Le prof est d’abord une personne. Aussi jouit-il des droits et libertés garantis par la Constitution ou par les traités régulièrement ratifiés, notamment par la Convention européenne des droits de l’Homme. Les profs ont ainsi droit au respect de leur dignité ou de leur vie privée (3) ; de même peuvent-ils invoquer le principe d’égalité interdisant toute discrimination, notamment entre hommes et femmes ou vis-à-vis des personnes handicapées pour lesquelles des mesures compensatoires doivent être mises en œuvre (4). Leurs droits fondamentaux sont ainsi pris en considération non seulement dans leur vie privée mais aussi dans le cadre du service. Leurs obligations peuvent alors être comprises comme des limites. Ainsi, si les profs sont libres de leurs opinions, leur expression doit tenir compte du principe de neutralité du service public dont la portée est inversement proportionnelle à l’âge des élèves qui leur sont confiés (5). Il en est de même pour la liberté de conscience garantie aux profs comme aux élèves par l’organisation laïque de l’enseignement ; ils ont le droit de croire ou de ne pas croire mais doivent s’abstenir de toute pratique dans le cadre du service. L’exemple de la laïcité montre qu’un principe présenté comme une limite peut aussi être une garantie dans la mesure où il impose aux autres, usagers, collègues ou membres de la hiérarchie, le respect de la liberté de conscience des profs (6).
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Le droit au respect des professeurs
Le thème du respect est un « pont aux ânes » du discours éducatif. On aime à citer Valéry qui définissait la civilité comme le respect de soi, le respect des autres et le respect de l’environnement. L’article 29 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant adoptée en 1989 fixe comme objectifs à l’éducation le respect des droits de l’Homme et, pour l’enfant, le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que des valeurs nationales du pays dans lequel il vit. Quant au Code de l’éducation, il précise dans un de ses articles liminaires que l’État garantit le respect de la personnalité de l’enfant et de l’action éducative des familles (C. éduc., art. L. 111-2, al. 3). Il aurait peut-être été judicieux d’ajouter une référence au respect dû aux professeurs, non pour céder aux convenances, mais pour tenir compte de l’état du droit qui reconnaît le principe de dignité de la personne et garantit le respect de la vie privée.
I. – Le respect de la personne du professeur, la dignité du professeur
Respecter une personne, c’est au minimum ne pas porter atteinte à son intégrité physique. Le professeur peut être victime d’agression. Les faits divers en apportent une illustration régulière en mettant la lumière sur des actes criminels ou délictueux, ou à un moindre degré des comportements moralement condamnables qualifiés d’actes d’incivilité, les uns et les autres pouvant être le fait d’élèves, de parents d’élèves, de collègues ou parfois même de passants ou d’intrus. Mais, au-delà de l’intégrité, « la reconnaissance de la dignité de la personne humaine » mise en exergue par la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 appelle une réflexion sur la valeur de la personne humaine et sur sa protection.
Ni la Déclaration de 1789 ni la Constitution ne reconnaissent le principe de dignité. Le Conseil constitutionnel l’a toutefois dégagé en s’appuyant sur la phrase du Préambule de la Constitution de 1946 « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine ». Il rejoint alors les instruments internationaux qui ont mis l’accent sur la dignité, valeur fondamentale et principe juridique. La Déclaration des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000) affirme dans son article 1er que la dignité humaine est inviolable et doit être respectée et protégée avant de préciser que « tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité » (art. 31).
La dignité de la personne impose le respect du professeur par sa hiérarchie, par ses collègues, par les parents d’élèves comme par les élèves. La reconnaissance du harcèlement moral dans la fonction publique assure aujourd’hui une protection minimale de la personne du professeur qui peut faire l’objet d’attaques ou de critiques répétées entraînant « une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité » (statut général de la fonction publique, Titre I, art. 6 quinquiès). Il ne s’agit pas là d’une situation de stress professionnel mais d’un état caractérisé par une forte altération de la santé physique ou mentale (anxiété, troubles du sommeil, dépression...). Comme les autres fonctionnaires, les professeurs peuvent souffrir d’un comportement abusif de leur hiérarchie (harcèlement vertical qui ne doit toutefois pas être confondu avec de simples critiques du proviseur ou d’une mauvaise évaluation, même répétée, de l’inspecteur). Mais leur état peut aussi être dû à des critiques systématiques de la part de leurs collègues (harcèlement horizontal, à distinguer toutefois des inévitables tensions interpersonnelles). Enfin, l’attitude agressive de certains parents comme les chahuts des élèves peuvent mettre en cause la personne du professeur à travers son travail, renforçant alors son isolement professionnel. L’Éducation nationale doit prendre les mesures nécessaires pour assurer à chaque professeur sa dignité. Des mesures préventives et répressives (sanctions administratives, sanctions pénales) sont prévues par la loi. Le Code pénal réprime les atteintes aux personnes, à leur vie, à leur intégrité physique ou psychique, à leurs libertés, leur personnalité, leur vie privée et à leur dignité, notamment en incriminant le harcèlement, qu’il soit sexuel ou moral. (art. 222-33-2, Code Pénal)
Le respect de la personne du professeur s’étend au respect de ses biens. La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 considérait la propriété comme un droit naturel et imprescriptible de l’Homme (art. 2), inviolable et sacré (art. 17). Le Conseil constitutionnel lui a donné valeur constitutionnelle, soulignant notamment que, depuis 1789, il avait subi « une notable extension de son champ d’application » ; le protocole no 1 additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme adopté en 1952 consacre le « droit du respect de ses biens ». La propriété ainsi mentionnée est d’abord constituée par les biens corporels, immobiliers ou mobiliers. Respecter le prof interdit de s’en prendre à ses biens, notamment en dégradant son automobile ou en lui substituant ses effets. La jurisprudence du Conseil constitutionnel s’étend à la propriété intellectuelle, aux droits d’auteur et aux droits voisins (Cons. const. 26 juill. 2006, Décis. no 2006-540 DC, loi relative aux droits d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information). Les professeurs parmi lesquels on trouve nombre d’artistes, d’écrivains ou de chercheurs se voient reconnaître le droit de produire librement des œuvres de l’esprit, œuvres scientifiques, littéraires ou artistiques... en dehors du service (dans le service, les œuvres de l’esprit, tels les cours, sont la propriété de l’État employeur sous réserve du cas des enseignants-chercheurs et de l’originalité du travail ; voir infra). Pour la Cour européenne des droits de l’Homme, la notion de biens englobe en outre les créances, notamment les prestations sociales et les pensions (Const. 7 janvier 2004 Colombani, no 232465).
À propos d’un film et des prétentions d’un instituteur
Civ. 1re, 13 nov. 2008, pourvoi no 06-16278 – rejet
Attendu que M. Nicolas X... a réalisé le film documentaire intitulé « Être et avoir » qui relate la vie quotidienne d’une école de village de moyenne montagne à classe unique, regroupant autour de l’instituteur, M. Georges Y..., une dizaine d’élèves, de la maternelle au CM2 ; [...] ; que par actes des 28-29 et 30 janvier 2003, prétendant qu’il était porté atteinte à ses droits d’auteur et d’artiste-interprète, ainsi qu’au droit à son image, à son nom et à sa voix, M. Y... a assigné les susnommés en contrefaçon et en paiement de dommages-intérêts. Attendu que M. Y... fait enfin grief à l’arrêt de l’avoir débouté de ses demandes fondées sur l’atteinte portée au droit à son image, alors, selon le moyen, que la diffusion de l’image de celui qui a accepté d’être filmé est subordonnée à son accord exprès pour chaque support de diffusion ; que la cour d’appel, en déduisant l’accord de M. Y... à la diffusion de son image pendant le tournage du film “Être et avoir” au cinéma,en DVD et dans les journaux, sur Internet et à la télévision, de sa participation à la promotion de ce film et au festival de Cannes, a violé les articles 9 du Code civil et 8-1 de la Convention européenne des droits de l’Homme ; Mais attendu que la cour d’appel a relevé que M. Y... n’ignorait pas que le documentaire, réalisé par M. Nicolas X... à des fins autres que pédagogiques, était destiné à faire l’objet d’une exploitation commerciale, peu en important la forme, qu’il a accepté, en toute connaissance de cause, de participer activement aux différentes opérations de promotion du film, tant dans sa région qu’au festival de Cannes et donné, à cet effet, diverses interviews ; qu’elle en a déduit que par son comportement l’intéressé avait tacitement mais sans équivoque consenti à la diffusion de son image sous quelque forme que ce soit dès lors que cette diffusion était directement rattachée au film et a ainsi légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;
II. – Le respect de la vie privée du professeur
Conv. EDH, art. 8
1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
Le professeur en tant que personne a droit au respect de sa vie privée. Dans la sphère privée, il peut vivre comme il le souhaite sans être contrôlé par l’autorité administrative. Pas plus que la dignité de la personne, le respect de la vie privée n’est inscrit dans la Constitution. Le Conseil constitutionnel s’y réfère toutefois en la rattachant tant à la « liberté individuelle » mentionnée dans l’article 66 de la Constitution, reconnaissant alors le principe d’inviolabilité du domicile, mais aussi à l’article 2 de la Déclaration de 1789, élargissant alors le champ du principe notamment aux choix de vie (Cons. const. no 99-416 DC du 23 juill. 1999). Le Code civil dispose dans son article 9 que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». La Convention européenne des droits de l’Homme garantit à toute personne le « droit au respect de la vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance », tout en réservant des possibilités d’ingérence prévues par la loi (art. 8). Le respect de la vie privée s’attache non seulement au domicile mais aussi la zone de secret à laquelle peut tenir chaque personne pour protéger sa famille, ses relations personnelles, ses choix personnels, sa part d’ombre parfois. Pour le Code civil, le respect de la vie privée recouvre tant le droit à la tranquillité que le droit à la préservation du secret de l’intimité (C. civ., art. 9, al. 2), protégeant les informations sur l’état de santé de la personne ou sur ses appartenances religieuses, philosophiques ou politiques.
Le professeur est libre de choisir sa manière de vivre. Que le principe se place sous l’égide de la liberté individuelle ou de la liberté personnelle, il permet de choisir de rester célibataire, se marier, divorcer, se remarier, vivre en concubinage ou, depuis 1999, conclure un pacte civil de solidarité (PACS), organisant ou non la vie commune. Il peut rechercher l’épanouissement de sa vie personnelle et sentimentale, avoir la sexualité de son choix, du moment que les pratiques qui en découlent aient lieu en privé, entre adultes consentants. Il dispose ainsi de son jardin secret. Toutefois, « la jurisprudence a tendance à admettre que le principe d’indépendance de la vie professionnelle et de la vie extra-professionnelle doit fléchir, lorsque, compte tenu du rôle et de la mission du salarié, sa vie privée devient incompatible avec le bon service de ses fonctions » ; le juge peut considérer que certains comportements privés sont de nature à nuire à la réputation de l’employeur, à plus forte raison pour le fonctionnaire, et bien sûr le professeur. Il en est ainsi des faits érigés en infractions par le Code pénal qui protège notamment les mineurs. Mais le juge peut aussi apprécier le comportement du professeur à l’aune des finalités éducatives, se référant alors au standard du « bon professeur », il est vrai plus flou encore que celui utilisé par le Code civil de « bon père de famille ».
Liberté de conscience, liberté du mariage et caractère propre des établissements privés
Une institutrice d’un établissement de l’enseignement privé catholique lié à l’État par « contrat simple » est licenciée pour s’être remariée après son divorce. Elle introduit une action en dommages-intérêts exercée sous l’empire de l’article 23 du livre I du Code du travail.
La cour d’appel avait estimé que le cours Sainte-Marthe étant un établissement catholique, pouvait exiger des maîtres qu’ils mettent en pratique, dans leur propre vie, les principes catholiques comme l’indissolubilité du mariage. « L’attitude de l’intéressée, eu égard aux engagements auxquels elle était tenue du fait de la convention collective, était en contradiction absolue à la fois avec la doctrine de l’Église et la mission d’éducation qui lui était confiée dans l’esprit de l’enseignement libre » : son licenciement avait donc une cause réelle et sérieuse (Chambéry, 22 oct. 1970, D. 1971. 313).
Après avoir cassé l’arrêt de la cour d’appel, et renvoyé l’affaire à la cour d’appel de Lyon, la Cour de cassation fut à nouveau saisie.
Son avocat général proposait de se fonder sur l’obligation de réserve de l’enseignant. Si celui-ci n’est pas tenu de respecter strictement tous les articles de la foi catholique, il doit toutefois adopter tant dans son enseignement que dans sa vie privée un comportement respectant la doctrine l’Église pour ne pas créer de troubles jetant un discrédit sur l’établissement.
Réunie en Assemblée plénière la Cour de cassation rappelle qu’il ne peut être porté atteinte sans abus à la liberté du mariage par un employeur que dans des cas très exceptionnels où les nécessités des fonctions l’exigent impérieusement. Les juges du fond ont pu relever que lors de la conclusion du contrat par lequel cet établissement s’était lié à ce professeur, les convictions religieuses de ce dernier avaient été prises en considération et que cet élément de l’accord des volontés, qui reste habituellement en dehors des rapports de travail, avait été incorporé dans le contrat dont il était devenu partie essentielle et déterminante. Ils en ont justement déduit qu’il incombait au salarié, selon la législation alors en vigueur, d’établir la faute commise par son employeur dans l’exercice de son droit de rompre et ont pu décider que l’institution attachée au principe de l’indissolubilité du mariage qui avait agi en vue de sauvegarder la bonne marche de son entreprise en lui conservant son caractère propre et sa réputation, n’avait commis aucune faute (Ass. plén. 19 mai 1978, no 76-41211).
Le professeur tient de l’article 9 du Code civil un droit à l’image « qui ne se confond pas avec le droit au respect de la vie privée et peut subir des atteintes se rattachant à la vie publique de la personne » (TGI Paris, Ord. 27 févr. 1970) ; toute personne a la faculté de s’opposer à la prise de photographie ou de film, ainsi qu’à leur divulgation sans son consentement expresse ou tacite, même si la vie privée n’est pas en cause ; tel est le cas si l’image a été captée dans un lieu public. Le prof doit consentir à ce qu’une photographie soit prise de lui et à sa reproduction ou à sa diffusion, par exemple sur un blog d’élèves. Son droit à l’image lui permet de s’y opposer.
Une personne, photographiée sans son autorisation en dehors de tout événement d’actualité le concernant, peut fonder son action sur l’article 9 du Code civil en alléguant que le reportage a porté atteinte à son image et à sa vie privée ainsi qu’à sa réputation. Le fait de publier dans un hebdomadaire la photographie d’un professeur sans son autorisation, accompagnée d’une légende inappropriée et prise à l’insu de l’intéressé au cours d’une mise en scène justement dénoncée, dans le cadre d’un reportage effectué en 2007 sur la crise des banlieues, est exactement qualifiée d’atteinte au droit au respect de la vie privée (Bordeaux, Civ. 1re, 17 sept. 2009, Hachette-Filipacchi c/Mlle Mélanie X, no 07/04852). La divulgation de l’image de la personne peut aussi faire l’objet de poursuites pénales (C. pén., art. 226-1). Toutefois, le droit à l’image n’est pas absolu, l’information du public, les exigences de l’actualité et la liberté de création l’emportent à la condition de ne pas porter atteinte à la dignité de la personne.
Des images peuvent aussi être captées dans un but de surveillance Des systèmes de vidéosurveillance rebaptisée vidéoprotection ont été installés par les régions dans les lycées avec plusieurs objectifs sécuritaires : lutter contre les intrusions, prévenir les vols (parkings, salles informatiques, vestiaires), surveiller les comportements des élèves (couloirs, escaliers, cour de récréation). Les images peuvent être visionnées directement (par le personnel technicien ouvrier et de service de l’établissement) ou après enregistrement (notamment par le chef d’établissement). Ces dispositifs prévus par la loi ne peuvent être mis en place qu’après une intervention préalable de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL).
Le professeur est libre de choisir son lieu de vie, sa résidence principale ou secondaire, qui ne correspond pas toujours à son domicile ou à sa résidence administrative (définie par la commune d’affectation, ou par une zone plus large déterminée par l’administration). Si, comme tout fonctionnaire, il n’a droit ni à la mutation de son choix, ni à être maintenu dans son affectation, les décisions prises par l’administration dans l’intérêt du service ne doivent toutefois pas porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CE 10 déc. 2003, Paul X, no 235640, à propos d’un militaire). Il est protégé comme tous les citoyens par le principe constitutionnel d’inviolabilité du domicile, rattaché par le Conseil constitutionnel à la sauvegarde de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution, qui interdit à toute personne d’y pénétrer sans autorisation (sauf perquisitions pénales). Cette protection domiciliaire s’étend à tous les locaux privés, et même au véhicule. La protection des lieux de vie impose à l’administration l’obligation de ne pas donner l’adresse personnelle ou le numéro de téléphone du prof (pour éviter ainsi les appels intempestifs, le harcèlement téléphonique).
Si les textes concernant les enseignants ne contiennent aucune disposition expresse sur leur domicile, la référence au logement (conçu comme un droit pour les instituteurs) ou à la résidence (qui peut être l’objet d’une obligation), le concerne indirectement. L’article 7 de la loi du 19 juillet 1889 accorde aux instituteurs publics le droit au logement. La commune a l’obligation de mettre à leur disposition un local convenable, doté d’un minimum de confort (chauffage, électricité), permettant aux maîtres d’école de mener une vie familiale normale ; elle ne leur impose pas de résider sur le lieu de leur affectation ; ils gardent la liberté de choisir leur domicile. L’obligation de résidence n’est affirmée expressément que pour les enseignants-chercheurs (article L. 952-5 du Code de l’éducation) ce qui ne porte atteinte ni à leur indépendance (CE 2 mars 1988, Fédération nationale des syndicats autonomes de l’enseignement supérieur et de la recherche et autre, no 61165 et no 61472) ni aux dispositions de l’article 215 du Code civil relatives à l’obligation de communauté de vie des époux (CE 1er mars 1989, M. Labarre, no 61649). Paradoxalement, aucune disposition statutaire n’impose aux professeurs de l’enseignement scolaire de résider sur le lieu de leurs fonctions ; une circulaire de 1921 attirait toutefois l’attention des recteurs sur l’obligation de la résidence pour les fonctionnaires de l’enseignement public, rappelant que « l’obligation de résider là où il exerce ses fonctions fait partie de la définition même du fonctionnaire si ces fonctions sont de caractère sédentaire ». Le juge administratif y fait d’ailleurs référence en précisant que les professeurs certifiés sont tenus à l’obligation de résidence (CAA Nancy, 25 mai 2011, no 10NC0095) ; il sanctionne sa méconnaissance qu’il qualifie de faute disciplinaire, et même, quand elle est grave et caractérisée, d’abandon de poste. La rapidité des transports, le prix des loyers, l’évolution des techniques de communication plaident toutefois pour son atténuation. Le juge, dans un contentieux fiscal, a pu ainsi admettre que la résidence d’un professeur des écoles soit distante de trente kilomètres de son école (CE 13 mai 1987, no 70620). L’administration a été amenée à faire preuve de tolérance, notamment en appliquant la législation sur les accidents de travail sur le trajet lieu de travail domicile, même si celui-ci est fort éloigné.
Le secret des correspondances privées est garanti aux professeurs. Il concerne aujourd’hui tous les échanges, qu’ils soient écrits, téléphoniques ou électroniques dont la protection juridique est assurée par la loi du 9 juillet 2004. Chacun doit en effet pouvoir « parler, écrire librement » (DDH, art. 11). « Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui » (Conv. EDH, art. 8, 2). Le Code pénal réprime l’immixtion dans les correspondances privées écrites ou électroniques (C. pén., art. 226-15, punissant les faits commis de mauvaise foi), notamment lorsqu’elle est le fait de personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, formule qui peut viser les responsables administratifs de l’Éducation nationale (art. 432-9). L’article 226-15 réprime aussi l’interception des conversations téléphoniques par un particulier qui ne peuvent faire l’objet d’écoutes que dans le cadre redéfini par la loi du 10 juillet 1991 après plusieurs condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme des interceptions judiciaires (C. pr. pén., art. 100 à 100-7) et des interceptions dites de sécurité (écoutes administratives par décision du Premier ministre pour la sauvegarde de la sécurité nationale, la préservation du potentiel scientifique, la lutte contre le terrorisme...).
Est puni des mêmes peines le fait, par une personne visée à l’alinéa précédent ou un agent d’un exploitant de réseau ouvert au public de communications électroniques ou d’un fournisseur de services de télécommunications, agissant dans l’exercice de ses fonctions, d’ordonner, de commettre ou de faciliter, hors les cas prévus par la loi, l’interception ou le détournement des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications, l’utilisation ou la divulgation de leur contenu.
Les lettres reçues ou envoyées par un prof depuis l’établissement doivent elles aussi être protégées. Le juge des référés a estimé que le secret des correspondances est violé quand le maire d’une commune fait systématiquement procéder à l’ouverture des plis destinés aux élus locaux (CE 9 avr. 2004, Lionel X c/Commune de Drancy, no 263759). Si, contrairement aux élus, les profs sont par rapport à la direction de l’établissement dans une relation hiérarchique la solution semble a fortiori devoir être transposée. Ne sachant pas si leur contenu relève de la vie privée ou des relations administratives les responsables de l’établissement doivent s’abstenir de procéder à leur ouverture ; en outre, les lettres que peuvent échanger les profs avec les usagers, élèves ou parents d’élèves peuvent contenir des informations protégées par le secret professionnel ou du moins par l’obligation de discrétion.
La protection des communications électroniques est assurée tant au domicile que sur le lieu de travail (Cons. const., Décis. no 2005-532 DC du 19 janv. 2006, loi relative à la lutte contre le terrorisme). L’enregistrement des e-mails ou des sites web connectés permet de dresser un portrait de l’utilisateur (appartenances syndicales, opinions politiques, intérêt pour la pornographie, consultation des sites révisionnistes...). L’usage à titre privé sur le lieu de travail peut être toléré ; l’employeur a toutefois la possibilité d’intervenir a priori (blocage de certains sites, interdiction de téléchargement de logiciel...), mais doit le faire en toute transparence. Il est recommandé d’adopter en conseil d’administration une charte d’utilisation des outils informatiques, document qui, comme le règlement intérieur, est opposable à tous les membres de la communauté éducative. Pour le secteur privé, la Cour de cassation a précisé que « l’employeur ne peut... sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur [...] le salarié a droit, même sur le temps de travail et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée qui [...] implique en particulier le secret des correspondances » (Soc. 2 oct. 2001, Nikon France, no 99-42942). La solution est transposable à l’administration. Un chef d’établissement ne pourra rendre publics des échanges, qu’ils soient épistolaires ou électroniques. Sa responsabilité pénale serait engagée, d’autant que l’article 432-9 précité n’exige pas dans ce cas que la violation de la correspondance ait été accomplie de mauvaise foi.
Les technologies de l’information et de la communication ont facilité le recensement et la conservation de données personnelles dont la réunion et la consultation peut porter atteinte à l’intimité de la vie privée. La loi du 6 janvier 1978 créant la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) a eu pour objectif de mettre l’informatique au service des citoyens en précisant qu’elle ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’Homme ni aux libertés individuelles ou publiques (art. 1er). Elle garantit le secret des données à caractère personnel, notamment pour le traitement automatisé des éléments nominatifs (fichiers, traitements, base de données) ; elle définit un droit des données (exclusion des origines, des opinions...) et précise les droits des personnes fichées. La loi distingue les informations selon leur nature et leur portée. Celles qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines, les opinions, la santé ou la vie sexuelle sont en principe exclues (art. 8), sauf motif d’intérêt public sur autorisation (1978), aujourd’hui avis de la CNIL. D’autres informations personnelles peuvent être enregistrées par les traitements ayant fait l’objet d’une déclaration préalable à la CNIL. Ainsi le décret no 2012-342 du 8 mars 2012, pris après avis de la CNIL, crée un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « SIRHEN », relatif à la gestion des ressources humaines du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Les données à caractère personnel et informations énumérées à l’annexe du décret sont réparties en quatre catégories regroupant quarante rubriques (identification personnelle et familiale ; vie professionnelle ; données à caractère économique et financier ; santé). Les gestionnaires des services centraux et académiques (et les trésoreries générales pour la paye) et les inspecteurs individuellement désignés et spécialement habilités par l’autorité administrative responsable du traitement sont destinataires des informations qui doivent être strictement nécessaires à leur mission, dans la limite de leurs attributions. Les données à caractère personnel sont conservées dans « SIRHEN » jusqu’à la cessation définitive des fonctions de l’agent, à l’exception de celles relatives aux absences (conservées deux ans), et des sanctions disciplinaires, présentes jusqu’à leur effacement du dossier administratif.