équilibre budgétaire et ce en s’imposant un plafond de dépenses triennal et un objectif de dégagement d’un excédent de 1 % du PIB sur l’ensemble d’un cycle.
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Si l’on sort de l’Union européenne les « contours disciplinaires » autour de la notion d’équilibre budgétaire sont tout aussi inégaux.
Aux États-Unis, des propositions tendant à constitutionnaliser l’équilibre du budget fédéral ont, il est vrai, échoué de très peu (six voix en 1990, une voix en 1996) – ce qui n’a d’ailleurs pas empêché de faire disparaître, à l’occasion, le déficit (v. ss 245) ; toutefois, au cours des années 2000, la dette des États-Unis n’a cessé de s’accroître obligeant le Congrès à élever le plafond de celle-ci. En outre, l’adoption du Budget Control Act of 2011 qui amendait un texte précédent, le Balanced Budget and Emergency Deficit Control Act of 1985, a constitué une tentative pour maîtriser la croissance des dépenses et du déficit et respecter ledit plafond au travers notamment d’un mécanisme de coupe automatique dans certaines dépenses comme en 2014 au travers d’un instrument la Continuing Resolution dès lors que le budget n’a pas été voté par le Congrès. Le Budget Control Act a prévu une réduction des dépenses de 1 200 Mds $ sur la période 2013-2021. Il prévoyait aussi que le Congrès vote fin 2011 un amendement constitutionnel sur l’équilibre du budget, vote de cet amendement qui échoua à deux reprises. Les États-Unis n’ont en fait connu de budget équilibré qu’à dix reprises depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Le Canada ne dispose pas non plus de loi fédérale en ce domaine ; en revanche, nombre de provinces ont adopté des lois d’équilibre budgétaire comme la Colombie britannique, le Québec, l’Ontario, le Manitoba (sur des bases annuelles ou cycliques). La Suisse, pour sa part, a posé à l’article 126 de sa Constitution le principe selon lequel la Confédération équilibre à terme ses dépenses et ses recettes, le plafond des dépenses totales devant être approuvé dans le budget étant fixé en fonction des recettes estimées, compte tenu de la situation conjoncturelle, tout en admettant que des besoins financiers exceptionnels puissent justifier le relèvement de ce plafond. C’est une loi de 2005 sur les finances de la Confédération qui organise la Gestion des finances de la Confédération en reprenant le principe constitutionnel et en instituant un mécanisme dit de frein à l’endettement sur la base d’un dispositif de compensation pluriannuelle du découvert avec en cas de dépassement d’un seuil de 6 % des dépenses totales effectuées sur un exercice, avec une élimination de ce dépassement durant les trois exercices comptables suivants ; on notera que la rigueur gestionnaire helvétique a cependant prévu là aussi des circonstances permettant le relèvement du plafond comme « des événements extraordinaires échappant au contrôle de la Confédération… ». On notera aussi que les cantons suisses sont dans leur très grande majorité dotés de règles budgétaires plus ou moins contraignantes en ce domaine.
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La France n’est pas étrangère à cette question. On soulignera la situation des collectivités publiques françaises subordonnées, notamment les collectivités locales, qui sont tenues de voter et d’exécuter leur budget en équilibre réel (en réalité sans déficit), en résorbant au besoin un éventuel déficit d’exécution, ce qui explique, notamment, que ces collectivités soient soumises au principe de continuité des exercices (v. ss 72). Mais l’application annuelle de la règle est atténuée par la possibilité d’équilibrer un budget grâce à l’emprunt, à charge de rembourser ensuite celui-ci par des ressources autres que l’emprunt. On rappellera enfin que nombre d’établissements publics nationaux se voient interdire de souscrire à des emprunts d’une durée supérieure à un an (Arr. du 8 sept. 2011).
De sorte que la collectivité publique soumise au régime le plus sévère est l’Union européenne qui, elle, doit équilibrer son budget (et résorber un éventuel déficit antérieur) sans recours à l’emprunt.
La France avait tenté en 2011 au travers d’un projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques, adopté en Conseil des ministres début mars 2011, et adopté dans les mêmes termes par chacune des deux Assemblées en juillet 2011, de s’inscrire dans une telle démarche destinée à assurer une maîtrise des déficits publics en organisant au travers d’une loi-cadre d’équilibre des finances publiques qui aurait été insérée notamment à l’article 34 de la Constitution. Cette « loi-cadre », à vocation pluriannuelle (au moins trois ans) aurait déterminé « les orientations pluriannuelles, les normes d’évolution et les règles de gestion des finances publiques, en vue d’assurer l’équilibre des comptes des administrations publiques » ; elle aurait eu valeur de loi organique et s’imposerait tant aux lois de finances qu’aux lois de financement de la Sécurité sociale. Une loi organique en préciserait le contenu. Faute d’une majorité qualifiée favorable, le président de la République d’alors, Monsieur Sarkozy, renonça à convoquer le Parlement en congrès.
Cet échec constitutionnel de l’Exécutif qui a suivi un échec parlementaire concernant une proposition de loi constitutionnelle relative au retour à l’équilibre des finances publiques (texte déposé en 2008 à l’Assemblée nationale par des parlementaires centristes et en particulier MM. Sauvadet et de Courson) devait mener à une autre approche fondée sur un traité intergouvernemental et une loi organique, sans que l’on soit certain qu’une « règle d’or » de l’équilibre budgétaire ait été réellement imposée ! En effet, ne pas recourir à l’emprunt pour le financement d’un budget pourrait être une règle simple à l’instar du budget de l’Union européenne, faut-il que les États adhèrent pour eux-mêmes à une démarche qu’ils imposent à l’Union européenne.
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On rappellera enfin qu’existe, dans le cadre de l’UEM européenne, un principe d’
équilibre des comptes de l’ensemble des administrations publiques, qui oblige non seulement à éviter les déficits excessifs mais aussi à tendre vers l’équilibre, voire l’excédent (v. ss 300), ce qui confère à l’État central (souvent incapable d’équilibrer son propre budget) la responsabilité de faire respecter le principe (souvent par les seules collectivités subordonnées).
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Le pouvoir financier peut lever l’impôt, disposer d’un budget, organiser ses finances, sans pour autant que la société n’ait connaissance de la gestion des finances publiques opérée par ce pouvoir. La publicité des comptes a donc été une étape majeure dans le processus général des contrôles des finances publiques (
A), les règles comptables stricto sensu étant le fruit d’une construction historique relativement ancienne (
B).
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L’absence de publicité des comptes et donc de transparence est sans doute l’un des reproches majeurs formulés à l’encontre de l’ancien régime. C’est Necker qui en 1781 prit une telle initiative (qui demeura sans lendemain) en publiant un compte général des recettes et dépenses et ce dans le prolongement d’une déclaration de Louis XVI du 17 octobre 1779 : « Nous ne nous dissimulons pas que cette méthode rendra bien moins secret l’état de nos finances ; mais ce sera une obligation de plus pour nous d’établir une constante harmonie entre nos dépenses et nos avances ».
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Il revient aux États-Unis, dans leur Constitution de 1787, d’avoir posé le principe d’une telle publicité
: « Aucune somme ne sera prélevée sur le Trésor, si ce n’est en vertu d’affectations de crédits stipulées par la loi ; un état et un compte réguliers de toutes les recettes et dépenses de deniers publics seront publiés périodiquement » (Section 9-7). La Constitution française de 1791 s’inscrit dans cette démarche de façon encore plus précise : « Les comptes détaillés de la dépense des départements ministériels, signés et certifiés par les ministres ou ordonnateurs généraux, seront rendus publics par la voie de l’impression, au commencement des sessions de chaque législature. - Il en sera de même des états de recette des diverses contributions, et de tous les revenus publics. - Les états de ces dépenses et recettes seront distingués suivant leur nature, et exprimeront les sommes touchées et dépensées année par année dans chaque district. - Les dépenses particulières à chaque département, et relatives aux tribunaux, aux corps administratifs et autres établissements, seront également rendues publiques » (art. 3). Cette exigence constitutionnelle française ne sera en fait guère réaffirmée à ce niveau ; seule la Constitution de 1795, énoncera cette obligation de publicité.
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On peut être amené à souligner l’emphase de l’approche française de la comptabilité publique dans le long processus qui a abouti au
XIXe siècle à une comptabilité publique unificatrice, centralisée et offrant un modèle de rationalité. La présentation de l’ordonnance du 31 mai 1838 portant règlement général sur la comptabilité publique en est la parfaite illustration : « Le code de la comptabilité publique française est le modèle adopté par la plupart des gouvernements de l’Europe » ; « Rien ne peut donner une idée plus juste de l’ordre admirable qui règne dans nos finances que ce règlement, qui embrasse toutes les branches de la comptabilité publique, depuis le vote de l’impôt par les Chambres jusqu’à sa perception directe par les plus humbles agents de l’administration ».
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Cette comptabilité s’inscrit dans une démarche historique qui n’est pas spécifiquement française. La tenue d’une comptabilité est un facteur historique particulièrement ancien et qui remonte à l’antiquité. Chaque État a progressivement développé son propre système de comptabilité publique, sous l’influence, plus ou moins grande, des principaux États comme le Royaume-Uni, la France… Les États-Unis ont connu un processus plus particulier lié à leur extension territoriale au cours du
XIXe siècle et à l’importance du phénomène local. Il en est résulté un système comptable dual avec des règles et principes comptables applicables d’une part aux « États et gouvernements locaux », et d’autre part au niveau fédéral. Cela a conduit à partir de 1894 à la constitution du
Governmental Accounting Standards Board (GASP) qui concerne les autorités locales et en 1921 au
Budget and Accounting Act avec une instance gestionnaire le
Federal Accounting Standards Advisory Board (FASAB). Ces deux « mécanismes » ont par la suite accepté la définition d’un ensemble de principes de comptabilité communs, les
Generally Accepted Accounting Principles (GAAP), reconnus par l’
American Institute of Certified Public Accountants (AICPA), puissante organisation professionnelle américaine, à vocation internationale (créée en 1887 avec à présent près de 360 000 membres dans plus de 120 pays). C’est à présent le
Financial Accounting Standard Board (FASB) qui publie ces normes pour les États-Unis.
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Les règles de comptabilité publique ont été ébauchées en France sous l’Ancien Régime, pour prévenir la fraude sur les deniers publics lorsque ces derniers sont apparus en se distinguant des deniers privés du roi. Elles ont été principalement développées à partir de la Restauration afin de remettre de l’ordre dans les finances publiques et de faire respecter la volonté de l’autorité budgétaire naissante (v. ss 17). Ce dernier souci est demeuré le trait essentiel de la comptabilité publique française, qui a pour objectif principal d’assurer la régularité des opérations financières, en premier lieu leur conformité aux autorisations données par le pouvoir politique, seule autorité légitime pour décider du montant et de l’emploi des prélèvements imposés aux administrés. La comptabilité publique diffère ainsi de la comptabilité privée, dont l’objectif est principalement technique (décrire fidèlement) et qui ignore, en conséquence, l’important droit comptable qui, au contraire, caractérise la comptabilité publique.
La comptabilité publique française est longtemps restée une comptabilité « de caisse » ou de « flux », principalement axée sur la dépense et la recette et peu centrée sur la description et la valorisation du patrimoine, au motif principal que la situation financière d’une personne publique ne repose pas sur son patrimoine, mais sur son pouvoir fiscal. Cette conception (qui connaissait dès l’origine une dérogation pour les services publics industriels et commerciaux) a, cependant, évolué parce que rien ne justifie, en réalité, que le patrimoine public soit négligé (ne serait-ce que pour obtenir une meilleure gestion publique) et parce qu’en tout état de cause il est nécessaire d’avoir une comptabilité commune à tous les agents économiques pour établir des statistiques nationales et internationales (v. ss 3). D’où les efforts actuels pour mettre sur pied, avec un succès inégal suivant les catégories de collectivités publiques, une « comptabilité patrimoniale » qui, selon les cas, diffère ou non de la comptabilité budgétaire (v. ss 582 et 664 s.).
L’introduction en France de la comptabilité en partie double remonte à un décret impérial du 4 janvier 1808 initié alors par Mollien qui fut ministre du Trésor public de 1806 à 1814, lequel avait aussi, deux ans auparavant, été à l’origine de la règle de l’unité de caisse (décret impérial du 16 juillet 1806).
Le développement des règles comptables renforce un processus unitaire et centralisé au profit du ministère du budget. L’ordonnance du 14 septembre 1822 va poser pour la première fois les principes généraux et les procédures uniformes d’une comptabilité publique descriptive avec la reconstitution d’un plan général et la soumission de toutes les comptabilités élémentaires chargées de constater l’exécution successive des services. Avec un journal et un grand livre apparaît une comptabilité générale des finances en tant qu’instrument central « d’ordre et de contrôle ». L’ordonnance précitée de 1838 constitue un récapitulatif méthodique des règles en cinq Titres dont un Titre IV sur les comptabilités spéciales (départements, communes). Le décret impérial des 31 mai-11 août 1862 portant règlement général sur la comptabilité publique (et qui perdurera jusqu’en 1962) ira plus loin encore, en « codifiant dans un seul acte » l’ensemble des textes pour adapter l’ordonnance de 1838 « à l’état actuel des institutions politiques et de la comptabilité publique ». Sont alors des deniers publics, les deniers « de l’État, des départements, des communes et des établissements publics ou de bienfaisance ».
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Ce droit, principalement réglementaire, résulte à présent du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (RGBCP) qui a été substitué au décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique (lequel avait lui-même remplacé le décret du 31 mai 1862, lui-même successeur de Ord. 31 mai 1838 : v. ss 17). Ce texte intègre certaines exigences de la LOLF (enveloppes limitatives, plafond d’emplois…), le périmètre du RGBCP étant élargi à un ensemble d’organismes assimilés à des administrations publiques au sens des textes de l’Union européenne (système SEC), c’est-à-dire à des personnes morales de droit privé (lorsque leurs statuts le prévoient) ou de droit public (liste établie par un arrêté interministériel du 1
er juillet 2013) ou de droit public ne relevant pas de la catégorie des administrations publiques, sauf si leurs statuts en disposent autrement. Il s’applique à l’État (dans certaines conditions désormais fixées par la LOLF : v. ss 577), aux collectivités territoriales (pour ce qui est des principes fondamentaux) et à la plupart des établissements publics (locaux d’enseignement, de santé, groupements de coopération sanitaire). Mais les collectivités et établissements publics locaux relèvent aussi souvent de dispositions législatives (en vertu Const., art. 34 et 72), tandis que les établissements publics nationaux ont un statut différencié : les établissements administratifs sont (sauf exceptions) soumis aux règles habituelles de comptabilité publique ; certains établissements industriels et commerciaux (dotés d’un agent comptable public) sont soumis à des règles assouplies de comptabilité publique ; les autres établissements industriels et commerciaux, essentiellement ceux qui constituent des entreprises publiques (de même que certains établissements publics locaux) ne sont pas soumis à la comptabilité publique (ils ne sont pas dotés d’agent comptable public) mais obéissent aux règles de la comptabilité commerciale. On notera que la Sécurité sociale comprend à la fois des organes centraux (établissements publics administratifs nationaux soumis à la comptabilité publique) et des caisses locales et régionales (organismes de droit privé soumis à des règles spécifiques fortement inspirées de la comptabilité publique).
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Au cours du
XXe siècle et jusqu’à présent, on a assisté à un processus d’
internationalisation des normes et règles comptables. Ce processus est d’abord le fruit d’acteurs privés et en particulier des professionnels de la comptabilité du monde anglo-saxon et notamment britannique. Ce développement est marqué par l’émergence dans les années 1970 d’un organisme privé, l’
International Accounting Standard Committee (IASC) à l’origine des normes IAS, qui a progressivement étendu son influence, pour devenir par la suite
l’International Accounting Standard Board (IASB) à l’origine des normes dites IFRS (
International Financial Reporting Standards) devenues IAS-IFRS. L’Europe a abandonné toute tentative de construction de normes européennes au début des années 2000 (règlement du 19 juillet 2002), faisant des normes IFRS les normes applicables aux entreprises européennes. La Communauté européenne mettait en avant une démarche impliquant une « convergence renforcée des normes comptables actuellement appliquées sur le plan international, l’objectif étant, à terme, de créer un jeu unique de normes comptables mondiales », l’article 4 du règlement précité énonçant l’obligation pour les entreprises (à effet au 1
er janvier 2005) régies par le droit national d’un État membre de préparer leurs comptes consolidés conformément aux normes comptables internationales (adoptées selon une procédure particulière) c’est-à-dire les normes comptables IAS et les normes internationales d’information financière, IFRS et les interprétations s’y rapportant (SIC/ IFRIC). Les États-Unis ont cependant conservé encore, pour leur part, leurs propres normes comptables, tandis que la France sur la base de l’article 5 du règlement de 2002 retenait la liberté laissée aux entreprises concernées d’opter pour l’utilisation des normes comptables internationales (Code de commerce, art. L.233-24).
102
Le lien entre la comptabilité privée, la comptabilité publique, les finances publiques et la fiscalité est, à présent, clairement dessiné, à tout le moins en France. Ainsi, la LOLF dispose en son article 30 que les règles applicables à la comptabilité générale de l’État ne se distinguent de celles applicables aux entreprises qu’en raison des spécificités de son action (faut-il encore identifier ces spécificités !), tandis que l’Annexe III du CGI, en son article 38 quater, énonce que les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général (PCG) sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l’assiette de l’impôt. Depuis 2009, en France c’est l’
Autorité des normes comptables qui permet d’établir, sous forme de règlements (homologués par le ministère du budget), les prescriptions comptables générales et sectorielles que doivent respecter les personnes physiques ou morales soumises à l’obligation légale d’établir des documents comptables conformes aux normes de la comptabilité privée (art. 1
er)., et ce avec l’appui d’un
Conseil de normalisation des comptes publics pour ce qui est « de la normalisation comptable de toutes les entités exerçant une activité non marchande et financées majoritairement par des ressources publiques, et notamment des prélèvements obligatoires ». Le recueil des normes comptables de l’État intègre ainsi le PCG (à présent 2014) et les référentiels comptables internationaux (sauf exception).
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Le droit fiscal est un élément constitutif majeur des finances publiques. De plus, et pour reprendre la formulation d’auteurs bien connus, « … la fiscalité est inconcevable sans juridisme » (Lambert – Bienvenu,
Droit fiscal). Louis Trotabas put le présenter comme « la branche du droit public qui règle les droits du fisc et leurs prérogatives d’exercice » l’amenant à souligner l’existence d’un pouvoir fiscal qui « est, au point de vue juridique, l’élément primordial du régime fiscal » (
Précis de Science et Législation financière, 1933). Les prélèvements obligatoires perçus par les autorités publiques font en effet une place toute particulière à l’impôt (
A). À notre époque, l’établissement de cet impôt n’est pas totalement discrétionnaire mais doit obéir à certains principes fondamentaux (
B), mis en œuvre par de multiples règles particulières qui régissent, notamment, la procédure fiscale (
C) et le contentieux fiscal (
D).
104
Il convient d’identifier l’impôt (
1) et d’en présenter les classifications (
2).
105
Celle-ci n’est pas toujours clairement délimitée en raison d’une terminologie déficiente (il ne faut pas s’attacher à l’intitulé officiel des prélèvements) et de concepts parfois approximatifs.
L’impôt aurait été défini par Gaston Jèze, au début du XXe siècle, comme une « prestation (pécuniaire) requise des (particuliers) par voie d’autorité, à titre définitif et sans contrepartie (en vue de la couverture des charges publiques) ».
Trois éléments, mis entre parenthèses dans cette citation, sont discutables.
Le caractère pécuniaire de l’impôt correspond, à notre époque, à la grande majorité des cas mais il y a eu (journées de travail) et il y a encore parfois (remise d’œuvres d’art ou d’immeubles) des impôts payables « en nature ».
L’impôt n’est pas seulement payé par des particuliers, mais il l’est aussi par des personnes morales, de droit privé (sociétés, associations) ou de droit public (qui se doivent mutuellement des impôts).
L’impôt est le plus souvent perçu en vue de la couverture des charges publiques, ce qui le distinguerait en particulier des sanctions pécuniaires, établies dans un but répressif, mais il a parfois pour but de favoriser ou de pénaliser certaines activités, ce qui est devenu courant avec le développement de l’interventionnisme fiscal (v. ss 263).
Pour autant, Jèze a aussi défini l’impôt comme « un procédé de répartition, entre tous les individus formant la collectivité, des dépenses entraînées par le fonctionnement des services publics et non couvertes par les usagers ou les bénéficiaires » (Cour de finances publiques, 1932).
L’impôt est donc un prélèvement obligatoire qui, aux termes de la jurisprudence (CE 3 juill. 1998, Syndicat des Médecins Aix et région ; Cons. const. 29 déc. 1998, 98-405 DC) et de la loi organique du 1er août 2001 (art. 2, 34, 36 et 51), peut être effectué au profit, non seulement de toute personne morale de droit public (y compris un établissement public), mais encore d’une personne privée chargée d’une mission de service public, voire même, dans certains pays, d’une personne « privée » (songeons à l’impôt cultuel perçu, dans certains pays, notamment l’Allemagne, au profit des principales Églises).
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Ce prélèvement obligatoire se distingue de
l’emprunt, généralement provisoire (mais ont existé des « emprunts perpétuels » : v. ss 610), non obligatoire (mais ont existé des « emprunts forcés » : v. ss 191) et, en principe, rémunéré.
Le caractère définitif de l’impôt n’empêche évidemment pas que les pouvoirs publics puissent décider d’en restituer une partie (ainsi la prime pour l’emploi instituée en 2001).
107
Il se distingue aussi de la
redevance qui, même lorsqu’elle est obligatoire, est la contrepartie directe d’un service rendu (rémunération pour service rendu, appelée prix dans les services industriels et commerciaux) ou la contrepartie d’un avantage particulier consenti par l’administration (redevance d’occupation du domaine public).
La rémunération pour service rendu fait, quant à son critère, l’objet de jurisprudences désormais concordantes (CE 21 nov. 1958, Syndicat national des transporteurs aériens ; T. confl. 28 juin 1965, Dlle Ruban ; CJCE 8 févr. 1968, Van Leeuwen ; Cons. const. 6 oct. 1976, 76-92 L) et inclut, notamment, les péages autoroutiers.
Les redevances d’occupation du domaine public ont été distinguées, non seulement des rémunérations pour service rendu (Cons. const. 25 juill. 2001, 448 DC ; CE 29 nov. 2002, Cne Barcarès, et, pour la redevance d’utilisation des ondes, 28 déc. 2000, 442 DC, et 27 déc. 2001, 456 DC), mais encore des impositions (jurisprudence administrative inaugurée en 1989 et qui peut, elle, être discutée car plusieurs redevances étaient auparavant considérées comme des contributions indirectes). On notera que le Code général de la propriété des personnes publiques pose en son article L. 2125-1 que toute occupation ou utilisation du domaine public mentionnée (à l’art. L. 1) donne lieu au paiement d’une redevance.
On a aussi parfois distingué l’impôt (perçu sans contrepartie identifiable) et la rémunération pour service rendu (contrepartie directe, car équivalente, du service rendu) de la taxe fiscale (par exemple la taxe d’enlèvement des ordures ménagères) qui est perçue à l’occasion d’un service rendu mais qui n’en est pas la contrepartie directe notamment parce qu’elle peut lui être supérieure (ce qui conduit, dans le régime applicable, à assimiler taxe fiscale et impôt).
Mais l’impôt n’est pas le seul prélèvement obligatoire puisque l’on a pu traditionnellement distinguer deux catégories de ressources.
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Il s’agit, d’une part, des
cotisations sociales, qui, à la différence de l’impôt, ouvrent droit à des prestations (Cons. const. 29 juill. 1992, 311 DC, et 13 août 1993, 325 DC) – mais qui, dans les statistiques officielles (notamment les comparaisons entre pays),
sont ajoutées aux impôts pour mesurer les prélèvements obligatoires (v. ss 204).
On notera, par ailleurs, que les qualifications nationales des prélèvements obligatoires ne sauraient lier le juge européen ; ainsi, la CSG, considérée en droit français comme un impôt (tout comme la CRDS…), a été soumise par la CJCE au régime des cotisations sociales, parce que participant au financement de la protection sociale (CJCE 16 janv. 2007, aff. C-265/05, Jose Perez Naranjo c/ CRAM Nord-Pas-de-Calais ; v. ss 567 ; CJUE, 26 févr. 2015, aff. C-623/13, Min. de l’économie et des fin. c/ Gérard de Ruyter).
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Il s’agissait, d’autre part, des taxes parafiscales qui, selon l’ordonnance du 2 janvier 1959 (art. 4), étaient des prélèvements perçus « dans un intérêt économique ou social au profit d’une personne morale de droit public ou privé autre que l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs ». Leur institution et leur régime dépendaient du pouvoir réglementaire, le Parlement ne faisant qu’en autoriser la perception au-delà du 31 décembre (mais pouvant les remplacer par des impôts).
Leur nombre était en baisse (environ 150 sous la IVe République, une quarantaine au moment du vote de la loi organique de 2001). Généralement perçues au profit d’organismes professionnels ou techniques (et de certains établissements publics industriels et commerciaux), elles représentaient, en leur dernier état, environ 0,75 Md € (hors redevance de l’audiovisuel).
La « redevance » de l’audiovisuel avait, elle, un caractère parafiscal par détermination du Conseil constitutionnel (Décis. 11 août 1960, 8 DC, constamment réaffirmée, en dernier lieu dans la décision 27 juill. 2000, 433 DC) et obéissant à un régime spécial.
Aussi la LOLF (art. 63) avait prévu la suppression à compter du 1er janvier 2005 de ces taxes, dont la majorité fut remplacée, lorsque leurs bénéficiaires étaient chargés de missions de service public, par des « impositions ».
Aux termes de l’article 2, alinéa 2, de la LOLF, « les impositions de toutes natures ne peuvent être directement affectées à un tiers qu’à raison des missions de service public confiées à lui (…) », ce qui pose évidemment problème pour les organismes qui présentent un simple « intérêt économique et social », selon la condition antérieurement posée par l’article 4 de l’ordonnance de 1959.
Sur le plan juridique, l’abrogation de l’article 4 de l’ordonnance de 1959 a pris effet le 1er janvier 2005 mais, dès 2004, seule une disposition législative particulière pouvait permettre le maintien provisoire d’une ancienne taxe.
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L’expression « impositions de toutes natures » est, en effet, employée par l’article 34 de la Constitution de 1958 pour désigner les prélèvements obligatoires dont le régime est réservé à la loi.
Le principe posé, à la suite du Conseil constitutionnel (Décis. 124, L. 23 juin 1982), par la jurisprudence administrative (CE 20 déc. 1985, Syndicat national des industriels de l’alimentation animale ; T. confl. 12 janv. 1987, Compagnie des eaux et de l’ozone), est que constituent des impositions de toutes natures, soumises à un régime législatif, tous les prélèvements obligatoires qui ne sont, ni des redevances (ni, jusqu’à leur suppression, des taxes parafiscales), ni des cotisations sociales, ce qui est discutable pour ces dernières.
En l’état actuel, ces impositions de toutes natures sont donc uniquement des impôts et taxes fiscales.
Mais l’exclusion de ces catégories de ressources a été parfois discutée, en particulier pour les cotisations sociales que les statistiques de l’OCDE classent dans les recettes fiscales et qui, en droit interne, sont d’ailleurs soumises à un régime partiellement législatif, seul leur taux relevant pleinement du pouvoir réglementaire (v. ss 749 s.).
S’agissant des rémunérations de services rendus par l’État, l’article 4 de la LOLF précise qu’elles sont perçues sur la base de décrets en Conseil d’État qui « deviennent caducs en l’absence d’une ratification dans la plus prochaine loi de finances afférente à l’année concernée ». Mais le Conseil constitutionnel a énoncé qu’une telle ratification ne concernait que le décret instituant la rémunération (à l’exclusion des actes pris sur la base de ce décret) et n’étant qu’une autorisation de continuation de perception, qui ne portait pas atteinte à la compétence réglementaire en la matière (ces redevances étant, par ailleurs, distinctes des revenus industriels et commerciaux et des produits du domaine) (Décis. 29 juill. 2001, 449 DC).
Par ailleurs, le droit positif continue de révéler des prélèvements obligatoires qui ressemblent à des impositions mais ont été exclus du régime législatif (parfois pour de simples considérations d’opportunité).
Ce sont des prélèvements que Paul Amselek appelle les « impositions quasi fiscales », en distinguant celles qui sont accessoires à des mesures de réglementation économique (par exemple les prélèvements agricoles européens jusqu’en 1995 ou les prélèvements de coresponsabilité sur le lait), celles qui sont présentées comme des « participations » ou « contributions » (notamment en matière d’urbanisme ou de voirie routière) et celles qui sont inclassables (par exemple prélèvements sur les produits des jeux dans les casinos ou du PMU, ou les droits de place et de voirie…).
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Elle aboutit à deux distinctions principales. La première, traditionnelle, oppose l’
impôt direct, pour lequel le redevable (celui qui doit verser l’impôt au fisc) est légalement la même personne que le contribuable (celui qui supporte l’impôt), ce qui permet d’établir directement l’impôt au nom des contribuables (dont on peut éventuellement fixer la liste dans un rôle), à l’
impôt indirect, pour lequel le redevable (l’assujetti) ne fait que collecter l’impôt auprès des contribuables (généralement inconnus du fisc) et le verser à l’administration. La deuxième distinction, fondée sur la matière imposable, sépare l’
imposition du revenu (acquisition de la richesse), l’
imposition du patrimoine ou de la fortune ou du capital (possession de la richesse) et l’
imposition de la dépense (utilisation de la richesse) Les autres classifications sont plus particulières. Certaines sont fondées sur la base imposable et opposent, d’une part l’impôt personnel (qui tient compte de la situation du redevable) à l’impôt réel (qui frappe un élément économique sans considération de la personne), d’autre part l’impôt analytique (qui ne frappe qu’un élément d’une situation d’ensemble) à l’impôt synthétique (qui frappe une situation d’ensemble). D’autres sont fondées sur le tarif de l’impôt et opposent deux à deux impôt de répartition (on décide d’un produit, ensuite réparti) et impôt de quotité (on décide d’un taux, ensuite appliqué), impôt spécifique (un montant déterminé par unité, par exemple 15 € par quintal) et impôt
ad valorem (un pourcentage de la base imposable), impôt proportionnel (le taux ne varie pas) et impôt progressif (le taux augmente avec la valeur imposable, en général par tranches successives).
112
La décision fiscale prise par les autorités financières publiques et mise en œuvre par l’administration fiscale doit, dans un État de droit, respecter les principes fondamentaux d’égalité (
1) et de légalité (
2), auxquels pourraient être ajoutés, mais avec beaucoup plus de nuances, ceux de nécessité (
3) et de non-rétroactivité (
4).
113
Celui-ci est susceptible d’au moins trois acceptions.
L’égalité devant la loi fiscale concerne la mise en œuvre de la législation fiscale et signifie que cette dernière doit s’appliquer de la même façon à tous. Aspect du principe d’égalité devant la loi, elle est applicable par le juge mais elle est parfois faussée par la pratique (fraude, tolérances…) et ne préjuge pas du caractère équitable de la législation à appliquer (on peut appliquer également une législation inéquitable).
L’égalité devant l’impôt concerne l’élaboration de la loi fiscale et signifie, suivant l’article 13 de la Déclaration de 1789, que la « contribution commune… doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
La conception de cette égalité a évolué. En particulier, on a longtemps estimé qu’un impôt équitable était un impôt à taux proportionnel (même taux, quelle que soit la base), « les citoyens profitent des avantages sociaux en proportion des revenus dont ils jouissent » (Dictionnaire du droit français, Impôt, 1896), théorie soutenue notamment par Smith, Turgot, Passy, L. Say…, avant de considérer, à partir du début du XXe siècle, que la notion de facultés contributives imposait un impôt progressif (le taux augmente avec la base), de façon à réaliser une égalité de sacrifices (payer 20 % de son revenu ou de sa fortune est un sacrifice plus grand pour un pauvre que pour un riche) ; il s’agit alors de considérer que « pour que le fardeau de l’impôt pèse d’un poids égal sur le riche et sur le pauvre il faut donc faire payer un tantième d’autant plus élevé que le revenu est plus considérable » (Dictionnaire du droit français), théorie défendue pour sa part, par Montesquieu, Rousseau, Condorcet, J.-B. Say, Bentham, Schäffle…
114
Toutefois, la réforme fiscale entreprise, à la suite des États-Unis, par de nombreux pays industrialisés à partir des années 1980 a sensiblement atténué cette progressivité. Des États ont ainsi adopté, encouragés en cela par certains milieux économiques, un système d’impôt sur le revenu à taux unique (relativement bas), autrement dénommé «
flat tax », simple retour au schéma prédominant au
XIXe siècle.
En France, le principe de la progressivité a cependant été posé, s’agissant de l’imposition du revenu, par le Conseil constitutionnel (v. par ex. 29 déc. 1989, 89-268 DC, 21 juin 1993, 93-320 DC).
Le Conseil constitutionnel apprécie cependant les capacités contributives par impôt ou catégorie d’impôts, admettant que certaines impositions soient proportionnelles et non personnalisées (29 déc. 1999, 424 DC) ; pour chaque impôt ou catégorie d’impôts, il valide les mesures qui permettent, à ses yeux, de mieux prendre en compte les facultés contributives (28 déc. 2000, 442 DC) mais censure celles qui ne prennent pas en compte l’ensemble des facultés contributives (19 déc. 2000, 437 DC : censure d’une réduction de la CSG sur les revenus d’activités qui ne tenait compte, ni des autres revenus du contribuable, ni des autres revenus du foyer, ni des personnes à charge). Plus originale est sa décision du 29 décembre 2014 (708 DC) qui l’a amené, à propos d’un régime particulier d’imposition des plus-values immobilières, à censurer le dispositif en question en raison de la charge fiscale excessive (et donc de son caractère confiscatoire) qui allait en résulter pour les contribuables concernés « au regard de leur capacité contributive » et est « contraire au principe d’égalité devant les charges publiques ». A contrario, ce caractère confiscatoire n’est pas apparu pour le Conseil dans des dispositions destinées à lutter contre les paradis fiscaux s’agissant de la forte inégalité de taxation introduite selon que l’opération est ou non avec un État ou territoire non coopératif (20 janv. 2015, 437 QPC, Ass. française des entreprises privées et autres).
115
Par ailleurs, le développement de l’
interventionnisme fiscal à partir de l’entre-deux-guerres a de plus en plus conduit le législateur à favoriser ou pénaliser, pour des raisons assez diverses tenant à l’économie, la morale (cf. art. 235, 279 bis du CGI), la santé… certaines situations ou opérations économiques et sociales et, par là même, à rompre très largement avec le principe d’égalité. Le Conseil constitutionnel (en s’inspirant souvent de la jurisprudence du Conseil d’État) s’est efforcé d’encadrer ces pratiques en posant pour principe que le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels mais peut traiter de manière différente des situations (présumées) différentes.
Le Conseil constitutionnel a, en revanche, censuré des mesures de faveur réservées aux agriculteurs corses alors qu’aucune différence de situation ne le justifiait (28 déc. 2000, 441 DC), ou des dispositions accordant de façon différenciée des allégements à des marins-pêcheurs placés dans la même situation (7 déc. 2000, 435 DC). Il a également censuré un projet de taxe communale sur les activités commerciales saisonnières (« ventes à emporter »…) qui ne tenait pas compte de la durée d’installation dans la commune (29 déc. 1999, 424 DC) – puis validé un nouveau texte qui, prenant en compte cette durée, était, cette fois, « fondé… sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but… fixé » (28 déc. 2000, 442 DC). C’est aussi en raison de ce qu’il s’était fondé sur « un critère objectif et rationnel » que le législateur ne sera pas censuré pour avoir entendu favoriser la production et la vente de produits d’origine laitière entrant dans la composition des corps gras non végétaux (taux réduit de TVA) par rapport aux margarines et graisses végétales (taux normal) (29 avr. 2011, 121 QPC, cons. 4). Il a cependant censuré la « contribution carbone » en raison de l’importance des régimes d’exemption totale contraires à l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique (29 déc. 2009, 599 DC, cons. 82), le régime de la cotisation foncière des entreprises applicables aux entreprises soumises à l’article 1467 du CGI parce que traitant différemment des contribuables se trouvant dans des situations identiques au regard de l’objet de la loi (29 déc. 2009, 599 DC, cons. 16), la contribution exceptionnelle de solidarité sur les très hauts revenus d’activité parce qu’il n’était pas fait référence à l’existence du foyer fiscal, méconnaissant ainsi l’exigence de prise en compte des facultés contributives (29 déc. 2012, 662 DC, cons. 73), les régimes particuliers de réduction d’impôt en faveur de l’investissement outre-mer et en matière d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles car ils permettaient à certains contribuables de limiter la progressivité de l’impôt sur le revenu (29 déc. 2012, 662 DC, cons. 122), ou encore le maintien « sans motif légitime » de la dispense de paiement des droits de mutation dans les transmissions d’immeubles ou de droits immobiliers situés en Corse à l’occasion des successions (29 déc. 2012, 662 DC, cons. 133).
L’émergence de la question prioritaire de constitutionnalité (Const., art. 61-1) a redonné un nouveau « souffle » à ce type de contestation (censure d’une cotisation supplémentaire en matière d’impôt sur les sociétés, 14 oct. 2010, Compagnie agricole de La Crau, 52 QPC ; censure d’une différence de traitement au regard d’une taxe locale d’électricité, 4 févr. 2011, Sté Laval Distribution, 97 QPC…).
Il peut même, si l’intérêt général l’exige, prendre des « mesures incitatives » (avantage ou pénalisation) en traitant de manière différenciée des situations semblables mais il faut que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit et n’entraîne pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.
Le Conseil constitutionnel admet « des mesures d’incitation par l’octroi d’avantages fiscaux » (27 déc. 2001, 416 DC) ou des pénalisations sous forme de contributions versées (dans des limites jugées raisonnables) par les grandes entreprises qui licencient (12 janv. 2002, 445 DC). Il accepte « des impositions spécifiques ayant pour objet d’inciter les redevables à adopter des comportements conformes à des objectifs d’intérêt général » mais censure des modalités (de la taxe générale sur les activités polluantes) qui ne sont pas justifiées au regard de cet objectif (28 déc. 2000, 441 DC). De même, il accepte que « le législateur décide de favoriser par l’octroi d’avantages fiscaux la transmission de certains biens » mais censure des modalités réduisant les droits sur la transmission d’entreprises qui, par rapport à cet objectif, créent des discriminations injustifiées entre bénéficiaires et autres donataires et héritiers (28 déc. 1995, 396 DC). En revanche, il n’a pas admis le plafonnement de certains avantages fiscaux au titre de l’impôt sur le revenu en fonction de la composition du foyer fiscal ; « au regard du principe d’égalité devant l’impôt, la justification des dispositions fiscales incitatives est liée à la possibilité effective, pour le contribuable, d’évaluer avec un degré de prévisibilité raisonnable le montant de son impôt selon les diverses options qui lui sont ouvertes…, même si des motifs d’intérêt général suffisants peuvent justifier la complexité de la loi » (29 déc. 2005, 530 DC).
116
Enfin, l’égalité peut être conçue, non pas comme l’égalité devant tel ou tel impôt mais comme une
égalité devant le système fiscal, en prenant en compte l’ensemble des impôts et, plus généralement, des prélèvements obligatoires supportés par chacun. Traditionnellement, le Conseil constitutionnel refusait d’en faire un principe juridique (sauf pour les batteries d’impositions qui, telles les éléments de la CSG ou les contributions au redressement de la Sécurité sociale, ont une même finalité : 28 déc. 1990, 285 DC, et 18 déc. 1997, 393 DC), car il serait très difficile de l’appliquer de manière précise, mais les pouvoirs publics s’efforçaient parfois d’en apprécier les éléments ; ainsi, le Conseil des impôts, institué en 1971 et remplacé en 2005-2006 par le Conseil des prélèvements obligatoires composé de magistrats et de hauts fonctionnaires, avait pour mission de constater la répartition de la charge fiscale.
Cette égalité devant le système fiscal avait cependant pris une tournure nouvelle avec l’instauration par la loi de finances pour 2006 d’un « bouclier fiscal », limitant le total de certains impôts directs demandés au contribuable à un certain pourcentage de ses revenus (v. ss 211). Il s’agissait donc, cette fois, d’apprécier la pression fiscale individuelle par rapport à plusieurs impôts, c’est-à-dire au système fiscal. Le principe en fut admis par le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen exigeant une « contribution également répartie entre les citoyens en raison de leurs facultés » ; ce principe, estima le Conseil, ne serait pas respecté « si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire en faisant peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives » (cons. 65) ; en ce sens, dans son principe, le bouclier fiscal « loin de méconnaître l’égalité devant l’impôt, tend à éviter une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques » (cons. 66). Cette « rupture caractérisée » ne s’apprécie donc pas seulement face à un impôt mais aussi, désormais, par rapport à plusieurs impôts.
Dans le même sens : v. Cons. const. 16 août 2007, 555 DC, Loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, cons. 24 et 25.
Le Conseil a estimé que les modalités retenues en l’espèce « ne sont pas inappropriées à l’objectif que s’est fixé le législateur », le Conseil n’ayant pas le même pouvoir d’appréciation que le Parlement, ne peut rechercher « si cet objectif pourrait être atteint par d’autres mesures » (29 déc. 2005, 530 DC, cons. 67).
Discuté, le « bouclier fiscal » fut supprimé en 2011 par la même majorité qui l’avait institué. Cette suppression fut réalisée au travers de la loi de finances rectificative de juillet 2011.
Or, la décision 662 DC précitée paraît avoir prolongé cette approche en créant une sorte de « bouclier fiscal » tenant sans doute au poids excessif de l’impôt au regard d’un type de revenu mais aussi en appréhendant ce revenu par rapport à un ensemble d’impositions pouvant conduire à l’identification d’une « charge excessive au regard » de la faculté contributive du contribuable (cons. 81…).
Le Conseil constitutionnel français n’a pas hésité à reprendre l’expression « confiscatoire » dans ses décisions. Le rapport à l’impôt (pris au sens générique et donc de prélèvement obligatoire) a été et demeure un sujet d’une grande sensibilité non seulement sous l’angle de la fraude fiscale et de l’évasion fiscale mais aussi et tout simplement sous celui de la capacité individuelle et collective à en assurer la charge et de fait une « supportabilité » qui peut évoluer dans le temps, au-delà de laquelle le contribuable-redevable adoptera des stratégies d’évitement. La réaction face à l’instauration de l’écotaxe n’est en fait pas un phénomène exceptionnel. Mais qui se rappelle que, en 1984, la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu (12 tranches à l’époque) était à 65 % et que l’impôt sur les sociétés connaissait un taux de 50 %, et alors que le taux majoré de TVA était de 33,33 % de 1970 à 1988 ?
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L’opposition à l’impôt a toujours existé, ponctuellement ; elle fut même un fondement sous l’ancien régime de la lutte contre le « tyran ».
Cette contestation fiscale a existé en France, par exemple à l’occasion de la création de l’impôt sur le revenu, ou encore dans la mise en œuvre de la patente (mouvement « Poujadiste » en 1956, CDCAE des années 1980-1990… sans compter les nouvelles dénominations plus récentes et particulièrement imagées des « pigeons », « poussins » « moineaux »… et autres plumitifs à tendance volaillère, avec un curieux oubli dans l’utilisation, mais sans doute le terme était-il déjà trop utilisé et courant, à savoir celui de « dindon » !), pas nécessairement sensibles au discours sur le civisme fiscal (en Allemagne, cette question est plutôt appréhendée sous l’angle de la discipline fiscale).
Ce n’est en outre pas un phénomène spécifiquement français. L’histoire ancienne et récente est jalonnée de révoltes et contestations fiscales : ce fut la révolte fiscale au IVe siècle avant J.-C. des colonies athéniennes, en France à de nombreuses reprises par exemple avec les Jacqueries populaires aux XVe, XVIe, XVIIe siècles, celle des « Bonnets » bleus ou rouges en 1675 contre le papier timbré dans l’ouest de la France et notamment en Bretagne, les Frondes notamment au XVIIe siècle, ce sera aussi de façon plus partisane, politique, au Danemark en 1973 l’apparition d’un parti contre l’impôt, phénomène que l’on va retrouver en Norvège, le référendum « anti-fiscal » en Californie (« Proposition 13 », en 1978), et plus près de nous les phénomènes « Thatcher » au Royaume-Uni en 1979, « Reagan » aux États-Unis en 1985… Mais les États-Unis ne sont-ils pas nés d’une révolte fiscale ? Les réticences des contribuables grecs à l’égard de l’impôt peuvent aussi être examinées en fonction de leur rapport à l’État et de sa gouvernance.
Mais, si la collectivité des contribuables avait pu considérer en France que l’impôt était un instrument de redistribution et de solidarité, un récent sondage (Opinion Way, nov. 2014) a confirmé une forme de rejet de l’impôt en tant qu’instrument de solidarité, même si l’impôt demeure pour une majorité un devoir citoyen, forme de civisme fiscal qui est de plus en plus contestée, les contribuables étant très majoritaires à vouloir en outre pouvoir choisir eux-mêmes l’emploi de leurs impôts.
Cette contestation peut revêtir à présent une triple dimension tenant :
à l’objet de la dépense,
à la validité du consentement parlementaire,
à l’impôt lui-même (taux, croissance, caractère confiscatoire…).
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L’égalité par l’impôt est, elle, un principe plus ambitieux, qui vise à réaliser « l’égalité réelle » par une fiscalité, au besoin discriminatoire, assurant une redistribution des fortunes. Préconisée par certains courants de pensée, elle a été peu appliquée car la pratique est restée en deçà, se contentant d’une redistribution des revenus, ou est allée au-delà, par la suppression de principe de la propriété individuelle, rendant marginal le rôle de l’impôt.
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Cette question de la redistribution se marie avec celle de
l’équité fiscale, qui transparaît mêlée à la notion de
justice fiscale. Cette thématique est consacrée dans les constitutions de différents États, comme l’Espagne qui met en avant l’existence d’un système fiscal juste « fondé sur des principes d’égalité et de progressivité qui n’aura, en aucun cas, l’effet d’une confiscation » tout en énonçant que les dépenses publiques assureront « une répartition équitable des ressources publiques » (art. 31-1 et 31-2). Les Pays-Bas ne proclament pas autre chose, lorsque leur Constitution énonce que « les pouvoirs publics veillent à la sécurité d’existence de la population et à la répartition de la prospérité » (art. 20), ce que ne désavouerait pas la Constitution colombienne, « La personne et le citoyen ont le devoir de contribuer au financement des dépenses et des investissements de l’État au travers des principes de justice et d’équité » (art. 95). Ce thème de l’équité fiscale n’est pas proprement européen ; la Cour suprême du Canada (CSC), la Cour canadienne de l’impôt, y ont consacré de nombreuses décisions avec des prises de position des juges dont l’intérêt réside dans leur publicité. L’équité fiscale fut ainsi présentée par un juge comme visant « la meilleure répartition du fardeau fiscal compte tenu des besoins du fisc, de la capacité de payer des contribuables et des politiques économiques et sociales de l’État » qu’il ne faut pas confondre avec « la notion de droit à l’égalité » (Juge Gonthier, CSC,
Thibaudeau c/ Canada, 1995).
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Le débat sur l’instauration de seuils d’imposition peut relever de cette même dimension. Demeure en effet débattue en matière d’imposition des revenus (la loi de finances pour 2015 réformant le barème de l’IR pouvant être une traduction de cette discussion) la question d’un non assujettissement à l’impôt d’une fraction du revenu, non-assujettissement permettant d’assurer à chacun un «
minimum d’existence » c’est-à-dire en ne frappant pas par l’impôt ce qui peut être « considéré comme strictement nécessaire aux besoins de l’existence ». Ce débat qui n’est pas non plus nouveau rejoint celui concernant le développement d’un
impôt sur le revenu négatif développé aux États-Unis et qui peut être considéré comme revêtant en France une double approche au travers de la prime pour l’emploi (PPE) et le Revenu de solidarité active (RSA), dont la fusion est envisagée pour un nouveau dispositif en 2016 ou au-delà.
121
On peut sans doute aussi mettre en parallèle ce questionnement français avec celui qui a accompagné en Allemagne l’identification du droit fondamental à «
un minimum vital conforme à la dignité humaine » à propos duquel le Tribunal constitutionnel fédéral devait préciser, dans un arrêt célèbre du 9 février 2010 « Hartz IV », qu’il appartenait au législateur de définir objectivement le contenu (« les prestations nécessaires ») conformément « à la réalité et aux besoins qui ne peuvent être seulement physiques » en tenant compte de paramètres inhérents au type de personne concernée (ex. les besoins d’un enfant, d’un écolier…)
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La portée de l’équité fiscale face au principe d’égalité doit cependant être relativisée. Il s’agit certes d’un instrument distorsif de ce dernier mais dans des limites de proportionnalité qui doivent empêcher une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques (Cons. const., 662 DC du 29 déc. 2012). En outre, le Conseil constitutionnel a pu écarter certaines tentatives de reconnaissance de principes constitutionnels d’équité comme, par exemple, l’équité entre les générations (388 DC, 20 mars 1997). L’équité fiscale peut, en tout état de cause, être le fondement de mesures dérogatoires, exonératoires, faut-il encore être en mesure d’en justifier au regard du droit de l’Union européenne (CJCE, 7 juin 2007, aff. C-178/05,
Commission c/ Rép. hellénique).
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Au sens étroit, et originel, ce principe signifie que la matière fiscale dépend de la loi. Conséquence du principe traditionnel de consentement à l’impôt, rappelé notamment dans l’article 14 de la Déclaration de 1789 (v. ss 12), il trouve actuellement son expression dans l’article 34 de la Constitution de 1958, aux termes duquel la loi fixe les règles concernant « l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures » (sur le contenu de cette notion d’impositions : v. ss 109). Tel qu’interprété par la jurisprudence, ce texte revêt une double signification.
D’une part, ce sont des dispositions législatives (ou assimilées) qui doivent fixer les éléments essentiels de la fiscalité (y compris de la fiscalité locale : v. ss 47) ; ces éléments essentiels ont été déterminés de manière généralement extensive par le juge ordinaire (qui veille à ce que le gouvernement n’outrepasse pas sa compétence) et le juge constitutionnel (qui s’assure, en particulier, que le législateur ne méconnaît pas sa compétence).
Par une circulaire relative à l’édiction de mesures fiscales et de mesures affectant les recettes de la Sécurité sociale, le Premier ministre François Fillon avait tenté en 2010 de maîtriser une « dérive » ministérielle tendant à insérer des dispositions notamment fiscales dans des projets de lois ordinaires (en particulier créant de nouvelles dépenses fiscales).
Mais, d’autre part, l’exécutif conserve, en tous domaines, le pouvoir de mettre en œuvre la loi par des règlements, dont l’importance est accrue par la technicité et le degré de détail des normes fiscales.
Le législateur n’a pas à fixer lui-même le taux de chaque impôt ; il doit seulement déterminer les limites à l’intérieur desquelles le pouvoir réglementaire peut fixer les taux (v. par ex. 28 déc. 2000, 442 DC).
On rappellera, par ailleurs, que les collectivités locales ont également un pouvoir réglementaire en matière fiscale et que le gouvernement peut être habilité à prendre, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, des ordonnances en matière fiscale.
De plus, il lui revient d’interpréter les textes, souvent compliqués, par des instructions et circulaires qui, dans la pratique, ont une influence parfois décisive (au point que le législateur admet parfois qu’elles puissent prévaloir sur la loi : l’administration ne peut, en principe, revenir sur sa doctrine, même illégale, pour rehausser l’imposition d’un contribuable de bonne foi).
V. LPF, art. L. 80-A et L. 80-B et, pour un exemple topique, CE 8 avr. 1998, Sté de distribution de chaleur de Meudon et d’Orléans (avis) et Sté Gras Savoye (arrêt). La doctrine administrative a fait l’objet d’une refonte et d’une consolidation depuis 2011 (BOFiP-impôts).
La légalité fiscale résulte d’un ensemble touffu et parfois surréaliste de dispositions législatives, réglementaires et para-réglementaires, éparpillées entre plusieurs codes dont, au surplus, l’agencement ne répond guère (c’est le moins que l’on puisse écrire) à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi auquel devrait répondre la codification (Cons. const. 10 juill. 1985, 191 DC ; 16 déc. 1999, 421 DC). Aux yeux du Conseil constitutionnel, en matière fiscale, la loi « lorsqu’elle atteint un niveau de complexité tel qu’elle devient inintelligible pour le citoyen, méconnaît en outre l’article 14 de la Déclaration de 1789… » (29 déc. 2005, 530 DC, cons. 78).
Ces dispositions figurent, selon les cas, dans le Code général des impôts (CGI) institué en 1950 en remplacement de six codes, structuré en un code et 4 annexes…, le Livre des procédures fiscales (LPF), disjoint en 1982 du CGI, le Code des douanes (C. douanes), institué en 1791, refondu en 1998 et rassemblant désormais dispositions nationales et dispositions de l’Union (Code des douanes de l’Union), le Code général des collectivités territoriales (CGCT) (pour une partie des impôts locaux), le Code de l’environnement, le Code de la Sécurité sociale, les Codes des assurances, le Code de la santé publique, le Code rural et de la pêche maritime, auxquels s’ajoutent quelques dispositions… non codifiées, tout en se rappelant des spécificités fiscales de certaines collectivités d’outre-mer.
Dans son vingtième rapport (2002) relatif aux relations entre les contribuables et l’administration fiscale, le Conseil des impôts avait estimé que le CGI était « devenu largement inintelligible » et qui, peut-on ajouter, constitue une offense au principe en vertu duquel nul n’est censé ignorer la loi.
Le Conseil a cependant développé une jurisprudence fondée sur l’exigence de clarté de la loi qui découle de l’article 34 de la Constitution : une disposition législative incompréhensible et donc inapplicable est entachée d’incompétence négative ; en ce sens, une disposition fiscale susceptible de deux interprétations, entre lesquelles les travaux préparatoires ne permettaient pas de trancher, n’avait pas fixé les règles concernant l’assiette de l’impôt est entachée d’incompétence négative (décision no 85-191 DC du 10 juillet 1985). Le Conseil constitutionnel recourt à la formulation suivante : « considérant qu’il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui impose d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » (no 2009-599 DC du 29 décembre 2009). De la même façon, par sa décision no 2005-530 DC, il a censuré l’intégralité de l’article 78 de la loi de finances pour 2006, notamment en raison de sa complexité excessive eu égard à sa finalité en fixant un plafonnement global des niches fiscales tout en obligeant les contribuables à calculer par avance le montant de leur impôt, afin d’évaluer les conséquences des nouvelles règles de plafonnement sur tel ou tel de leurs choix. Ces calculs, d’une très grande complexité, se traduisaient notamment par la longueur de l’article 78 (9 pages de la « petite loi » et 14 801 caractères), « par le caractère imperméable au profane (et parfois ambigu pour le spécialiste) de ses dispositions, ainsi que par les très nombreux renvois qu’il comportait à d’autres dispositions ».
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En effet,
les sources de la légalité fiscale, conçue
au sens large, débordent largement le domaine de la loi ou subordonné à la loi, car celle-ci a perdu une large part de sa suprématie avec le développement des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité. Les sources législatives du droit fiscal sont donc subordonnées à (et, parfois, remplacées par) trois catégories de textes.
Il s’agit d’abord des dispositions constitutionnelles, notamment les principes financiers et fiscaux contenus dans la Déclaration de 1789 (art. 13 et 14) et l’article 66 de la Constitution, relatif au rôle de l’autorité judiciaire, souvent invoqué en matière de procédure fiscale.
Il s’agit ensuite du droit de l’Union européenne, tout particulièrement de certaines dispositions du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, des directives fiscales et des règlements douaniers, qui ont acquis une importance majeure.
Il s’agit enfin des sources internationales. Celles-ci peuvent être des stipulations à incidence fiscale, notamment celles contenues dans la Convention européenne des Droits de l’homme.
L’article 6-1 s’applique aux sanctions fiscales (v. ss 135) mais non au contentieux de l’imposition fiscale, qui n’est pas considéré comme mettant en cause une obligation de caractère civil (CEDH 12 juill. 2001, Ferrazini). Sont également applicables les articles 6-2 (présomption d’innocence) et 8 (protection de la vie privée), ainsi que l’article 1er du protocole additionnel (protection de la propriété).
Elles peuvent également émaner de conventions à objet fiscal, qui se sont beaucoup développées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ; elles ont le plus souvent pour objet (en général sur des modèles élaborés par l’OCDE pour les pays industrialisés ou par l’ONU pour les pays en développement) d’éviter les doubles impositions dues à la souveraineté fiscale des États qui, pour les impôts personnels (impôt sur le revenu, droits sur les successions et donations) taxent souvent les revenus et biens en provenance d’autres États (où ils sont également imposés) ; les autres conventions ont, en général, pour objet la lutte contre la fraude et l’assistance au recouvrement (v. ss 129), thème d’une éminente et constante actualité si l’on fédère cette question à celle des paradis fiscaux, des territoires non coopératifs (la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière s’inscrit dans un long processus législatif marqué par une abondance de textes en ce domaine, avec d’ailleurs la loi organique du même jour relative au Procureur de la République financier).
Les conventions fiscales obéissent à un principe de subsidiarité. Selon le Conseil d’État (CE ass. 28 juin 2002, Ministère de l’Économie… c/ Sté Schneider Electric), une convention contre les doubles impositions (la France en a signé plus d’une centaine) « peut, en vertu de l’article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale (mais) ne peut pas, par elle-même, servir directement de base légale à une décision relative à l’imposition ». Il incombe au juge de l’impôt de se placer d’abord au regard de la loi fiscale nationale pour « rechercher si… l’imposition contestée a été valablement établie et, dans l’affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui incombe ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer… d’office si cette convention fait ou non obstacle à l’application de la loi fiscale » (CE, 11 avr. 2008, Bernard A.).
Pour la CEDH, « il appartient… aux autorités nationales de décider du type d’impôts ou de contributions qu’il convient de lever. Les décisions en ce domaine impliquent normalement une appréciation des problèmes politiques, économiques et sociaux que la Convention laisse à la compétence des États parties, car les autorités internes sont manifestement mieux placées que la Cour pour apprécier ces problèmes. Les États parties disposent donc en la matière d’un large pouvoir d’appréciation et la Cour respecte l’appréciation portée par le législateur en pareilles matières, sauf si elle est dépourvue de base raisonnable… » (sur la rétroactivité de la loi fiscale, CEDH, 15 janv. 2015, Arnaud et a. c/ France, no 36918/11).
Par ailleurs, la coutume internationale ne peut prévaloir sur la loi fiscale nationale (CE ass. 6 juin 1997, Aquarone). Le Conseil constitutionnel a émis une réserve importante : l’objectif constitutionnel de lutte contre l’évasion fiscale « ne saurait conduire à ce que (ce) contribuable soit assujetti à une double imposition au titre d’un même impôt » (26 nov. 2010, Pierre-Yves M., 2010-70 QPC, cons. 4).
Il faut enfin, intégrer le fait que la loi fiscale soulève par elle-même la question de son effectivité territoriale et donc de sa territorialité. Celle-ci relève en fait d’acceptions et de théories différentes dans l’appréhension de la souveraineté fiscale et de sa portée. Un lien avec la juridiction fiscale doit ainsi exister pour être soumis à un impôt (domicile, bénéfices, établissement, résidence, fait générateur, localisation de biens…), lien qui varie selon chaque législation nationale (sauf harmonisation, comme en matière de TVA au sein de l’Union européenne) et selon chaque impôt au regard de sa construction par le législateur. Il existe ainsi des territorialités fiscales tout comme il y a des territorialités douanières.
Il convient de rappeler que le droit de l’Union européenne limite le pouvoir d’imposition des États membres (non-discrimination, liberté d’établissement…) ; la CJUE met en avant le fait que la nécessité de préserver la cohérence d’un système fiscal « peut justifier une réglementation de nature à restreindre les libertés fondamentales » ; de plus, « la nécessité de sauvegarder la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres peut être admise dès lors, notamment, que le régime en cause vise à prévenir des comportements de nature à compromettre le droit d’un État membre d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire… » ; cependant, « la réduction de recettes fiscales ne saurait être regardée comme une raison impérieuse d’intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une mesure en principe contraire à une liberté fondamentale » (CJUE, 10 avr. 2014, C-190/12, Emerging Markets Series of DFA Investment Trust Company c/ Dyrektor Izby Skarbowej w Bydgoszczt).
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Il a été posé par les articles 13 et 14 de la Déclaration de 1789 ; ce principe est ambivalent. Il peut, d’une part, être opposé aux contribuables pour affirmer la constitutionnalité des lois qui répriment la fraude, voire l’évasion, fiscales : c’est ce qu’a fait le Conseil constitutionnel, en veillant cependant à maintenir un certain équilibre avec le respect des libertés individuelles (29 déc. 1983, 83-164 DC, et 29 déc. 1989, 89-268 DC). Mais il peut, d’autre part, être opposé au législateur pour contester l’institution d’une imposition (n’oublions pas que l’article 13 de la Déclaration de 1789 ne déclare la « contribution commune » « indispensable » que « pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration »…) ; le Conseil constitutionnel est beaucoup plus circonspect mais laisse entendre que ne serait pas impossible la censure d’une imposition qui, en particulier, ne répondrait pas à un intérêt général (v. par ex. 29 déc. 1999, 99-424 DC).
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En matière fiscale, il fait l’objet d’une attitude encore plus réservée de la part du Conseil constitutionnel. Aux yeux de ce dernier, seules les dispositions législatives répressives sont soumises à un principe constitutionnel de non-rétroactivité (30 déc. 1982, 82-155 DC). Pour le reste, le Conseil estime qu’aucun principe de valeur constitutionnelle n’interdit à la loi de prendre des dispositions rétroactives en matière fiscale (29 déc. 1984, 84-184 DC), à condition, cependant, que le législateur agisse « en considération d’un motif général suffisant » (ainsi, le seul intérêt financier de l’État ne suffirait pas : 28 déc. 1995, 95-369 DC, mais les risques d’un contentieux abondant, onéreux et largement formel suffisent : 3 févr. 2002, 458 DC) et sous réserve de ne pas priver de base légale des exigences constitutionnelles (18 déc. 1998, 98-404 DC). Ne serait-il pas plus simple et plus conforme aux exigences de sécurité juridique et de confiance légitime, qui paraissent être les fondements mêmes d’un État de droit (car la pratique, fréquente, de la rétroactivité mine la confiance dans les institutions) de poser (comme le font certaines propositions de révision constitutionnelle) un principe général de non-rétroactivité en ménageant des possibilités de dérogation ? La CEDH estime, elle, que la rétroactivité n’est permise que pour « un intérêt général impérieux » (23 oct. 1997,
National and Providential Building Society c/ Royaume-Uni). Quant à la Cour de cassation française, elle était allée jusqu’à écarter l’application d’une disposition législative de… validation jugée contraire à l’article 6-1 de la Conv. EDH (20 nov. 2001,
SARL Civa).
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Celle-ci implique plus directement la ou les administrations disposant de la compétence en ce domaine, la dimension organique, institutionnelle, fonctionnelle restant encore très nationale même si l’on perçoit le développement d’une coopération internationale en matière d’assistance administrative, d’échange d’informations, ou encore de recouvrement des créances publiques. Ainsi, certains États ont-ils institué des entités très autonomes sous la forme d’agence, comme au Canada avec l’Agence du revenu du Canada (ARC) créée en 1999, aux États-Unis, l’
Internal Revenue Service (IRS), agence créée en 1862, tandis que d’autres, comme la France, disposent d’entités administratives directement intégrées au sein du ministère des Finances (DGFiP, DGDDI). Certains États ont aussi créé des organismes plus particuliers et distincts fonctionnellement, comme la Garde des finances italienne (
Guardia di Finanza), créée en 1896, qui fait partie des forces armées mais est aussi une police financière et douanière. Cette procédure fiscale s’inscrit dans un double mouvement général : une « modernisation » des relations administration-contribuable (télédéclaration, développement de formes de « dialogue » comme les rescrits, les relations « de confiance », le « tiers de confiance »…), une démarche confortée de lutte contre la fraude qui renforce les prérogatives administratives, soulevant inévitablement la question de l’affirmation des droits et garanties du contribuable. Trois dimensions doivent être appréhendées : la perception de l’impôt (
1), l’apurement des créances fiscales (
2) et le contrôle fiscal (
3).
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Décidé par les autorités financières publiques, l’impôt n’est pas laissé, dans sa perception, à la libre appréciation de l’administration fiscale. Celle-ci doit respecter une série de règles qui, issues du principe de légalité fiscale (v. ss 123), encadrent l’opération fiscale, l’apurement de la créance fiscale et le contrôle fiscal.
En France, une charte du contribuable, diffusée depuis 2005, en retrace les grandes lignes et les rapports entre administration et contribuable.
L’opération fiscale était effectuée en France par deux grandes catégories de services fiscaux, dualité que la fusion de 2008 au sein de la DGFiP a « gommée » progressivement.
Cette dualité correspondait, dans ses grandes lignes, au principe de séparation des ordonnateurs et des comptables, mais comprenait deux degrés. Le premier, reflet d’une conception maximaliste due à des considérations historiques (les abus de l’affermage sous l’Ancien Régime), conduisit à confier à des administrations différentes la phase d’assiette (direction générale des Impôts) et la phase de recouvrement (direction générale de la Comptabilité publique), de façon à ne pas faire dépendre la somme demandée à un contribuable d’une décision de l’instance chargée du recouvrement ; ce schéma, traditionnellement appliqué aux impôts directs, ne s’appliquait cependant plus, depuis 2004, qu’à l’impôt sur le revenu et aux quatre vieilles contributions directes locales (v. ss 354). Le second degré conduisit simplement à confier l’assiette et le recouvrement à des services différents au sein d’une même administration (DGFiP) ; il concernait la majorité des impôts, y compris, depuis 2004, l’impôt sur les sociétés et la taxe sur les salaires. La fusion de 2008 a effacé cette distinction ; l’unification finale dans les règles de procédure a été progressivement engagée notamment au travers de la loi de finances rectificative pour 2010 du 29 décembre 2010 (no 2010-1658) menant à terme à la systématisation de l’interlocuteur fiscal unique pour chaque contribuable, capable de traiter un dossier de l’assiette au recouvrement. Pour l’heure, les deux activités d’assiette et de recouvrement peuvent encore être présentées comme suit.
Les services d’assiette sont chargés d’établir et de contrôler l’impôt dû ou versé par chaque contribuable ou redevable. Il s’agit d’abord de rechercher éventuellement la matière imposable et de déterminer le fait générateur c’est-à-dire l’événement, l’opération ou la situation qui fait naître la créance fiscale et détermine la législation applicable. Il s’agit ensuite d’évaluer la matière imposable : à notre époque, la principale méthode consiste à s’efforcer de déterminer la matière imposable réelle par l’intermédiaire d’une déclaration contrôlée effectuée par le redevable ou d’une évaluation faite unilatéralement par l’administration (impôts directs locaux, évaluation en l’absence de déclaration) ; mais, pour certains petits contribuables, l’évaluation est simplement approchée par des forfaits (de bénéfices…) fixés collectivement par la loi (bénéfices agricoles) ou individuellement négociés avec l’administration fiscale (activités industrielles et commerciales, professions libérales). Il s’agit enfin de liquider, c’est-à-dire de calculer, l’impôt.
Les services de recouvrement, dirigés par des comptables publics, sont chargés de percevoir l’impôt.
À noter que les procédures de recouvrement des produits (de toute nature) relevant de l’administration des douanes ont été réformées par la loi de finances rectificative du 30 décembre 2002 (art. 44), qui les a alors rapprochées des procédures utilisées par la direction générale des Impôts et aujourd’hui la DGFiP (v. C. douanes, art. 345 s.).
Le recouvrement amiable varie selon qu’il s’agit d’une perception en vertu du système des droits constatés ou d’une perception au comptant (ces systèmes sont exposés ss 463 s.).
Les paiements sont parfois accélérés par des acomptes (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, éventuellement impôts directs locaux), des paiements mensuels ou trimestriels (TVA) ou des retenues à la source (certaines catégories de revenus, notamment les revenus des capitaux mobiliers).
(Pour la mensualisation, v. ss 156. Pour le problème de la retenue à la source, v. ss 600).
En sens inverse, le paiement est parfois différé en faveur du redevable, qui peut régler de manière fractionnée (droits de succession…) ou par obligations cautionnées, effets à court terme portant intérêt au profit du Trésor (impôts indirects). Des délais de paiement peuvent être accordés au contribuable, sur sa demande ; ce délai est de droit en cas de baisse de plus de 30 % de ses revenus (sur les délais de paiement, CGI, art. 357 H, Ann. III). Le redevable peut même parfois s’acquitter par « dation en paiement » d’œuvres d’art ou autres objets de valeur (droits de succession, impôt de solidarité sur la fortune).
Les dations en paiement (prévues dans CGI, art. 384-A, 1131 et 1716 bis) ont permis d’enrichir le patrimoine national au travers de la remise d’œuvres d’art, de livres de collection… mais aussi d’immeubles.
On notera que certaines créances fiscales ne sont pas mises en recouvrement lorsqu’elles sont inférieures à un certain seuil (v. CGI, art. 1657-1 bis et 1657-2, fixant, selon les cas, à 61 € avant imputation de tout crédit d’impôt ou 12 € par article de rôle en matière d’impôts directs si c’est le budget de l’État qui est concerné ; ces sommes sont allouées en non-valeurs si elles sont perçues au profit d’un autre budget).
Le recouvrement forcé est, lui, marqué par le caractère énergique de certaines procédures qui viennent s’ajouter aux procédures de droit commun (v. ss 600). Il s’agit, en particulier, de l’avis à tiers détenteur (ATD) qui oblige tout débiteur ou détenteur d’argent du redevable à verser les sommes au comptable.
Cette procédure, organisée par les articles L. 262, L. 263 et L. 263-A du LPF, ne concerne que les impôts garantis par le privilège du Trésor (la plupart des impôts). Elle ne vise que les sommes d’argent (pour leur partie saisissable) et connaît des limitations en cas de sursis de paiement (v. ss 145) et de redressement ou liquidation judiciaire. Lorsqu’ils ne peuvent utiliser l’ATD, les comptables recourent aux procédures civiles d’exécution de droit commun qui sont moins commodes (pas de notification par voie postale) et plus onéreuses pour le débiteur (frais) mais qui, depuis 1993, ont parfois le même effet d’attribution immédiate des sommes (procédure de saisie-attribution). Dans ce cadre, l’administration chargée du recouvrement pour recourir aux huissiers de justice ou à des personnels administratifs spécifiques, les huissiers des finances publiques. Notons que l’article L. 270 du LPF organise une procédure accélérée à l’égard de personnes qui, par exemple, changent fréquemment de lieu de séjour ou qui séjournent dans des locaux d’emprunt etc.
Largement utilisée, la DGFiP n’hésitant pas à qualifier cette procédure comme relevant des « Actions de masse », celle-ci donne lieu chaque année en moyenne à plusieurs millions d’avis (4,6 millions en 2011, 5,2 millions en 2013).
Il s’agit même parfois de la contrainte judiciaire qui a succédé en 2004 à la contrainte par corps (« prison pour dette »).
Abrogeant les dispositions des articles L. 240 et L. 271 du LPF, le législateur (L. 9 mars 2004, no 2004-204, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité), a introduit dans le Code pénal et dans le Code de procédure pénale des dispositions relatives à la contrainte judiciaire qui se substituent au régime antérieur. Visée à l’article 131-25 du Code pénal et aux articles 749 à 762 du Code de procédure pénale, cette contrainte ne s’applique que dans des cas limités pour des crimes et délits punis de peines d’emprisonnement d’une certaine importance et plus particulièrement en cas d’inexécution volontaire de condamnations à des amendes fiscales ou douanières. Elle peut être ordonnée par le juge de l’application des peines. Cette procédure résulte d’une signification du commandement, d’une demande de la DGFiP et d’une saisine du procureur de la République. La mesure peut faire l’objet d’un appel, des délais de paiement pouvant être accordés avec un ajournement de la décision pour une durée ne pouvant excéder six mois. Le plafond de la mesure d’emprisonnement pouvant être prononcée obéit à quatre dispositifs : de vingt jours si l’amende est au moins égale à 2 000 € sans excéder 4 000 €, jusqu’à trois mois lorsqu’elle est supérieure à 15 000 €.