Droit civil

Les successions
Les libéralités

Droit civil

Les successions
Les libéralités

4e édition

2014

François Terré

Professeur émérite de l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
Membre de l'Institut

 

Yves Lequette

Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)

 

Sophie Gaudemet

Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

© Éditions Dalloz-2013

Table des matières

 Avant-propos
 abréviations
 INTRODUCTION
I. Notions et fondements
II. Histoire
III. Philosophie de l'héritage
IV. Sociologie des successions
V. Sources
Livre 1 LA DÉVOLUTION SUCCESSORALE
Titre 1 LA DÉVOLUTION LÉGALE
Chapitre 1 LA RELATION SUCCESSORALE
Section 1. Le dÉfunt
§ 1. Ouverture de la succession
A. Causes
B. Date
C. Lieu
§ 2. Les droits extrapatrimoniaux
§ 3. Le corps
Section 2. L'HÉRITIER
§ 1. Existence de l'héritier
A. Les personnes futures
B. Les personnes déjà mortes
C. Situations particulières
§ 2. Absence d'indignité
A. Les cas d'indignité
B. La sanction
Chapitre 2 LES PRINCIPES DE DÉSIGNATION DES HÉRITIERS
Section 1. Principe tenant À la structure patrimoniale : l'unité de la succession
Section 2. PRINCIPES TENANT À LA STRUCTURE FAMILIALE DE LA SUCCESSION : LA PROXIMITÉ DE LA PARENTÉ
§ 1. Le cercle des successibles : le lien de famille
A. Rapport de parenté
B. Rapport de mariage
§ 2. Le classement des membres de la famille
A. Le classement de la parenté
1. La hiérarchie
2. L'égalité
B. Le classement en présence d'un conjoint
Chapitre 3 Les divers successibles
Section 1. LA SUCCESSION DE DROIT COMMUN
Sous-section 1. La parenté
§ 1. Les descendants
A. L'égalité des filiations
B. Le maintien de certaines différences
§ 2. Les ascendants privilégiés et les collatéraux privilégiés
A. Le défunt ne laisse que des collatéraux privilégiés
B. Le défunt laisse des ascendants privilégiés et des collatéraux privilégiés
C. Le défunt ne laisse que des ascendants privilégiés
§ 3. Les ascendants ordinaires
§ 4. Les collatéraux ordinaires
Sous-section 2. Le conjoint survivant
§ 1. L'option offerte au conjoint
A. Conditions d'existence
B. Modalités d'exercice
§ 2. La vocation à la totalité en usufruit
A. Assiette de l'usufruit
B. Exercice de l'usufruit
C. Conversion de l'usufruit légal en rente viagère
§ 3. La vocation en propriété
A. La masse de calcul
B. La masse d'exercice
C. L'imputation des libéralités consenties au conjoint
§ 4. Les droits au logement du conjoint survivant
A. Le droit temporaire au logement
B. Le droit viager d'usage et d'habitation
§ 5. La créance d'aliments
§ 6. Les droits du conjoint dans la succession de l'enfant adopté simple décédé sans postérité
Sous-section 3. L'État
§ 1. La vocation successorale
§ 2. L'impôt successoral
Section 2. LES SUCCESSIONS ANOMALES
§ 1. Les biens dévolus selon leur origine
A. Le droit de retour en cas d'adoption simple
B. Les droits des collatéraux privilégiés en présence du conjoint
C. Le droit de retour légal des père et mère donateurs
D. L'articulation des articles 368-1, 738-2 et 757-3
§ 2. Les biens dévolus selon leur nature
Titre 2 Le pouvoir de la volonté
Sous-titre 1 Les manifestations du pouvoir de la volonté
Chapitre 1 RÈGLES COMMUNES AUX LIBÉRALITÉS
Section 1. Prolégomènes à l'étude des libéralités
§ 1. La notion de libéralité
A. Absence de critère formel
B. Critère objectif : l'élément matériel
C. Critère subjectif : l'élément moral
D. De quelques cas
§ 2. Les orientations du droit des libéralités
A. Danger des libéralités et règles de défiance
B. Esprit de faveur et libéralisation du droit des libéralités
Section 2. Formation et validité
§ 1. Le consentement
A. Absence d'insanité d'esprit
B. Absence de vice du consentement
§ 2. La capacité
A. Les mineurs et les libéralités
B. Les majeurs protégés et les libéralités
1. Les incapacités
2. Les protections
C. Les restrictions propres au droit des libéralités
1. L'existence de la personne
2. Un lien préexistant entre deux personnes
D. Sanctions des règles de capacité et de protection
§ 3. L'objet
A. Existence de l'objet
B. Licéité de l'objet
§ 4. La cause
A. La cause et la qualification de l'acte
B. Absence de cause et fausse cause
C. Cause illicite ou immorale
§ 5. Modalités et charges
A. Diversité des catégories
B. Conditions ou charges impossibles, illicites ou immorales
C. Révision des charges et conditions
Chapitre 2 LE TESTAMENT
Section 1. CONDITIONS DU TESTAMENT
§ 1. Conditions de fond
A. Dispositions extrapatrimoniales
B. Dispositions patrimoniales
§ 2. Conditions de forme
I. Règles communes à tous les testaments
A. Exigence d'un écrit
B. Interdiction des testaments conjonctifs
C. Sanction des conditions de forme
II. Le testament olographe
A. Première condition : écriture du testament
B. Deuxième condition : date du testament
C. Troisième condition : signature du testament
III. Le testament par acte public
A. Le testament authentique
B. Les autres testaments par acte public
IV. Le testament mystique
V. Le testament international
Section 2. EFFETS DU TESTAMENT
§ 1. Avant le décès du testateur
A. Révocation par le testateur
B. Caducité
C. Effets de la révocation et de la caducité
§ 2. Après le décès du testateur
A. Exécution du testament
B. Inexécution du testament
Chapitre 3 LA DONATION
Section 1. Conditions de la donation
§ 1. De l'irrévocabilité des donations
A. Signification de l'irrévocabilité spéciale des donations
B. Portée de l'irrévocabilité spéciale des donations
§ 2. De la forme des donations
A. Principe de la solennité
B. Exceptions
1. Les dons manuels
2. Les donations déguisées
3. Les donations indirectes
Section 2. EFFETS DE LA DONATION
§ 1. Exécution des donations
§ 2. Anéantissement des donations
A. Révocation pour inexécution des charges
B. Révocation pour cause d'ingratitude
C. Révocation pour survenance d'enfant
Chapitre 4 LES LIBÉRALITÉS SPÉCIALES
Section 1. LES LIBÉRALITÉS SUCCESSIVES
§ 1. Les libéralités graduelles
A. Les conditions des libéralités graduelles
B. Les effets des libéralités graduelles
§ 2. Les libéralités résiduelles
Section 2. LIBÉRALITÉS À CARACTÈRE MATRIMONIAL
§ 1. Donations de biens présents
I. Donations par contrat de mariage
A. Donations faites par les tiers
B. Donations entre futurs époux
II. Donations entre époux pendant le mariage
§ 2. Institution contractuelle
I. Institutions par contrat de mariage
A. Institution faite par un tiers à un futur époux
B. Institution entre futurs époux
II. Institutions contractuelles entre époux
III. Variétés d'institutions contractuelles
§ 3. Donations déguisées entre époux
Section 3. LES LIBÉRALITÉS à CARACTÈRE COLLECTIF
§ 1. Les libéralités aux personnes morales
A. Capacité
B. Principe de spécialité
C. Personnes morales futures
D. Exécution
§ 2. Les fondations
A. Fondation adressée à une personne morale préexistante
B. Fondation par création d'une personne morale
Sous-titre 2 Les limites au pouvoir de la volonté
Chapitre 1 LA PROHIBITION DES PACTES SUR SUCCESSION FUTURE
Section 1. Le principe de la prohibition
§ 1. Histoire d'un principe
§ 2. Fondements du principe
§ 3. Réaffirmation du principe
Section 2. L'étendue de la prohibition
§ 1. Définition des pactes sur succession future
§ 2. Les pactes exceptionnellement valables
Chapitre 2 LA RÉSERVE HÉRÉDITAIRE
Section 1. Réserve et quotité disponible ordinaire
§ 1. En présence de descendants
A. Les descendants réservataires
B. Détermination de la réserve
C. Répartition de la réserve
§ 2. En l'absence de descendants
A. Suppression de la réserve des ascendants
B. Attribution d'une réserve au conjoint
Section 2. QUOTITÉ DISPONIBLE ENTRE ÉPOUX
§ 1. Étendue de la quotité disponible spéciale
§ 2. La protection spéciale des descendants
A. La protection de tous les descendants contre les libéralités en usufruit
B. La protection des enfants non communs contre les libéralités en propriété
Section 3. Combinaison des quotitÉs disponibles
Livre 2 LE RÈGLEMENT SUCCESSORAL
Titre 1 L'OPTION SUCCESSORALE
 CHAPITRE UNIQUE
Section 1. LES TITULAIRES DU DROIT D'OPTION
A. Les successibles
B. Le successible incapable
C. Les créanciers
Section 2. LES CARACTÈRES DE L'OPTION
A. Liberté de l'option
B. Indivisibilité de l'option
C. Prescriptibilité de l'option
D. Rétroactivité de l'option
E. Caractère pur et simple de l'option
Section 3. LES FORMES DE L'OPTION
A. Acceptation pure et simple
B. Acceptation à concurrence de l'actif net
C. Renonciation
Titre 2 L'ADMINISTRATION DE LA SUCCESSION
Chapitre 1 L'APPRÉHENSION DE LA SUCCESSION
Section 1. La saisine
§ 1. L'attribution de la saisine
A. Les successeurs saisis
1. Les héritiers ab intestat
2. Les successeurs testamentaires
B. Le concours des successeurs
1. Concours des successeurs saisis
2. Concours des successeurs saisis et des héritiers subséquents
§ 2. Les modalités de l'appréhension
A. L'appréhension par les successeurs saisis
1. La preuve non contentieuse
2. La preuve contentieuse
B. L'appréhension par les successeurs dont le titre doit être vérifié
Section 2. Les atteintes À la saisine
A. L'atteinte à la saisine à l'initiative du de cujus
B. L'atteinte à la saisine résultant de la nomination d'un administrateur par le juge
Chapitre 2 LA GESTION DE L'ACTIF
Section 1. L'INDIVISION
§ 1. Composition de l'indivision héréditaire
A. Quant aux personnes
B. Quant aux biens
§ 2. Régime légal
I. Gestion de l'indivision
A. Les règles de gestion
B. Aménagements facilitant la mise en œuvre des règles de gestion
II. Droits des coïndivisaires
A. Jouissance personnelle
B. Répartition des fruits
C. Capital
§ 3. Organisation conventionnelle de l'indivision
A. Convention d'indivision
B. Gestion des biens indivis
C. Droits des coïndivisaires
Section 2. LES MANDATS SUCCESSORAUX
§ 1. Le mandat à effet posthume
A. Conditions du mandat à effet posthume
B. Effets du mandat à effet posthume
C. Extinction du mandat à effet posthume
§ 2. Le mandat successoral conventionnel
A. Conditions du mandat successoral conventionnel
B. Effets du mandat successoral conventionnel
§ 3. Le mandat successoral judiciaire
A. Conditions du mandat successoral judiciaire
B. Effets du mandat successoral judiciaire
C. Extinction du mandat judiciaire successoral
Chapitre 3 LA LIQUIDATION DU PASSIF
Section 1. LIQUIDATION DU PASSIF EN CAS D'ACCEPTATION PURE ET SIMPLE
§ 1. Étendue de l'obligation au passif
A. Valeur de l'obligation ultra vires
B. Domaine de l'obligation ultra vires
C. Atténuation de l'obligation ultra vires : la décharge des dettes légitimement ignorées par l'héritier acceptant
§ 2. Mode de règlement du passif
I. Droit commun
A. Principe
B. La séparation des patrimoines
C. Hypothèque légale des légataires
D. EIRL
II. Pluralité d'héritiers
A. Position du problème
B. Exposé systématique du droit positif
Section 2. LIQUIDATION DU PASSIF EN CAS D'ACCEPTATION À CONCURRENCE DE L'ACTIF NET
§ 1. Isolement des patrimoines
A. L'isolement des patrimoines bénéficie à l'héritier
B. L'isolement des patrimoines bénéficie aux créanciers héréditaires et aux légataires
§ 2. Pouvoirs du successeur acceptant à concurrence de l'actif net
A. Gestion du patrimoine héréditaire
B. Liquidation du patrimoine héréditaire
C. Sanctions
§ 3. Existence d'une pluralité de successeurs
Section 3. LIQUIDATION DU PASSIF EN CAS DE VACANCE DE LA SUCCESSION
Titre 3 LA DISTRIBUTION DE LA SUCCESSION
Chapitre 1 DROIT COMMUN DE LA RÉPARTITION DU PATRIMOINE HÉRÉDITAIRE
Section 1. QUI PEUT PROVOQUER LE PARTAGE ?
§ 1. Titulaires du droit
§ 2. Tempéraments
A. Demande émanant d'un des coïndivisaires
B. Demande émanant d'un créancier personnel
Section 2. OPÉRATIONS PRÉALABLES AU PARTAGE
Sous-section 1. Composition de la masse partageable
§ 1. Composition de la masse partageable en l'absence de libéralité rapportable
I. Biens
A. Consistance
B. Évaluation
II. Obligations
A. Obligations existant entre le défunt et les tiers
B. Obligations existant entre la succession et un successeur
§ 2. Composition de la masse partageable en présence de libéralités rapportables
I. Histoire
II. L'obligation au rapport
A. Régime légal
B. Le pouvoir de la volonté
III. L'exécution du rapport
A. Le régime légal
B. Le pouvoir de la volonté
Sous-section 2. La protection de la masse partageable : le recel successoral
A. Définition du recel
B. Sanctions du recel
Section 3. LE PARTAGE
Sous-section 1. Conditions du partage
§ 1. Les règles gouvernant la réalisation du partage
I. Règles assurant l'égalité des copartageants
A. Le partage amiable
B. Le partage judiciaire
C. L'attribution préférentielle par voie de partage
II. Règles assurant la protection des tiers
A. Opposition à partage
B. Effet de l'opposition à partage
§ 2. Les sanctions des règles du partage
A. Nullités du partage
B. Sanctions propres à la règle de l'égalité
Sous-section 2. Effets du partage
§ 1. Conséquences de l'effet déclaratif
A. Droit civil
B. Droit fiscal
§ 2. Domaine de l'effet déclaratif du partage
A. Des actes donnant lieu à effet déclaratif
B. Des biens donnant lieu à effet déclaratif
C. Des personnes à l'égard desquelles se produit l'effet déclaratif
Chapitre 2 LA MISE EN ŒUVRE DU DROIT À LA RÉSERVE
Section 1. LA DÉTERMINATION DE L'ATTEINTE À LA RÉSERVE
§ 1. Établissement de la masse de calcul
A. Composition de la masse de calcul
B. Évaluation de la masse de calcul
§ 2. Imputation des libéralités
I. Secteur de l'hérédité sur lequel s'effectue l'imputation
A. Libéralités consenties à un non-réservataire
B. Libéralités consenties à un réservataire
II. Ordre dans lequel s'effectue l'imputation
A. Legs et donations
B. Institutions contractuelles et donations de biens présents entre époux
III. Cas particulier des libéralités en usufruit ou en nue-propriété
Section 2. LE RÉTABLISSEMENT DE LA RÉSERVE
§ 1. L'exercice de l'action en réduction
I. Caractères de l'action
A. Caractère personnel
B. Caractère divisible
II. Modalités de la réduction
A. Domaines respectifs de la réduction en valeur et de la réduction en nature
B. Fonctionnements respectifs de la réduction en valeur et de la réduction en nature
§ 2. La renonciation anticipée à l'action en réduction
A. Conditions
B. Effets
C. Révocation
Chapitre 3 LES LIBéRALITéS-PARTAGES
Section 1. LA DONATION-PARTAGE
§ 1. Conditions de la donation-partage
A. Cadre juridique
B. Répartition des biens
§ 2. Effets de la donation-partage
A. Avant l'ouverture de la succession
B. Après l'ouverture de la succession
§ 3. Sanctions
A. Protection de la part réservataire de l'héritier conçu
B. Protection de la part héréditaire de l'héritier non conçu
C. Donation-partage transgénérationnelle
Section 2. LE TESTAMENT-PARTAGE
§ 1. Conditions du testament-partage
A. Cadre juridique
B. Répartition des biens
§ 2. Effets du testament-partage
§ 3. Sanction
 Index Alphabétique

abréviations

AJ fam. Actualité juridique famille
AJDA Actualité juridique droit administratif
ALD Actualité législative Dalloz
Ass. plén. Cour de cassation, assemblée plénière
BOI Bulletin officiel des impôts
Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambres civiles
Bull. crim. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambre criminelle
C. assur. Code des assurances
C. civ. Code civil
C. com. Code de commerce
CASF Code de l'action sociale et des familles
C. pén. Code pénal
C. pr. civ. Code de procédure civile
C. pr. exéc. Code des procédures civiles d'exécution
C. rur. Code rural
Cass. ch. Mixte Cour de cassation, chambre mixte
Cass. ch. réun. Cour de cassation, chambres réunies
CE Conseil d'État
CEDH Cour européenne des droits de l'homme
CGI Code général des impôts
Civ. Cour de cassation, chambres civiles
CJCE/CJUE Cours de justice des Communautés européennes/ de l'Union européenne
COJ Code de l'organisation judiciaire
Com. Cour de cassation, chambre commerciale
Cons. const. Conseil constitutionnel
CPI Code de la propriété intellectuelle
Crim. Cour de cassation, chambre criminelle
CSP Code de la santé publique
CSS Code de la sécurité sociale
D. Aff. Dalloz affaires
D. Recueil Dalloz
DA Dalloz analytique (années 1941 à 1944)
DC Dalloz critique (années 1941 à 1944)
Defrénois Répertoire du notariat Defrénois
DH Dalloz hebdomadaire (années antérieures à 1941)
DP Dalloz périodique et critique mensuel (années antérieures à 1941=)
Dr. fam. Droit de la famille
Dr. Sociétés Droit des sociétés
Gaz. Pal. Gazette du Palais
GAJC Grands arrêts de la jurisprudence civile, 12e éd. 2008
Grands arrêts DIP Grands arrêts de droit international privé
J.-cl. civil Juris-Classeur civil
JCP Juris-classeur périodique, édition générale
JCP E Juris-classeur périodique, édition entreprise
JCP N Juris-classeur périodique, édition notariale
JDI Journal de droit international (Clunet)
JO Journal officiel
JOAN Q Journal officiel, édition débats (réponses ministérielles à question écrites)
Juris-Data Banque de données juridiques
Lebon Recueil des arrêts du Conseil d'État
LPA Les petites affiches
LPF Livres des procédures fiscales
RCA Responsabilité civile et assurances
RD banc. fin. Revue de droit bancaire et financier
RD rur. Revue de droit rural
RDC Revue des contrats
RDSS Revue de droit sanitaire et sociale
Req. Cour de cassation, chambre des requêtes
Rev. crit. DIP Revue critique de droit international privé
Rev. Sociétés Revue des sociétés
RHDFE Revue historique de droit français et étranger
RGAT Revue générale des assurances terrestres
RHD Revue historique de droit
RID comp. Revue internationale de droit comparé
RJDA Revue de jurisprudence de droit des affaires
RJPF Revue juridique Personnes et famille
RLDC Revue Lamy droit civil
RRJ Revue de recherche juridique – Droit prospectif
RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil
RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial
S. Recueil Sirey
Soc. Cour de cassation, chambre sociale
T. civ. Tribunal civil
T. confl. Tribunal des conflits
TGI Tribunal de grande instance
TI Tribunal d'instance

INTRODUCTION

I. Notions et fondements

Succession : un mot à sens multiples ◊ Le terme de succession n'est pas propre au droit 1. De manière générale, son emploi atteste l'existence d'une suite d'événements, de personnes, d'actes ou de choses, en d'autres termes une diversité tempérée par une certaine continuité. C'est dire que l'écoulement du temps est inhérent à l'idée de succession. La force du destin s'exprime, selon les cas, par une succession de bonheurs ou de malheurs ; et s'il y a alternance, c'est encore de succession qu'il s'agit.

Inscrit dans le temps, vivant dans le temps, le droit traite souvent du phénomène de la succession. Point n'est besoin pour cela que s'y ajoute le drame de la mort. De personne vivante à personne vivante, entre vifs dit-on encore, la succession de l'une à l'autre dans la propriété d'un bien ou l'exercice d'une fonction n'est pas indifférente au droit ; à travers le mot de transmission, c'est bien alors de succession qu'il est question, mais dans une acception large du mot. En droit public, il est habituel de parler de succession d'États lorsque, sur un territoire, la souveraineté passe d'un État à un autre. Même en droit, le terme n'est donc pas nécessairement évocateur de mort ; son emploi exprime la vie des relations humaines, qu'elles soient imprégnées d'amitié ou d'inimitié.

C'est pourtant dans la perspective de la mort qu'est le plus souvent utilisé le terme de succession. Non point qu'il y ait, sous réserve de quelque fiction façonnée par les juristes, coïncidence dans le temps d'une transmission successorale avec un décès, mais parce que, lorsque se produit cet événement, l'on doit savoir ce qu'il advient du mort et de ce qui se rattachait à sa personne. La mort d'un souverain a suscité des querelles et des guerres trop connues pour qu'il soit besoin d'insister : guerres de succession d'Espagne, d'Autriche, de Bavière, etc. ; autant de conflits qui ont alimenté le droit international public. Dans l'ordre interne, la succession pour cause de mort n'est pas davantage ignorée du droit public, à l'étranger ou en France : par un acte de succession, le Parlement d'Angleterre décida, en 1701, d'exclure les catholiques du trône ; ailleurs, l'exclusion des femmes engendra de grandes conséquences.

Droit privé et successions ◊ À s'en tenir aux successions qui s'ouvrent au décès des particuliers, la diversité subsiste, car l'on peut donner deux sens au mot de succession.

a) Tantôt celui-ci sert à désigner un ensemble qui fait l'objet d'une transmission par l'effet d'un décès ; il n'est pas rare que, dans cette même acception, l'on parle de l'hérédité. L'on vise généralement de la sorte les biens qu'une personne laisse en mourant ; en ce sens, ses proches viennent ou ne viennent pas à sa succession ; ils acceptent celle-ci ou y renoncent. Faire état d'une petite, d'une moyenne ou d'une grosse succession, de la dévolution (ex. C. civ., art. 731), de la division, de la transmission ou du partage d'une succession, ou encore interdire la vente de la succession d'une personne vivante (C. civ., anc. art. 1600), c'est se référer à cette première signification.

b) Tantôt le terme de succession est attaché au mode de transmission de ce que le défunt laisse à son décès. Parler alors de succession, c'est envisager le processus par lequel ce qui est laissé sera dévolu, transmis, liquidé, voire partagé entre les héritiers. Sans être exclusive, cette signification l'emporte dans le Code civil, surtout si l'on en considère le plan. Le titre « Des successions » est, en effet, situé dans le livre troisième du Code, intitulé « Des différentes manières dont on acquiert la propriété » ; il en constitue le titre premier.

En tant que mode de transmission à cause de mort, la succession revêt, en réalité, deux formes : la succession légale et la succession testamentaire. L'on doit cependant constater que le titre du Code civil précédemment évoqué ne concerne que la succession ab intestat 2 ou encore succession légale, dont les règles s'appliquent à la suite de ce fait juridique que constitue le décès, lorsque « celui de la succession duquel il s'agit » – commodément et traditionnellement appelé le de cujus 3 – , n'a pas fait de testament ou a fait un testament privé d'effet. C'est dans un autre titre, le titre 2, du même livre du Code civil, intitulé « Des libéralités », que figurent les règles relatives aux donations entre vifs et aux testaments, donc aux successions testamentaires, qui sont liées à la fois à un fait juridique (le décès) et à un acte juridique (le testament).

Incluses, quel que soit le type de succession – ab intestat ou testamentaire –, dans le livre troisième du Code civil, les règles applicables illustrent doublement l'idée d'un processus : mode de transmission de ce que laisse le défunt, mode d'acquisition de la propriété de ce qu'il laisse.

Hérédité et succession ◊ Cette deuxième portée de l'expression atteste la philosophie qui inspira l'élaboration du Code civil. Non seulement la succession est surtout envisagée comme un mode de transmission, mais aussi elle ne l'est que comme un moyen d'acquérir la propriété, ce qui limite le domaine ainsi appréhendé : parce qu'il s'agit d'acquisition de la propriété, le droit paraît bien se désintéresser des droits extrapatrimoniaux, et même de tant d'autres choses de la vie devenues du fait du décès, qu'on le veuille ou non, des choses de la mort. D'une double manière, le juriste, dépassant une vision étriquée, est porté à préciser ici les relations du droit et de l'hérédité.

On doit, en effet, observer tout d'abord que, au sens large de l'expression, l'hérédité ne se limite pas à un ensemble de biens ni, au sens abstrait que la théorie juridique a forgé, à un patrimoine, cette vocation à être titulaire actif ou passif de droits 4. Outre la transmission des biens, il faut régler le sort des droits extrapatrimoniaux du défunt 5. Si certains, tels les droits moraux attachés à la création des œuvres de l'esprit sont transmissibles (infra, n° 246), d'autres, tels les droits de la personnalité, ne le sont pas (infra, n°50). Plus largement, à côté de la successio in bonis, il faut faire une place à ce que l'on appelait dans l'ancienne France la successio in dignitatibus 6 et que l'on pourrait nommer aujourd'hui la succession au pouvoir : pouvoir économique (direction d'une entreprise), pouvoir social (un réseau de relations), pouvoir culturel (dynastie d'universitaires, de comédiens), pouvoir politique (dynastie d'hommes publics). Il est vrai que, dans cette voie, l'on quitte progressivement le terrain du droit, du moins du droit privé, car la succession au pouvoir – entendons au pouvoir économique et social – n'est pas indifférente au droit.

 

Il convient, en outre, de souligner que l'hérédité n'affecte pas seulement les biens que s'attache la personne, ou encore ses honneurs, ses avantages, son prestige. Qui dit hérédité dit aussi hérédité biologique. L'on hérite en ce sens, qu'on le veuille ou non, de beaucoup de choses. Pour qui s'attache à percer le mystère de la vie, sans croire nécessairement à la métempsychose – négatrice de l'héritage en ce qu'elle renforce la continuité au détriment de la diversité –, il peut exister un lien entre la transmission héréditaire des qualités et des défauts, des vertus et des vices, et celle des créances et des dettes. Seulement cette relation peut être conçue de maintes manières 7.

Les justifications de l'héritage ◊ Le fait est que la référence à l'hérédité biologique a pu être invoquée à l'appui d'une justification de l'héritage. Pareille opinion n'est plus guère soutenue aujourd'hui. De ce que l'hérédité est porteuse de vices ou de vertus, on ne peut tirer rationnellement de conséquence juridique quant au fondement de l'héritage. Rapproché de l'hérédité biologique, l'héritage juridique devrait-il servir à renforcer les avantages ou à compenser les inconvénients 8 ?

Dès lors que l'on écarte cette justification, il semble que la détermination du fondement de l'héritage implique un choix entre une référence à la propriété et une référence à la famille. Au-delà de ces mots, l'on perçoit une alternative : donnée économique ou donnée morale ?

Héritage et propriété ◊ Il arrive que l'on discerne quelque ambiguïté, voire un cercle vicieux, dans la manière dont certains auteurs, après avoir fondé la propriété, sinon totalement du moins partiellement, sur l'héritage, fondent l'héritage sur la propriété. Cette attitude n'est pas satisfaisante. À supposer que l'on établisse un lien essentiel entre les deux phénomènes, un ordre de précession doit être établi. Il est alors rationnel de retenir la formule suivante : la propriété précède l'héritage. Mais convient-il de la considérer comme son fondement ?

Dans une vision libérale des choses, on est porté à considérer qu'il est de l'essence de la propriété de se transmettre au décès du propriétaire à ses proches. Telle est bien, au reste, la mentalité de l'immense majorité des propriétaires. L'on incline en ce sens à rattacher l'héritage au caractère perpétuel de la propriété et au principe selon lequel celle-ci ne se perd pas par le non-usage. Et de fait, pour remplir dans la société ses fonctions irremplaçables, la propriété privée doit être héréditaire. S'il a pour seule perspective le retour de ses biens à la collectivité lorsqu'il viendra à mourir, le propriétaire se désintéressera de leur état, ce qui, en définitive, sera nuisible à tous. Pour exprimer ce danger, l'on a comparé sa situation à celle d'un usufruitier titulaire d'« un droit réel coupé de l'hérédité et de la durée » 9 et de ce fait rebelle à investir et avide à consommer. L'on a observé que, si l'on donnait aux propriétaires l'esprit usufruitier, ils chercheraient « à tirer de l'immédiat le rendement maximum, dût le fonds en crever » 10. Le rapprochement est peut-être excessif, dans la mesure où le propriétaire d'un bien, non transmissible à cause de mort, peut cependant en céder de son vivant la pleine propriété. Mais raisonner de la sorte, c'est faire à tort abstraction de la crainte que l'on a si souvent de manquer de ressources au temps du troisième âge.

Si l'héritage apparaît bien comme le prolongement naturel et indispensable de la propriété, l'on doit pourtant constater que la relation entre ces deux données est bien loin d'être absolue. L'on peut devenir propriétaire autrement que par la voie de l'héritage ou cesser de l'être après avoir hérité. En outre, si l'héritage est un phénomène assez universel, il arrive souvent qu'il s'accompagne, notamment dans les sociétés évoluées, d'un prélèvement opéré par la société globale (infra, n° 203). Enfin, dans tel ou tel courant de pensée socialiste, l'on a pu soutenir qu'un droit de propriété doit s'éteindre à la mort de son titulaire et que l'héritage nuit à l'égalité (v. infra, no 22) 11.

Héritage et famille ◊ L'héritage ne saurait reposer sur une vision exclusivement économique, axée sur l'existence, l'épanouissement et la transmission de la propriété privée. Une autre dimension lui donne sa véritable ampleur ; d'ordre moral, elle se relie à l'existence de la famille et aux multiples fonctions de celle-ci, notamment dans le cadre familial : production, consommation, distribution, assistance. Pour qu'elles soient remplies d'une manière qui puisse assurer la solidarité entre les générations, l'héritage est nécessaire. Au-delà d'une attitude, sinon égoïste, du moins exagérément individualiste, il est un ciment de la cellule familiale et, par voie de conséquence, contribue à assurer l'équilibre du corps social. Comme l'écrit justement un auteur, « ce n'est pas à l'échelle de l'homme qu'il faut bâtir la propriété, c'est à l'échelle de la famille » 12.

Sans doute convient-il d'observer, là encore, que la relation n'est pas absolue. Dans beaucoup de familles, dérisoire est le montant de l'héritage, que ce soit celui qu'on recueille ou celui qu'on laisse en mourant. À l'inverse, l'absence de famille peut coexister avec une richesse obtenue par voie successorale ou laissée par un milliardaire expirant dans la solitude. Il n'en reste pas moins que, dans l'immense majorité des cas, tout atteste la fonction familiale de l'héritage 13. Il va de soi que le rôle de celui-ci est dans la dépendance de celui que la société globale entend reconnaître à la famille.

Loin de s'exclure, la donnée économique et la considération d'ordre moral, ou encore la référence à la propriété privée et la relation avec la famille, sont intimement liées à la base de l'institution successorale. Le droit des successions et des libéralités, comme le droit des régimes matrimoniaux, s'ordonne donc sous le signe de la protection du patrimoine familial 14. Cette considération inspire en matière de dévolution ou de règlement des successions les rôles respectifs du légal et du volontaire.

La loi et la volonté ◊ Si les données économiques et les considérations morales se conjuguent pour fonder le droit des successions, elles se séparent lorsqu'il est question de l'organiser : plusieurs techniques peuvent en effet être envisagées, dont l'importance respective dépend de la place accordée à chacun de ces fondements.

Deux grands systèmes de désignation des successeurs sont concevables : les successeurs peuvent être désignés par la loi ou par le de cujus. Dans le premier cas, la dévolution est dite légale ; dans le second, volontaire.

1) La succession légale. Ce peut être le législateur lui-même qui définit les personnes ayant vocation à recueillir les successions. À cette fin, il s'inspire de considérations multiples, nature ou origine des biens (infra, nos 76 s.), mais aussi et surtout proximité du lien de parenté. Il lui appartient alors de délimiter le cercle des personnes éventuellement appelées et d'en opérer le classement. Le groupe des successibles peut être conçu en termes larges – tous les membres de la famille sans limitation de degré –, ou étroits – les parents proches – (infra, nos 85 s.). Le classement à l'intérieur du groupe peut être opéré selon des techniques diverses : hiérarchie des ordres et des degrés du droit français ou système des parentèles du droit allemand (infra, no 99).

 

2) La succession volontaire. Lorsqu'elle veut être source de droit, la volonté humaine peut opérer de deux façons : soit elle rencontre d'autres volontés, c'est la convention ; soit elle s'exprime isolément, c'est l'acte juridique unilatéral. En théorie, la désignation des successeurs peut se faire aussi bien par contrat que par acte juridique unilatéral. Mais traditionnellement, le droit français des successions privilégie, à la différence des autres composantes du droit privé, l'acte juridique unilatéral.

L'acte unilatéral par lequel une personne en appelle une autre à sa succession s'appelle le testament (infra, n° 374). Acte à cause de mort, ses effets ne se produisent qu'au décès du testateur ; acte révocable, son contenu peut toujours être librement modifié par son auteur jusqu'à cette date. Censé, de ce fait, traduire les désirs exacts du de cujus à l'instant du décès, il est qualifié acte de dernière volonté 15 et constitue l'instrument privilégié de désignation des successeurs.

Rien n'empêche pourtant d'imaginer que celle-ci s'opère au moyen d'un contrat : le de cujus désigne de son vivant, et pour le temps où il ne sera plus, ses successeurs présomptifs qui acceptent. L'accord, souvent nommé institution contractuelle ou encore donation de biens à venir, ne produit effet qu'au décès de son auteur. Mais revêtant la forme conventionnelle, il le lie irrévocablement ; participant de l'essence des conventions, le contrat successoral ne peut en effet être révoqué que du consentement mutuel des parties qui décident de défaire ce qu'elles ont construit (C. civ., art. 1134, al. 2) 16. C'est sans doute ce qui explique que, si certains droits comme le droit allemand admettent le contrat successoral, d'autres – ainsi le droit français – le prohibent (infra, nos 683 s.).

Cette prohibition ne va pas cependant sans tempéraments. Il est des institutions contractuelles – entre époux ou au profit des époux – autorisées par le droit français (infra, nos 639 s.). De plus, le de cujus peut toujours, au moyen d'une donation, transmettre à qui l'accepte et à titre gratuit non son patrimoine mais les biens qui le composent (infra, nos 491 s). Sans doute, cette transmission s'opère-t-elle entre vifs, le transfert des droits de la tête du disposant sur celle du gratifié étant contemporain de la conclusion du contrat. Mais la possibilité – souvent utilisée – qu'a le donateur de se réserver l'usufruit du bien donné favorise l'échelonnement des transmissions (infra, n° 339).

Leurs rôles respectifs ◊ Les rapports du légal et du volontaire dépendent étroitement du fondement que l'on assigne au droit des successions. Selon que l'on privilégie ou non l'un ou l'autre de ces fondements, ces rapports peuvent être de prédominance ou d'équilibre.

Si l'on fait prévaloir une conception patrimoniale et individualiste, la dévolution volontaire l'emporte. La succession étant envisagée comme un prolongement de la propriété, sa réglementation doit être recherchée dans la volonté du propriétaire. Libre de disposer de ses biens entre vifs, celui-ci l'est également au jour de sa mort. Il n'y a là qu'une des prérogatives attachées à sa position de propriétaire. L'entraver, c'est affaiblir la propriété. Stimulant irremplaçable de l'activité individuelle, celle-ci n'atteindra pleinement son but que si le propriétaire est libre de disposer de ses biens, non seulement entre vifs mais aussi à cause de mort. Seule borne à cette liberté : en cas d'exhérédation des proches, le juge n'hésitera pas à scruter avec une particulière attention la volonté du de cujus afin de vérifier si celle-ci était bien libre et éclairée 17.

À la supposer retenue, cette conception n'élimine pourtant pas tout recours à la dévolution légale. En effet, même dans les systèmes les plus favorables au pouvoir de la volonté, il faut toujours prévoir l'hypothèse où un individu est mort sans avoir testé (intestat). Simplement, dans ce cas, la dévolution légale ne jouera qu'un rôle subsidiaire. De plus, elle sera souvent organisée autour de l'idée de testament présumé. La loi désigne les héritiers par interprétation de la volonté du défunt, selon l'ordre présumé de ses affections. Tel fut autrefois le système du droit romain ; tel a été longtemps et est encore partiellement le système des pays de common law 18.

Si, au contraire, les considérations morales et familiales l'emportent, la succession légale prévaut. Expression des devoirs de l'individu envers sa famille, la succession doit se répartir entre les membres de celle-ci conformément à ce qu'exige l'ordre social et politique. Reconnaître un certain pouvoir à la volonté du de cujus, c'est lui permettre de sacrifier les intérêts de la famille à ses vues personnelles. Ainsi, à la limite, pourrait-on concevoir que, dans cette perspective, le statut légal élimine complètement le statut volontaire. Si l'histoire en a donné des exemples 19, le droit comparé n'en offre plus aucun aujourd'hui 20. De fait, de nos jours, la tendance est à la coexistence plutôt qu'à la prédominance.

Mêlant au soutien du droit des successions les considérations économiques et morales, les législations des pays de tradition romano-germanique tentent de l'organiser en recherchant un point d'équilibre entre le légal et le volontaire. Celui-ci est le plus souvent trouvé dans la distinction suivante : le pouvoir de la volonté du de cujus est reconnu, mais il ne peut se développer que dans certaines limites, celles de la quotité disponible. Au-delà, c'est le domaine de la réserve héréditaire dont la dévolution obéit aux seules règles légales (infra, nos 700 s.). Le patrimoine du de cujus est ainsi découpé en deux masses dont l'importance respective varie selon le nombre et la proximité des parents appelés par le législateur à recueillir la succession.

La position du droit français ◊ Cet équilibre est, depuis fort longtemps, celui du droit français. L'article 721 du Code civil, dans la rédaction que lui a donnée la loi du 3 décembre 2001, l'exprime très exactement : « les successions sont dévolues selon la loi lorsque le défunt n'a pas disposé de ses biens par des libéralités. Elles peuvent être dévolues par les libéralités du défunt dans la mesure compatible avec la réserve héréditaire ».

Cet équilibre ne paraît pas devoir être remis en question, au moins dans ses choix essentiels. À supposer que le législateur veuille un jour supprimer la quotité disponible, il ne le pourrait pas. Le Conseil constitutionnel considère, en effet, que le droit de disposer de sa propriété a valeur constitutionnelle 21. Ce n'est pas à dire pour autant que la réserve héréditaire soit contraire à la Constitution. Des limitations peuvent, en effet, être apportées à l'exercice de ce droit de disposer dès lors qu'elles n'ont pas « un caractère de gravité tel que l'atteinte qui en résulte en dénature le sens et la portée » 22. Or la réserve peut elle-même trouver un appui dans le préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie la Constitution de 1958 23. Celui-ci prévoit, en effet, que la Nation « assure (…) à la famille les conditions nécessaires à son développement ». Or la réserve est l'expression de la solidarité familiale : la transmission obligée d'une partie du patrimoine du de cujus à ceux qui lui sont les plus proches, descendants, à défaut conjoint, conforte le lien familial 24. L'abandon de la réserve héréditaire serait la marque d'une société où l'individualisme l'aurait emporté sur les solidarités familiales et où l'égoïsme serait devenu le seul ressort de l'activité humaine : « ce qui est à moi est à moi, rien n'est dû à mes enfants » 25. Au reste, même considérée d'un point de vue individualiste, la réserve n'est pas sans mérite. À une époque où on exalte tant les libertés, elle protège les descendants « contre les excès d'une volonté qui ne veut pas s'éteindre » 26, en leur évitant d'être totalement exhérédés au motif que leur mode de vie ou leur opinion déplairait au de cujus.

Il importe maintenant de comprendre comment cet équilibre est, au fil du temps, devenu celui du droit français.

II. Histoire

Généralités ◊ L'évolution du droit successoral français des origines à nos jours est d'une extrême complexité 27. La retracer dans sa diversité et ses multiples détours excéderait les limites d'un simple Précis. Aussi se contentera-t-on d'en esquisser les grandes lignes. Ce raccourci aura pour objet de montrer quelle place la dévolution légale et le pouvoir de la volonté ont tour à tour occupée dans l'organisation du droit successoral français ; il permettra également une meilleure approche de certaines institutions contemporaines qui ne se comprennent plus guère que par rapport à l'histoire 28.

La codification de 1804 joue, en matière successorale comme dans les autres domaines du droit civil, le rôle de pivot. Aussi étudiera-t-on successivement la période antérieure au Code civil, le Code civil, la période ultérieure.

1° Avant le Code civil ◊ Antérieurement au Code civil, l'histoire du droit successoral français est faite de deux périodes, l'une très longue, des origines à 1789, qu'on a pu comparer à une lente sédimentation, l'autre brève et brutale, qui correspond à la Révolution française.

Ancien droit français ◊ Il est marqué par la division de l'ancienne France en pays de coutume au Nord, en pays de droit écrit au Sud 29.

Ancien droit écrit ◊ On enseigne habituellement que l'Ancien droit écrit était le reflet fidèle du droit romain dans son dernier état. Le propos doit être nuancé à un double égard. D'une part, il ne rend compte du droit des provinces du Sud de la France que pour la période postérieure au XVe siècle, lorsque la réception du droit romain y devint plus générale ; auparavant, les coutumes applicables, quoiqu'imprégnées de droit romain, s'en écartaient sur nombre de points, notamment quant à la dévolution de la succession ab intestat. D'autre part, même après cette réception, les solutions des pays de droit écrit continuèrent à en différer sur certaines questions. Malgré cette double réserve, il reste vrai que l'Ancien droit écrit présentait les mêmes traits dominants que le droit romain : la succession testamentaire y primait une succession ab intestat dont l'organisation était fondée sur l'idée de testament présumé.

 

À Rome, le testament était la pièce maîtresse du régime successoral. Mourir intestat, c'est-à-dire sans laisser de testament, y était considéré comme un déshonneur. On rattache souvent cette solution à l'analyse romaine du droit de propriété. Plena in re potestas, celui-ci confère à son titulaire le pouvoir d'en disposer à sa guise, notamment à cause de mort. En réalité, il semble bien qu'au moins au départ, le testament ait été l'instrument par lequel le pater familias désignait celui de ses parents qu'il considérait comme le futur chef de famille, chargé de l'entretien du culte domestique. C'est dire qu'à l'origine, les considérations familiales et religieuses l'emportaient sur les considérations économiques et individualistes. Passées au second plan avec l'affaiblissement de la famille romaine et des idées religieuses, elles devaient néanmoins réapparaître en raison des abus auxquels donna lieu la liberté testamentaire. Afin d'éviter que le testateur n'exhérède complètement ses proches parents, le tribunal des centumvirs leur reconnut une action contre le testament les déshéritant en considérant que celui-ci ne pouvait qu'être l'œuvre d'un fou ; c'était la querela inofficiosi testamenti. Elle était recevable dès lors que les proches du testateur, descendants, ascendants et à certaines conditions frères et sœurs, n'avaient pas reçu leur part légitime, soit un quart de la succession, et qu'il n'existait pas de motif valable de les en priver ; elle entraînait la nullité totale du testament. Justinien porta la légitime à un tiers ou à la moitié de la succession selon le nombre d'enfants laissés par le testateur et décida qu'elle protégeait les légitimaires aussi bien contre les donations que contre les legs. Enfin, il fut prévu que le légitimaire disposait d'une simple action en complément – le testament subsistant pour le surplus – dès lors que le testateur lui avait laissé quelque chose.

Les pays de droit écrit connurent une évolution à peu près parallèle. En effet, alors qu'au Moyen Âge, la plupart des coutumes de ces provinces reconnaissaient au testateur une entière liberté de disposer, la réception du droit romain devait ramener aux solutions de Justinien : les légitimaires sont à peu près les mêmes qu'en droit romain 30 ; leur légitime, qui porte sur la totalité des biens, varie du quart à la moitié ; elle est sanctionnée, selon que le légitimaire a ou non été omis, par la nullité du testament ou par une action en complément 31.

Mais, quelle que soit la place faite au testament, il n'en faut pas moins prévoir le cas où le de cujus meurt intestat. À cet égard, le droit romain, au terme d'une évolution complexe, fonde la succession ab intestat sur la volonté présumée du de cujus. La fameuse novelle 118 de Justinien appelle à la succession quatre ordres d'héritiers, les descendants (chapitre 1), à défaut les ascendants ainsi que les collatéraux privilégiés, c'est-à-dire, les frère et sœur germains 32 et leurs descendants (chapitres 2 et 3), à défaut des précédents, les autres collatéraux jusqu'au septième degré. De plus, lorsque le conjoint survivant en concours avec les parents du de cujus se trouve dans la pauvreté, il a droit à un quart de la succession en pleine propriété ; c'est la quarte du conjoint pauvre. Ce classement, ainsi que les correctifs qui l'accompagnent – représentation pour les descendants et collatéraux (infra, nos 102 s.), fente pour les ascendants (infra, n° 111) –, préfigure déjà les solutions du Code civil.

 

Ces solutions furent reprises à partir du XVe siècle dans les pays de droit écrit, les coutumes contraires tombant peu à peu en désuétude. Néanmoins, certaines règles traditionnelles parvinrent à se maintenir grâce aux testaments et aux contrats de mariage 33.

Ancien droit coutumier ◊ Il se caractérise par une mosaïque de régimes. Néanmoins, il a été montré qu'au sein même de cette diversité, un certain nombre de traits communs permettait de rassembler les coutumes en grands groupements : coutumes de l'Ouest de caractère conservateur, coutumes de Paris et d'Orléans, plus avancées et qui tendent à devenir le droit commun, coutumes du Nord qui se subdivisent elles-mêmes en coutume flamande d'une part, en coutumes picarde et wallonne de l'autre, et qui sont dans l'ensemble très fortement communautaires 34. Au-delà de ces groupements, quelques traits émergent. C'est sur eux que l'on mettra l'accent.

 

La conception retenue par l'ancien droit coutumier s'inspire de l'antique tradition germanique. Celle-ci se fonde sur un système de copropriété familiale qui occulte le problème successoral : à la mort d'un individu, les biens continuent d'appartenir aux autres membres du groupe. C'est dire que, lorsque la propriété familiale fit place à la propriété individuelle, la succession coutumière revêtit un caractère familial très accusé. Ce qui importe avant tout, c'est que la famille conserve son rang et donc ses biens. Les conséquences en sont les suivantes : la dévolution est principalement légale, le testament ne jouant qu'un rôle d'appoint. La dévolution légale n'est pas fondée sur la volonté présumée du défunt, mais sur l'idée de conservation des biens dans la famille ; il faut éviter qu'à la faveur d'une succession, les biens réunis par les ancêtres et tenus d'eux passent à une autre famille. De là, la distinction des propres et des acquêts. Les propres sont les biens immobiliers que le de cujus tient de ses aïeux par succession. Les acquêts sont les biens acquis par le de cujus durant sa vie 35. On leur assimile les meubles tenus pour choses viles.

Représentant l'élément stable du patrimoine et permettant de maintenir la splendeur du nom, les propres sont réservés à la famille pour les quatre cinquièmes, c'est la réserve des quatre quints. La liberté testamentaire ne peut s'exercer que dans la limite du disponible, appelé le quint datif. Mais le souci de maintenir les biens dans la famille commande également les règles de choix des successeurs légaux. À défaut de descendant, on considère l'origine des propres et chacun revient à la ligne paternelle ou maternelle dont il émane. C'est la règle paterna paternis materna maternis 36. Les modalités de mise en œuvre de cette directive sont, au demeurant, très diverses selon les coutumes. Certaines, les coutumes souchères, décident que l'on doit remonter jusqu'à l'ancêtre qui a fait entrer le bien dans la famille et l'attribuer à un de ses descendants ; d'autres, les coutumes de cote et de ligne, prévoient que le bien doit aller à un parent du premier acquéreur sans qu'il descende nécessairement de celui-ci ; d'autres encore, les coutumes de tronc commun, disposent qu'il faut rechercher le dernier ascendant qui ait été à la fois propriétaire du bien et parent commun du de cujus et du candidat à la succession ; et la liste n'est nullement exhaustive. En tout état de cause, ces héritiers, même très éloignés, sont réservataires dès lors qu'ils sont en rang utile pour succéder.

Sur les meubles et les acquêts, l'emprise familiale est beaucoup plus faible. Le de cujus peut en principe en disposer à sa guise. Encore faut-il distinguer selon les coutumes. En effet, dans l'Ouest, la réserve coutumière porte également sur les acquêts, à titre principal en Normandie, à titre subsidiaire, c'est-à-dire si leur valeur dépasse celle des propres, en Anjou et dans le Maine ; elle est alors des deux tiers. Dans les autres coutumes, cette liberté ne résistera pas à une évolution dans la composition des patrimoines ; les fortunes étant moins stables, l'importance des acquêts s'accroît et avec elle les risques d'exhérédation de la famille. Afin d'y remédier, la légitime des pays de droit écrit pénètre dans ces coutumes : elle profite aux seuls descendants pour la moitié de leur part ab intestat à condition qu'ils n'aient pas été suffisamment allotis par la réserve.

En l'absence de testament, il était par définition impossible de procéder à la dévolution des acquêts en recherchant leur origine. Aussi les coutumes appellent-elles en ce cas, à défaut de descendant, les ascendants et collatéraux ; leur concours se règle selon des modalités variables.

Afin d'avoir une vue d'ensemble de ce tableau déjà complexe, il faut ajouter que des règles spéciales se surajoutent aux précédentes dans les successions nobles. Pour mieux assurer la prééminence des familles, le droit coutumier cherche à éviter le morcellement des patrimoines entre les enfants. À cet effet, il édicte des privilèges de masculinité et de primogéniture. Le fils aîné hérite de la totalité du patrimoine. Ces privilèges sont fréquemment renforcés par l'usage de substitutions qui rendent les biens inaliénables à perpétuité de génération en génération entre les mains de l'aîné.

Les préoccupations familiales et sociales l'emportent donc en droit coutumier. Elles expliquent l'existence de successions différentes, celle des propres et celle des meubles et acquêts, ainsi que l'importance que revêtait, spécialement pour les premières, la dévolution légale.

Droit intermédiaire ◊ Ce sont encore des préoccupations politiques, mais inverses des précédentes, qui vont dominer le droit successoral révolutionnaire 37. Celui-ci veut abattre le régime féodal et promouvoir un ordre social nouveau fondé sur un idéal d'individualisme égalitaire. À cette fin, il va transformer radicalement la dévolution légale antérieure qui favorisait l'ordre social aboli et limiter étroitement la dévolution testamentaire dont le libre jeu risquerait de contrarier l'implantation de l'ordre social nouveau.

À la multiplicité des règles successorales fait place l'unité. Celle-ci se réalise en deux temps. En premier lieu, la Constituante puis la Convention suppriment tous les privilèges ainsi que toutes les inégalités attachées à la qualité d'étranger (6 août 1790), d'aîné, de puîné, à la différence de sexe (décr. 8 avr. 1791) ou à la nature de la filiation (décr. 4 juin 1793). En second lieu, le décret du 17 nivôse an II (6 janv. 1794), surtout connu en raison de sa rétroactivité 38, instaure un nouveau système de dévolution. Celui-ci est fondé sur la règle de l'unité de la succession ; l'article 62 dispose en effet : « la loi ne reconnaît aucune différence dans la nature des biens ou dans leur origine pour en régler la transmission ». Le classement des héritiers s'inspire du système de la parentèle (infra, n° 99). Le patrimoine du de cujus est dévolu aux descendants ; à défaut, aux frères et sœurs et à leurs descendants. Le père et la mère ne viennent qu'ensuite. Enfin, en l'absence de représentants des catégories précédentes, la loi appelle des collatéraux et ascendants plus lointains avec cette précision : « dans tous les cas les ascendants sont toujours exclus par les héritiers collatéraux qui descendent d'eux ou d'autres ascendants du même degré » (art. 72). La loi ne pose aucune limite à la parenté, si éloignée soit-elle. Quant au conjoint, elle n'en fait pas mention 39. La préférence donnée aux collatéraux sur les ascendants s'explique par le souci de privilégier les jeunes générations considérées comme plus accessibles aux idées nouvelles. L'idéologie révolutionnaire explique également l'admission de la représentation à l'infini ainsi que celle de la fente et de la refente dans l'ordre des collatéraux ; ces mesures favorisaient en effet l'émiettement des fortunes.

Afin d'éviter que le testament ne corrige les incidences de la dévolution légale et ne compromette les résultats escomptés, le droit révolutionnaire restreint considérablement la liberté de tester. La réserve héréditaire est des 9/10 en présence de parents en ligne directe, des 5/6 en présence de collatéraux ; le de cujus ne peut disposer du disponible, soit 1/10 ou 1/6 selon le cas, qu'au profit des tiers étrangers à la succession. Il faut éviter que ne se maintienne la tradition de faire un aîné et plus généralement supprimer la magistrature familiale du père de famille 40. Bien que ces solutions aient été ultérieurement assouplies par une loi du 4 germinal an VIII, la Révolution n'en avait pas moins mis sur pied un droit entièrement neuf en rupture brutale avec les pratiques antérieures 41.

2° Le Code civil ◊ Soucieux, là comme ailleurs, de réaliser une œuvre transactionnelle, les rédacteurs du Code civil ont tenté de concilier les traditions opposées de l'Ancien régime avec l'héritage révolutionnaire 42. À cet effet, il leur fallait résoudre deux problèmes fondamentaux : Quelle place respective accorder à la succession légale et à la succession testamentaire ? Comment régler la succession légale ?

L'Ancien droit écrit privilégiait la succession testamentaire, l'Ancien droit coutumier et le droit révolutionnaire les successions légales. Le Code civil a introduit un certain équilibre entre le légal et le volontaire. Il reprend la distinction entre masse disponible, dont le de cujus dispose librement, et masse réservée sur laquelle s'exercent obligatoirement les règles de la dévolution légale. Mais il l'aménage de telle façon que la liberté testamentaire puisse s'exercer raisonnablement. Seuls les héritiers en ligne directe descendante ou ascendante sont réservataires ; la quotité disponible varie du quart (3 enfants ou plus) aux trois quarts (ascendant dans une ligne) selon leur nombre et leur qualité ; le de cujus peut en disposer aussi bien au profit de ses héritiers qu'au profit des tiers.

Quant au problème de la réglementation de la dévolution légale, il se ramenait à un choix entre deux principes opposés. L'un consistait à considérer la proximité de la parenté et à appeler à la succession les parents les plus proches afin de satisfaire les affections probables du de cujus ; c'est la tradition romaine et à un moindre degré celle du droit révolutionnaire. L'autre s'attachait à la provenance des biens et prescrivait le retour à la branche dont ils sont issus, retenant ainsi une conception plus patrimoniale qu'affective de la famille, c'est la tradition coutumière.

En réaffirmant, à la suite du droit intermédiaire, la règle de l'unité du patrimoine, les rédacteurs du Code civil se sont fermé la seconde voie. Il ne leur restait plus dès lors qu'à organiser la dévolution en classant les parents en plusieurs groupes appelés successivement à recueillir l'hérédité. Ils l'ont fait sur le modèle romain. Sont appelés les descendants, à défaut les ascendants et collatéraux privilégiés, puis les ascendants ordinaires, enfin les collatéraux ordinaires jusqu'au douzième degré. Le conjoint ne vient qu'en l'absence de représentant des ordres précédents. La tradition coutumière, et plus spécialement la coutume de Paris, fournit néanmoins certaines règles, ainsi la suppression du privilège du double lien qui permettait aux collatéraux germains de l'emporter sur les collatéraux utérins ou consanguins. De même, l'origine des biens commande encore la dévolution de certains biens ; ce sont les successions anomales. Enfin les intérêts qui sous-tendaient la règle paterna paternis materna maternis ne sont pas étrangers à l'adoption de la fente.

3° Depuis le Code civil ◊ D'importantes réformes ont, depuis 1804, été apportées au droit des successions. Les unes, indirectes, sont le produit des mutations qui ont affecté des branches du droit distinctes du droit civil, en particulier le droit fiscal (v. infra, nos 203 s.), ou encore de l'apparition de nouvelles techniques juridiques, parfois génératrices de successions parallèles, (infra, no 27), notamment par l'effet du droit des assurances. D'autres ont affecté plus directement le cœur du droit civil des successions. Historiquement, il est possible de distinguer, non sans quelque artifice, plusieurs périodes.

 

a) Pendant la plus grande partie du XIXe siècle, le droit français des successions est resté à l'abri des secousses économiques et sociales. Récentes, les dispositions du Code civil répondaient pour l'essentiel aux besoins de la société française. Encore fallait-il pour que le droit des successions issu du Code Napoléon acquière une parfaite cohérence que certaines règles fussent clarifiées et les lacunes comblées. Ce fut l'œuvre de la jurisprudence. Par une série de grands arrêts, la Cour de cassation élucida un certain nombre de points en apparence très techniques – passif successoral 43, réserve héréditaire 44, effet du partage 45 – mais dont la solution requérait la mise en évidence des principes qui gouvernent la matière. Toujours de droit positif, en ce que les solutions qu'elles posent ont été reprises par les lois récentes ou les ont influencées, ces décisions offrent des terrains d'exercice sur lesquels il est bon que l'étudiant apprenne à manœuvrer.

 

b) Les années passant, les données familiales et patrimoniales dans la dépendance desquelles se trouve placé le droit des successions ont évolué, rendant par là même nécessaires des ajustements, puis une véritable refonte de la matière 46. Celle-ci a été opérée par deux lois des 3 décembre 2001 et 23 juin 2006. On présentera ces lois de façon plus complète en envisageant les sources de la discipline (infra, n° 35). Mais il n'est pas inutile de les replacer, d'ores et déjà, dans le mouvement d'ensemble dans lequel elles s'inscrivent. À cet effet, on dressera un rapide inventaire des mutations qui ont transformé l'environnement du droit des successions.

 

Les données familiales ont profondément évolué. Avec le passage de la famille lignage à la famille ménage, le modèle en contemplation duquel s'était construit le droit des successions a changé. Dans le même temps, sont apparus des modèles familiaux nouveaux – famille naturelle, familles recomposées – qui concurrencent le modèle traditionnel.

En 1804, on entendait par famille, la famille lignage, c'est-à-dire la famille étendue englobant toutes les personnes entre lesquelles les liens du sang étaient perçus comme une réalité vécue. Le conjoint n'était par rapport à celle-ci qu'une « pièce rapportée ». Sous la pression de facteurs multiples – exode rural, urbanisation, crise du logement –, la famille s'est rétrécie et remodelée. La famille lignage a laissé la place à la famille ménage, c'est-à-dire à la famille conjugale : le père, la mère, les enfants. Encore ne faut-il pas exagérer cette mutation. Il existe, en effet, autour de ce noyau un « anneau de clair-obscur » 47, les liens restant vivaces dans certaines familles avec les grands-parents 48, voire les collatéraux. En présence de ces « franges mouvantes » 49, se fait jour une double interrogation : quelle extension donner au cercle des successibles ? Quelle place accorder au conjoint survivant ?

Autre mutation, la famille naturelle. En 1804, celle-ci n'existait pas en tant que telle au regard du droit civil. Certes, les relations hors mariage n'étaient pas inconnues et la filiation des enfants qui en étaient issus pouvait être établie à l'égard de leurs auteurs. Mais outre qu'elles restaient statistiquement marginales, ces situations étaient traitées par le Code de telle façon qu'il ne pouvait en résulter un modèle concurrençant celui de la famille légitime. Soucieux de garantir à l'institution du mariage un monopole, le Code civil prévoyait que l'enfant naturel n'entrait pas dans la famille de son auteur et dotait celui-ci d'un statut inférieur (infra, n° 91). Quant à l'enfant adultérin, la constatation même de sa filiation était, en principe, prohibée. Là encore, l'évolution a été profonde : des modes alternatifs de conjugalité sont apparus ; la filiation hors mariage a crû dans des proportions considérables puisqu'elle représente aujourd'hui plus de la moitié des naissances. Corrélativement, sans qu'on puisse savoir quelle est la cause et quel est l'effet 50, la famille naturelle a été reconnue à l'égal de la famille légitime, avant que le législateur ne décide de gommer toute différence entre les filiations. De telles mutations ne pouvaient évidemment rester, comme on le verra, sans conséquence sur le terrain successoral.

Dernière mutation d'ordre familial, la multiplication des familles recomposées 51. On entend par là les familles qui se reconstituent à la suite de la rupture d'un premier lien – divorce, rupture d'un partenariat –, de telle sorte que coexistent le plus souvent au sein de celle-ci des enfants issus de plusieurs lits. Certes, le phénomène n'était pas inconnu en 1804, au moins dans sa première forme. Mais il a pris, en raison même de sa dimension, une signification différente. À l'origine, les rédacteurs du Code civil avaient une vision assez négative du phénomène. Ils se préoccupaient essentiellement d'assurer la protection des enfants du premier lit – Cendrillon potentielle – contre leur parâtre ou leur marâtre. Aujourd'hui, on souligne qu'il existe parfois une certaine solidarité entre enfants de lits différents vivant au sein d'une famille recomposée ou encore entre les parâtre ou marâtre et leurs beaux-enfants 52. De là, une interrogation : certains ajustements, certains assouplissements ne sont-ils pas nécessaires ?

 

Les données patrimoniales ont également connu un profond renouvellement. Si la définition juridique du patrimoine n'a pas changé, sa consistance s'est profondément transformée. La fortune immobilière a vu son importance décroître. De nouveaux biens sont apparus 53. L'inflation aidant, les fortunes sont devenues plus volatiles, plus vulnérables. Elles ne peuvent se maintenir que grâce à l'activité incessante de leur titulaire. Le rôle de chaque génération, de chaque ménage dans la création, la conservation et l'accroissement des patrimoines que le droit des successions se propose de transmettre apparaît désormais déterminant. Il en est résulté dans les patrimoines une certaine diminution de la part des richesses transmises, c'est-à-dire des biens dont on a soi-même hérité (les propres de l'ancien droit coutumier) par rapport à celle des richesses acquises, c'est-à-dire des biens qu'on a acquis pendant sa vie (les acquêts de l'ancien droit coutumier) (supra, n° 14). Le vieux principe coutumier de conservation des biens dans la famille, déjà mis à mal par le rétrécissement de la famille, perd ainsi la majeure partie de sa raison d'être 54.

Autre changement qui n'est pas sans lien avec le précédent : tout en ayant fait de l'égalité en nature le ressort du partage, les rédacteurs du Code civil se préoccupaient uniquement de la valeur monétaire des biens à l'exclusion de leur valeur fonctionnelle. Peu leur importait que le patrimoine fût constitué d'une exploitation agricole, industrielle, artisanale ou commerciale. Peu leur importait que l'immeuble serve ou non au logement de la famille. Conjuguée à une compréhension rigide du principe d'égalité qui régit les rapports entre héritiers de même rang, cette approche a conduit à des résultats détestables. Les biens partageables en nature, telles les exploitations agricoles, furent, en présence d'une pluralité d'héritiers, morcelés à chaque transmission successorale. Le droit des successions se transforma ainsi en une « machine à hacher le sol » dénoncée par Le Play 55 et, avant lui, par Balzac 56. Pour lutter contre ce résultat, les paysans pratiquèrent la politique de l'enfant unique avec sa conséquence, le déclin démographique 57. Comme on a pu l'écrire de manière imagée, « le Code avait tiré sur l'aîné et c'étaient les puînés qui avaient été tués, les puînés condamnés à rester dans les limbes » 58. Quant aux biens impartageables en nature, ils étaient licités, c'est-à-dire vendus aux enchères, souvent à des tiers, ou en cas de pluralité de biens, attribués aux héritiers, sans tenir compte des qualités et aptitudes propres à chacun de ceux-ci. Aussi bien prit-on progressivement conscience de ce que ces biens ne pouvaient être exclusivement considérés à travers leur expression monétaire, sans se préoccuper de leur destination.

 

De ces mutations, quelles ont été les conséquences pour le droit des successions ?

La concentration des familles a fort logiquement entraîné un resserrement du cercle des successibles. La successibilité en ligne collatérale a été ramenée du 12e au 6e degré (1917, 2001) (infra, n° 88). Les ascendants ont perdu leur qualité de réservataire (2006) (infra, n° 725). La montée de la famille ménage jointe à la part de plus en plus importante prise au sein des patrimoines par la fortune acquise a conduit à une promotion du conjoint survivant. Personnages-clés de la cellule familiale, veillant ensemble au développement du patrimoine familial, les époux ne peuvent plus être considérés comme des étrangers dans la succession l'un de l'autre. Amorcé en 1891, ce mouvement de promotion du conjoint survivant s'est prolongé tout au long du siècle (1925, 1930, 1957, 1958, 1963) et s'est achevé avec les lois du 3 décembre 2001 et du 23 juin 2006, qui lui ont notamment conféré, en l'absence de descendant, la qualité de réservataire. L'émergence d'une famille naturelle s'est traduite par une amélioration de la position successorale de l'enfant naturel (1896) qui a trouvé son achèvement dans le principe de l'égalité des filiations posé par la loi du 3 janvier 1972. En revanche, l'enfant adultérin continuait, au plan successoral, d'avoir une vocation inférieure à celle des autres enfants au moins lorsqu'il était en concurrence avec les victimes de l'adultère (infra, n° 91). Là encore, c'est la loi du 3 décembre 2001 qui a mis fin à cette situation en alignant sa condition successorale sur celle des autres enfants. Corrélativement à la multiplication des remariages, on a entrepris d'améliorer la position du second conjoint en supprimant certaines des restrictions qui le frappaient (1963). Mais ce sont là des ajustements qui sont bien insuffisants à répondre à l'ampleur et à la complexité du problème posé par les familles recomposées. Aussi bien, la loi du 23 juin 2006 a-t-elle tenté de lui apporter des éléments de solution en renforçant le rôle de la volonté, au moyen de l'assouplissement des règles de la réserve héréditaire et de la consécration de nouveaux pactes de famille, la donation-partage conjonctive notamment, dont on espère qu'ils permettront d'élaborer des solutions appropriées.

Quant au changement des données patrimoniales, il s'est essentiellement fait sentir sur le terrain du règlement successoral, et notamment dans le domaine du partage. L'égalité en nature a été progressivement refoulée au bénéfice de l'égalité en valeur 59. Dans ce contexte, les problèmes d'évaluation ont pris une importance de premier plan. Mal maîtrisés à l'origine (1938) 60, ils ont été finalement réglés par une loi du 3 juillet 1971 61. Ce souci de l'égalité en valeur s'est prolongé dans la loi du 23 juin 2006 avec le remplacement de la réserve en nature par la réserve en valeur. Des mécanismes d'attribution préférentielle ont été introduits afin de soustraire certains biens aux aléas du partage et de les attribuer à tel ou tel héritier en raison de l'importance économique, sociale ou familiale qu'ils présentent pour celui-ci 62. Corrélativement le législateur s'est préoccupé de favoriser une meilleure transmission des entreprises au moyen de divers instruments qui traduisent un accroissement du pouvoir de la volonté du propriétaire : mandat à effet posthume, multiplication des pactes de famille autorisés. Cet accroissement du pouvoir de la volonté vise aussi l'héritier présomptif lequel peut, en renonçant de manière anticipée à l'action en réduction, donner une sorte de blanc-seing à son auteur, lequel pourra ensuite disposer librement de ses biens au profit de personnes déterminées.

On approfondira les principaux traits des lois de 2001 et de 2006 en étudiant les sources du droit des successions, puisqu'elles constituent aujourd'hui l'essentiel du droit positif en la matière. Mais auparavant, afin d'avoir une meilleure compréhension du phénomène successoral, il importe de ne pas se priver de la lumière que peut lui apporter la philosophie du droit ainsi que la sociologie juridique

III. Philosophie de l'héritage

Antécédents et précédents ◊ La réflexion philosophique suscitée par l'héritage est fort ancienne. À s'en tenir à la tradition d'Occident, on en trouve des manifestations nombreuses dans la philosophie antique : Platon, Aristote, Epicure… Tout au long des siècles, elle se perpétue non sans entretenir assez souvent une confusion entre la méditation sur le principe de l'héritage et l'analyse de l'aménagement de la dévolution successorale, volontaire ou légale. On s'en tiendra ici à quelques observations, articulées sur la naissance et le développement de la pensée moderne. Celle-ci est particulièrement riche lorsqu'on s'interroge sur la place qu'il convient de reconnaître à la succession privée et à la société globale.

Dix-septième siècle ◊ Les jusnaturalistes n'ont pas négligé le phénomène de l'héritage. Grotius a soutenu qu'à l'origine les choses étaient communes à tous les hommes, puis que, par l'effet d'une convention, le droit de propriété a été consacré ; de là, un pouvoir d'aliéner la chose appropriée et, par conséquent, un autre droit naturel, celui de tester. Ainsi, est-ce par la voie testamentaire que l'héritage s'introduit et se fonde, la succession ab intestat n'étant, en quelque sorte, qu'une succession testamentaire implicite. Pufendorf, tout jusnaturaliste qu'il fût, récusa cette analyse, car il refusa d'étendre au testament un raisonnement retenu au sujet de l'aliénation, celle-ci supposant l'existence de deux personnes vivantes, tandis que l'une d'elles fait nécessairement défaut en matière testamentaire ; le testament ne pourrait donc être la conséquence du droit de propriété, parce que celui-ci s'éteint à la mort de son titulaire.

 

L'analyse de Pufendorf a été vivement critiquée, notamment par Barbeyrac et par Leibniz ; pour fonder le testament, celui-ci invoqua l'immortalité de l'âme, donc la persistance de la volonté du défunt, dont l'héritier serait alors le mandataire. De toute façon, la querelle concerna non point le droit de tester, mais le fondement sur lequel il convenait de l'appuyer, Pufendorf justifiant le droit de tester par la tendance de l'homme à assurer l'existence de sa race ou par le désir d'éviter des contestations dignes de l'état de nature (?) au décès de chacun. Les uns et les autres s'accordaient à rattacher la succession ab intestat à l'existence d'un testament tacite. Mais son opinion portait Pufendorf à penser que le droit de tester n'étant pas un corollaire du droit de propriété, c'est-à-dire d'un droit naturel, le souverain était fort libre de légiférer en la matière.

Domat a soutenu que la société des hommes avait, pour se maintenir, besoin, quant au présent, des conventions, et quant à l'avenir, des successions : l'ordre de celles-ci est, à ses yeux, « fondé sur la nécessité de continuer et de transmettre l'état de la société de la génération qui passe à celle qui suit ; ce qui se fait insensiblement, faisant succéder certaines personnes à la place de ceux qui meurent pour entrer dans leurs droits, dans leurs charges et dans leurs relations » 63. Selon Domat, qui renverse l'analyse précédente, le passage s'opère normalement par voie de succession ab intestat, le testament n'étant destiné qu'à corriger, le cas échéant, celle-ci. Cette prééminence a sa racine dans l'opinion selon laquelle le devoir familial est le fondement de la dévolution successorale.

Dix-huitième siècle ◊ Montesquieu avait retenu l'idée d'une communauté primitive de biens, à laquelle les hommes avaient dû renoncer pour vivre en société ; il avait admis que la propriété est une création de la loi civile et qu'il en était de même des successions 64. Mais il avait souligné une grande différence entre le droit de propriété, qu'il estimait intangible, et le droit de succession qui, à son avis, pouvait être supprimé par une loi. Encore convenait-il alors de se soumettre aux exigences du milieu, car les lois civiles ne doivent pas, selon Montesquieu, être modifiées brusquement et arbitrairement.

Vingt ans après L'Esprit des lois, paraît, en 1768, Le contrat social. On en connaît les thèmes. Plus généralement, par exemple à la lumière du Discours sur l'origine et le fondement de l'inégalité parmi les hommes (1753), l'on sait que, pour Jean-Jacques Rousseau, la famille est, de toutes les sociétés, la plus ancienne et la plus naturelle ; mais le lien qu'elle assure dans l'état de nature y est temporaire et n'existe qu'entre parents et enfants. Si la famille se perpétue davantage, ce n'est alors que par l'effet d'un accord tacite, c'est-à-dire d'une convention ; et, selon un processus analogue, dans le cadre de la société globale, le pacte social assure à tous l'égalité et la liberté. De la sorte, pour Rousseau, la possession, état de fait né de l'occupation, fait place à la propriété, état de droit assis sur un titre ; mais ce droit de propriété, ainsi créé en faveur des individus, appartient moins à ceux-ci qu'à l'État, de sorte qu'à leur décès, il est normal que se manifestent plus ou moins les prérogatives de la société globale. Celle-ci doit cependant s'en servir avec modération car, selon Rousseau, il faut tenir compte du fait que les héritiers ont pu contribuer à la formation du patrimoine familial et éviter les désordres provoqués par des « changements continuels » dans l'état et la fortune des citoyens 65.

Révolution et Code civil ◊ On a vu quelle fut l'influence de la Révolution sur le droit de l'héritage (supra, n° 15). Avant, pendant et après la tourmente, la réflexion suscitée par la détermination du fondement de l'héritage s'était poursuivie. Si l'on voulait en dresser le bilan au sujet du passé, l'on devrait constater la diversité des attitudes : tandis que précédemment des auteurs aussi différents que Bossuet, Montesquieu et Rousseau avaient développé des analyses favorisant le pouvoir de la société, d'autres auteurs, jusnaturalistes pour la plupart, s'étaient employés à affermir les assises de l'héritage ; rares furent ceux qui, comme Morelly et Mably, soutinrent la thèse du retour au communisme agraire des origines et, à cette fin, de l'abolition de l'héritage.

 

Quand fut venue la tempête, cette solution radicale ne fut pas sérieusement envisagée. L'exaltation du droit de propriété privée obligea à nouveau à situer l'héritage. Les uns, qui s'exprimèrent surtout dans les rangs des idéologues, le placèrent dans le sillage du droit de propriété ; d'autres, tels Mirabeau, estimèrent que le droit de tester n'est pas de la nature du droit de propriété et qu'il y avait autant de différence entre celui-ci et celui-là qu'entre la vie et la mort. Si Mirabeau se déclara fidèle à l'héritage, c'est pour d'autres raisons, notamment parce qu'il fallait éviter qu'à la mort de chaque homme, il soit nécessaire de procéder à une redistribution des biens 66. En d'autres termes, la succession ne fut admise dans cette perspective que parce que le communisme parut impossible. C'est dire qu'une telle attitude conduisait à reconnaître à l'État de larges pouvoirs d'intervention en la matière au détriment de la liberté, voire de la propriété privée.

 

À s'en tenir à la philosophie de l'héritage quant à son principe (V. quant à l'aménagement des règles, supra, n° 16), l'on doit observer que les auteurs du Code civil ont été assez fidèles aux théories dominantes à l'époque de la Révolution. Estimant généralement que le droit de propriété s'éteignait naturellement à la mort de son titulaire, ils ont pensé que le droit de succession – testamentaire ou ab intestat – ne pouvait être fondé ni sur le droit des héritiers, ni sur le droit du de cujus, mais que des raisons de convenance et d'opportunité en justifiaient l'existence. Désireux d'éviter l'arbitraire des lois, Portalis se déclare pourtant en faveur du rattachement de l'héritage à la propriété, par l'intermédiaire du droit de tester 67.

L'héritage et la pensée socialiste ◊ L'héritage a été au XIXe siècle l'objet de vives critiques exprimées par certains auteurs de tendance socialiste 68 L'institution successorale se situe alors au cœur de débats très vifs.

Aucun écrit de Saint-Simon ne comporte de critique directe de l'héritage ; néanmoins, l'auteur condamna l'établissement de tout droit de naissance et de toute espèce de privilège. À partir de là, les saint-simoniens – Bazard, Enfantin, Augustin Thierry… – édifièrent leur théorie et réclamèrent l'abolition de l'héritage ; ils firent valoir, sur le terrain de la justice, qu'à peu de chose près, c'était, de tous les privilèges dus à la naissance, le seul qui n'avait pas disparu, et sur le terrain de l'utilité, à laquelle ils n'étaient pas insensibles, que la justification classique de l'héritage, illustrée ici par Bentham, n'était pas convaincante.

Le combat contre l'héritage a été aussi mené, à cette époque, par d'autres que par des saint-simoniens. Hostile à la propriété privée, se distinguant donc d'eux en cela, Cabet prôna la suppression de l'héritage non pas parce qu'il était une cause arbitraire d'inégalité, mais parce qu'il était, en soi, cause d'inégalité ; partisan d'un communisme décrit dans Le voyage en Icarie, il ne pouvait que préconiser l'abolition des successions. Plus nuancé, Louis Blanc estimait que l'héritage devait perdre sa raison d'être dans la société idéale où les hommes vivraient d'un capital collectif. Le condamnant au nom de la morale et de la justice, il reconnaissait qu'il était utile à la famille, mais que, dans un monde meilleur, celle-ci pourrait exister sans lui ; en ce sens, il niait donc la force nécessaire du lien se manifestant entre eux.

La défense de l'héritage ◊ La multitude des demeures dans la maison socialiste y est illustrée par un courant favorable à l'héritage. Cette attitude s'explique alors par le désir de préserver la famille, de garantir la propriété, de favoriser la production.

Dans Le nouveau monde industriel, Fourier – socialiste au sens large du mot – s'est vivement élevé contre l'idée d'abolir la propriété privée et l'héritage, parce que, selon lui, pareilles mesures détruiraient l'affection paternelle et étoufferaient l'esprit d'émulation. Loin de vouloir supprimer les successions, Fourier regrette que les héritages ne soient pas plus nombreux et que, parmi d'autres plaisirs, ne soit pas plus répandu celui d'hériter. Or cette amélioration serait le fruit d'une société plus heureuse, dans laquelle l'accroissement de la production permettrait d'augmenter les héritages. Une position analogue sera adoptée par Victor Considérant : celui-ci estimait que l'héritage était de l'essence de la propriété, qu'il était vain de prendre aux riches pour donner aux pauvres, parce qu'il y avait trop peu de riches pour trop de pauvres, et qu'il était préférable d'augmenter les richesses en favorisant le développement de la vie associative.

Pierre-Joseph Proudhon avait, en 1840, attaqué la propriété dans un célèbre pamphlet (Qu'est-ce que la propriété ?). Il devait ultérieurement abandonner cette position radicale. Défenseur de la famille, il s'éleva vigoureusement contre la suppression de l'héritage : « Sans l'hérédité, la propriété n'est qu'un mot ; le rôle de la femme devient une énigme. Sans l'hérédité, non seulement il n'y a plus d'époux ni d'épouses, il n'y a plus d'ancêtres ni de descendants. Que dis-je ? Il n'y a même pas de collatéraux puisque, malgré la subtile métaphore de la fraternité citoyenne, il est très clair que si tout le monde est mon frère, je n'ai plus de frères » 69. Estimant que la famille et l'héritage sont indissociables, Proudhon répond à ceux qui lui opposent l'existence des familles de pauvres qu'il convient de distinguer le droit d'hériter qui appartient à tous – au pauvre comme au riche – et le fait de l'héritage. Pareille analyse préfigure ce que sera, en France, la théorie du patrimoine 70.

La défense de l'héritage n'émanera pas évidemment des seuls socialistes. On la verra se manifester aussi de forte manière dans la doctrine sociale de l'Église catholique, tout spécialement, en 1891, dans l'encyclique Rerum novarum, du pape Léon XIII : « La nature inspire au père de famille le devoir sacré de nourrir et d'entretenir ses enfants. De plus, comme les enfants reflètent la physionomie de leur père et sont une sorte de prolongement de sa personne, la nature lui inspire de se préoccuper de leur avenir et de leur créer un patrimoine qui les aide à se défendre dans la périlleuse traversée de leur vie, contre toutes les surprises de la mauvaise fortune. Or, il ne pourra leur créer ce patrimoine que par l'acquisition et la possession de biens permanents et productifs qu'il puisse leur transmettre par voie d'héritage » 71.

Ainsi, selon les tendances, la défense de l'héritage est-elle reliée à la propriété ou à la famille.

Le dépassement de la question ◊ L'ampleur prise, dans la seconde moitié du XIXe siècle, par le socialisme révolutionnaire, le marxisme et le marxisme-léninisme a entraîné, d'une manière apparemment paradoxale, un dépassement du problème. Cet effacement est, en réalité, aisément explicable : si la question de l'héritage paraît mineure – et ne retient guère l'attention de Marx, d'Engels, de Lénine –, c'est parce que la socialisation des moyens de production réduit l'ampleur des successions. En d'autres termes, sans même attendre les décès échelonnés des propriétaires de ces « moyens de production » pour opérer leur retour à la collectivité, leur socialisation fait disparaître dans la mainmorte socialiste le problème de leur passage de génération en génération.

 

L'on évoquera cependant deux auteurs, car leurs réflexions demeurent en la matière assez riches.

Ferdinand Lassalle, homme politique allemand, démocrate radical et socialiste, a eu, au siècle dernier, une importante influence, combattue par Marx et Engels. C'est surtout dans son œuvre qu'à l'époque, le socialisme a déposé sa pensée juridique 72. L'élaboration de sa doctrine semblait dépendre d'un choix : d'un côté, l'école historique – Savigny, –, respectueuse de ce qui était historiquement établi, donc de l'héritage ; de l'autre, l'école spéculative inspirée par Wolff, Kant et les kantiens, Gans 73…, pour laquelle la force de la tradition reposait seulement sur l'adhésion aux coutumes anciennes, la volonté réfléchie, bref le consensus. S'employant à concilier les deux tendances, Lassalle voulait dégager l'idée concrète vivant dans les institutions. Telle est la démarche qu'il retint en analysant notamment le phénomène de l'héritage chez les romains et les germains, ce qui le conduit à constater l'existence d'une double évolution aboutissant à en faire une institution d'État, tout droit étant acquis par un acte du vouloir individuel, mais chaque individu ne pouvant acquérir de droits que par un vouloir individuel conforme à la volonté collective.

La question de l'héritage n'a pas laissé Jean Jaurès indifférent 74. Se déclarant hostile au maintien de la propriété individuelle, il a, de manière apparemment fort habile, argumenté en essayant de prendre à contre-pied ses adversaires – les radicaux, lato sensu – invoquant l'existence de la réserve héréditaire pour démontrer que l'on pouvait sans trop de douleur admettre l'existence de restrictions à la propriété individuelle. D'où cette formule, à l'intention de ses adversaires : « S'ils tolèrent, s'ils approuvent, dans l'intérêt social, au nom du droit social, cette atteinte si grave portée par la Révolution bourgeoise à la propriété individuelle, pourquoi nous refusent-ils le droit, dans un intérêt social et humain beaucoup plus vaste, d'éliminer de la propriété individuelle tout ce qui s'y mêle de propriété capitaliste ? » De la constatation de ces restrictions, Jaurès déduit que, d'ores et déjà, la propriété capitaliste n'est pas seulement une propriété individuelle. C'est dire que la propriété est un fait social, qui dérive de la société, ne peut exister que par elle et que celle-ci peut refouler.

Les thèses de Lassalle et de Jaurès sont significatives. Mais aujourd'hui, l'ardeur du débat s'est éteinte. L'on va voir que, quelles que soient les opinions politiques des Français, ceux-ci manifestent un très vif attachement à l'héritage, pas seulement celui qu'ils ont reçu ou espèrent recueillir. Les divergences d'opinion se sont déplacées : situées sur le terrain de la propriété, elles ont, pour l'essentiel, cessé d'agiter en surface le droit français des successions.

IV. Sociologie des successions

Son développement ◊ Le droit des successions est probablement l'un des domaines où s'exerce avec prédilection le raisonnement juridique le plus subtil. La sociologie de ce droit offre aussi matière à d'excitantes démarches, à plus d'un carrefour : celui de la vie et de la mort ; celui de la sociologie, de l'économie et de la démographie. Le Play et son école, l'École de la Réforme sociale, ont favorisé l'essor de la sociologie des successions 75. Estimant que le régime successoral établi par le Code civil avait, par un attachement excessif à l'égalité dans les partages, accentué le morcellement des exploitations et ébranlé les structures familiales, Le Play préconisa la suppression de la réserve héréditaire et la consécration d'une entière liberté testamentaire 76. La pertinence de cette thèse fut ensuite sérieusement contestée 77. Elle n'en a pas moins exercé, serait-ce à retardement, une influence sur l'évolution de notre droit des successions, surtout en matière rurale. La méthode utilisée par Le Play et son école marque de toute façon une étape importante dans l'évolution de la sociologie juridique 78.

La mort et le droit de l'héritage ◊ Les relations du droit avec l'héritage ne sont pas indifférentes à l'attitude qu'une société, à une époque donnée, adopte face à la mort. L'analyse de l'évolution qui s'est produite en Occident quant au comportement de l'homme devant la mort illustre cette observation 79. Ainsi n'est-il pas douteux que l'incitation à l'octroi de legs pieux destinés à assurer le repos de l'âme a exercé une influence importante sur la propension testamentaire. Ainsi a-t-il été observé que lorsque, à partir du XIe siècle, le sens du destin, se manifestant au moment du décès, s'est déplacé du niveau du groupe à celui de l'individu, les fondations de messes et, plus largement, les fondations pieuses ont servi, par la voie testamentaire, à assurer la continuité entre l'en deçà et l'au-delà. Ce n'est d'ailleurs pas seulement le fait de la mort qui inspire de la sorte le droit ; les croyances relatives aux morts, tout spécialement à leur immortalité, n'ont pas été étrangères aux théories et aux solutions du droit 80.

Il est pour la sociologie de l'héritage et des libéralités un outil indispensable qui n'a été mis au point qu'après de longs et multiples travaux : la table de mortalité 81. Les données ainsi fournies sont fondamentales, dans la mesure où la démographie de la mort éclaire la signification de l'héritage et peut susciter des réactions et des adaptations du droit 82. En France, l'espérance de vie, qui était en 1817 de 39 ans 5 mois, était de 70 ans 2 mois en 1959 ; vingt ans plus tard, en 1979, elle s'était encore allongée : 77 ans 5 mois pour les femmes, 69 ans 5 mois pour les hommes. Le mouvement s'est prolongé depuis lors principalement en raison d'un recul de la mortalité au-delà de 65 ans 83. En 2011, l'espérance de vie est légèrement supérieure à 80 ans (81, 3 pour les femmes, 77, 8 pour les hommes). On constate ainsi que l'écart entre les sexes s'est réduit de plusieurs années entre 1979 et 2011.

Cette évolution a retardé l'âge moyen auquel hérite une personne ayant vocation à hériter – 47 ans en 1977 84, 48 ans en 1984, 51 ans en 1994 –, ce retard semblant d'ailleurs accentué par le fait que, de plus en plus souvent, l'on ne recueille effectivement les biens laissés qu'après le décès de ses deux parents. Au schéma, classique au siècle dernier, de l'enfant héritant à une époque voisine de celle où il entrait dans la vie active, s'est, dans cette mesure, substitué celui de l'héritier installé dans la vie et bénéficiant, vers la cinquantaine, d'un avantage d'origine familiale, en attendant de voir se développer, dans un avenir plus ou moins proche, sous l'effet de l'allongement de l'espérance de vie, l'image de l'héritage – retraite complémentaire 85. Il est vrai que le report de l'âge de la retraite succédant à son abaissement ainsi que l'allongement de la durée des cotisations sont de nature à entraver ce mouvement.

Pour faciliter le passage des biens d'une génération à une autre, une attitude assez générale consiste à favoriser la transmission des patrimoines sans attendre le décès de leurs titulaires. Cette sorte d'anticipation est traditionnellement illustrée par l'avancement d'hoirie, le propriétaire n'attendant pas de mourir pour laisser ses biens à ses héritiers ; ainsi en est-il encore lorsque l'ascendant distribue tout ou partie de ses biens à ses héritiers au moyen d'une donation-partage (V. infra, no 1246). Parfois même le phénomène s'accentue avec la donation-partage transgénérationnelle qui permet de sauter une génération à la condition qu'elle y consente 86. L'allongement de l'espérance de vie joint à l'incertitude qui se manifeste en ce qui concerne la pérennité des régimes de retraite pourraient néanmoins être de nature à entraver ce mouvement favorable à la satisfaction des générations montantes, même si l'on constate un certain étalement des transmissions de biens, à diverses étapes de la vie (mariage, investissement important, fin d'activité professionnelle…) 87. Le fait est que les lois successorales ont cessé d'être bien adaptées au calendrier de la vie. Conscient de ce que l'on peut appeler une distorsion entre l'héritage et la succession, le législateur s'est, non sans mal, préoccupé de favoriser le phénomène de la présuccession 88.

Des données empruntées à une étude récente conduites par l'Insee permettent de procéder à une comparaison utile sur les rôles respectifs de l'héritage et de la donation. S'agissant de l'âge des bénéficiaires d'un héritage ou d'une donation, « les ménages qui ont reçu une donation (ménages de donataires) sont plus jeunes que les ménages ayant reçu un héritage. Pour 10 % des ménages ayant reçu une donation, le gratifié est âgé de moins de trente ans. Ce chiffre est seulement de 3 % pour ceux ayant reçu un héritage. À l'inverse plus des trois quarts des ménages ayant reçu un héritage sont âgés de plus de 50 ans. L'héritage est un événement qui intervient tardivement dans le cycle de la vie : la moitié des héritiers avaient plus de 47 ans au moment de leur premier héritage. La première donation intervient plus tôt dans la vie : la moitié des donataires ont moins de 34 ans au moment où ils perçoivent leur première donation » 89.

Les successions et le patrimoine ◊ L'on a vu que le phénomène successoral ne se réduit pas, même dans une perspective juridique, à une transmission, active ou passive, de biens à cause de mort (supra, n° 2) ; il existe aussi une succession de droits extrapatrimoniaux ou une succession hors patrimoine. La sociologie n'est pas indifférente à ce genre de problèmes ; et la sociologie juridique peut tirer avantage d'une analyse de la mobilité sociale 90, notamment au sujet du rôle de l'éducation donnée aux enfants.

À s'en tenir aux droits patrimoniaux, la sociologie juridique élargit encore la démarche habituelle, car elle insiste sur l'existence de circuits parallèles qui permettent d'assurer le passage de richesses d'une génération à une autre autrement que par le canal habituel de l'héritage. L'on constate d'ailleurs une certaine dilution ou une certaine évaporation de cette notion de passage lorsque l'avantage procuré à la génération montante du fait de la génération descendante est obtenu par l'intermédiaire d'un tiers qui ne transmet pas nécessairement ce qu'il a reçu ou une valeur qu'il a reçue. Il existe en ce sens ce que l'on peut appeler des successions triangulaires : pensions de réversion versées dans le cadre des régimes de retraites – général et complémentaires – du secteur privé ; pensions versées à des ayants cause de fonctionnaires et de militaires ; indemnités d'accident mortel, indemnités d'assurances 91, etc.

Malgré leur importance croissante, ces successions triangulaires, qui sont soumises à des règles spécifiques, restent de faible importance si on les compare aux transmissions successorales ordinaires. Longtemps la statistique fiscale est demeurée la seule voie précise d'accès à la connaissance de la matière, malgré les œillères et les flottements de la vision fiscale, nécessairement influencée tant par le désir de combattre la fraude et l'évasion fiscales que par l'utilisation de l'impôt successoral à des fins diversifiées, spécialement dans une perspective nataliste. En 2006, 340 000 successions ont été déclarées pour un patrimoine net taxable de 58,9 milliards d'euros et un demi-million de donations ont transmis 39,4 milliards d'euros.

L'analyse économique complète la démarche fiscale. Il en résulte que plus de la moitié de l'ensemble des patrimoines possédés par les ménages français est constituée de richesse transmise 92. En 1975, « près de 25 % des ménages avaient déjà reçu un héritage une fois dans leur vie » et l'on pouvait penser qu'un ménage sur deux, environ, serait concerné par l'héritage 93. Bien entendu, ces dernières précisions chiffrées n'ont pas de signification sociologique suffisante si on les détache d'une investigation relative à la répartition des biens selon les diverses classes sociales. À cet égard, la recherche semble indiquer qu'en dépit d'une certaine prolétarisation de l'héritage, les différences n'en apparaissent pas moins sensibles selon la classe à laquelle appartient le de cujus ou le donateur 94. Toujours est-il que les travaux de l'Insee révèlent qu'« au cours de leur vie plus de la moitié des individus bénéficient d'une donation ou héritent de leurs parents. Même s'ils ne représentent qu'un aspect des transferts patrimoniaux des parents aux enfants, l'héritage et la donation – que celle-ci soit effectuée devant notaire ou se réduise à un simple “don manuel” – en constituent une des expressions les plus apparentes » 95.

Les successions et la famille ◊ L'on peut, en sociologie, constater qu'il existe deux modes essentiels de circulation des biens : l'échange, dans le cadre du marché, et l'héritage, dans le cadre de la famille. Si l'on observe l'importance de la fortune transmise dans le patrimoine des familles, l'on peut conclure que le groupe familial remplit un rôle essentiel dans l'analyse de la situation des personnes et de leurs relations avec les biens. De là se dégage une dimension diachronique des biens. La famille, même rétrécie, entoure l'individu, par et pour l'héritage ; elle est dans cette mesure détentrice latente de patrimoine (au moins sociologique), même si elle n'est pas dotée de la personnalité juridique. Envisagée alors dans le temps beaucoup plus que dans l'espace, ligne (ou lignée, ou lignage, ou segment), verticale plus qu'horizontale, la famille satisfait maintes fonctions, parmi lesquelles l'organisation d'un circuit de transmission de biens ; à cela s'oppose le caractère unifonctionnel de l'échange. Entre celui-ci et l'héritage, le parallèle pourrait être poursuivi : synchronisme ou diachronisme, bien ou personne, volonté ou devoir, rapports entre individus ou soudure entre les générations 96.

Les axes sur lesquels s'ordonnent les règles successorales peuvent être assez divers : sentimentaux, si l'on se préoccupe des affections présumées du défunt ; imprégnés d'une considération de justice distributive ou commutative, si l'on s'inspire du désir de satisfaire ceux qui ont, plus que d'autres, besoin de l'héritage ou ceux qu'il convient de rémunérer en raison des services qu'ils rendent ou ont rendus, etc. Quelle que soit la direction retenue, la dimension familiale demeure inhérente à l'héritage.

Pourtant, les prérogatives de ce que les sociologues appellent la société globale ne peuvent être totalement ignorées ou refoulées. Presque toujours, l'État se manifeste dans les héritages par la voie du droit civil et celle du droit fiscal, sous le vêtement de l'héritier ou l'habit du percepteur (infra, nos 198 s.). Ses prétentions ne sont pas acceptées aisément par les particuliers. L'expérience prouve que ceux-ci répugnent à voir l'État recueillir les biens qu'une personne laisse à son décès. Cette attitude est particulièrement nette de la part des personnes qui, sans héritiers assez proches, laisseraient leurs biens aller à l'État à leur décès si elles ne prenaient pas soin de rédiger un testament, en d'autres termes si elles décédaient ab intestat ; elles préfèrent alors, dans la plupart des cas, léguer leurs biens soit à un particulier, soit à une œuvre charitable. À leurs yeux, du moins lorsqu'elles ne sont pas inspirées par quelque haine familiale, l'État, ce monstre froid, n'est pas l'héritier ou le légataire idoine.

La volonté et l'héritage ◊ C'est dire à quel point la volonté peut jouer un rôle essentiel dans l'attachement à l'héritage et l'aménagement des successions. On verra ultérieurement ce qu'il est possible d'imaginer au sujet d'une sociologie du testament (infra, n° 374). Contentons-nous ici de deux séries de remarques d'ordre général.

L'on doit, en premier lieu, observer que la volonté, appliquée aux mécanismes successoraux, peut servir de support à l'aménagement légal de la dévolution des biens, mais qu'elle permet aussi de corriger plus ou moins l'ordonnancement légal en fonction tant des situations particulières que de l'écart pouvant exister, apparemment ou non, entre le droit et le fait. On en retiendra comme preuve la situation du conjoint survivant au XIXe siècle ; s'il est vrai que, dans la hiérarchie successorale, telle que l'avait retenue le Code civil, il n'avait pas été bien traité, du moins sur le terrain successoral, la pratique des libéralités au profit du conjoint – ou du futur époux – s'était orientée en sa faveur sans attendre le bienfait de la loi de 1891 (infra, n° 124). Les sociologues s'inclineront à ce propos devant l'argumentation des juristes qui leur démontreront effectivement avec pertinence que le conjoint survivant, n'ayant été ni un parent, ni même un allié, n'avait pas tellement lieu d'émettre d'excessives prétentions 97. Reste que la place centrale que tint à l'époque le conjoint dans les portraits de famille eut son écho dans la pratique des libéralités et que, s'il devint nécessaire, à la fin du siècle, d'élever, dans le droit des successions ab intestat, la situation du conjoint survivant, c'est surtout parce que, dans certaines couches sociales, l'usage de certaines techniques juridiques conventionnelles ne s'était pas assez rapidement développé. Lorsque, bien plus tard, en 1963 (infra, n° 733), l'on améliora la situation du conjoint survivant en ce qui concerne la quotité disponible, le recours des particuliers aux possibilités nouvelles témoigna de la persistance d'un courant naturel illustrant sur le terrain du droit ce que d'autres ont analysé en étudiant l'amour et l'Occident.

Il convient, en deuxième lieu, de souligner que l'opinion des Français, qui est ici l'expression de leur volonté, est profondément attachée à l'héritage, pas seulement celui que l'on a recueilli ou que l'on espère, mais aussi celui qu'on laissera, le jour venu, à ses successibles. Quand commença de se développer dans notre pays la sociologie législative, l'on interrogea notamment les Français sur leur opinion en matière d'héritage. Dans une très forte majorité, ils s'y montrèrent favorables 98 ; depuis lors, leur opinion ne s'est pas modifiée 99. Appliquée au droit des successions, la technique des sondages s'est révélée très éclairante. Son usage a permis de dégager le désir d'une amélioration des droits successoraux de l'enfant naturel et celui d'une promotion du conjoint survivant ; il a aussi montré que les Français restaient attachés à l'égalité, sinon en nature du moins en valeur, des héritiers, que l'institution de la réserve héréditaire répondait à une aspiration de nos compatriotes 100 et qu'un courant d'hostilité significatif contre la prohibition des pactes sur succession future ne s'est pas dégagé dans la conscience des Français ou ce qui en tient lieu. Ces données ne sont pas négligeables ; elles expliquent certaines réformes ainsi que des réticences par rapport à d'autres réformes. Encore faut-il observer, non sans fatalisme, qu'il peut en aller des opinions comme des lois : elles évoluent.

L'évolution récente est, au demeurant, difficile à cerner dans la mesure où il n'a pas été procédé, pour préparer la réforme opérée par la loi du 23 juin 2006, à des enquêtes d'opinion. La Chancellerie a préféré s'en tenir à une consultation des notaires par l'intermédiaire du Conseil supérieur du notariat. Cela a ainsi permis à la profession de faire entendre un certain nombre de ses revendications traditionnelles.

V. Sources

Présentation ◊ On ne s'en tiendra pas, ici, à l'étude des seules sources formelles. Plus encore qu'en d'autres domaines du droit civil, il est, en effet, important d'avoir présent à l'esprit que ces sources sont sous-tendues et animées par ce que le doyen Ripert nommait les « forces créatrices du droit » 101. Ainsi qu'on l'a vu tout au long de cette introduction, données politiques, données familiales, données économiques, données démographiques s'entremêlent et interagissent pour imprimer au droit des successions sa configuration présente. Aussi bien n'est-il pas inutile, pour avoir une vue claire des enjeux auxquels il doit actuellement faire face, de procéder à une présentation synthétique des différentes données qui forment les sources réelles du droit des successions, avant d'en étudier les sources formelles.

1° Sources réelles ◊ a) Données politiques. Les lois sur les successions « appartiennent (…) à l'ordre civil ; mais elles devraient être placées en tête de toutes les institutions politiques, car elles influent incroyablement sur l'état social des peuples ». Alexis de Tocqueville illustrait son propos en montrant que le droit des successions peut « concentre(r), groupe(r) autour de quelque tête la propriété, et bientôt après le pouvoir ; (il) fait jaillir en quelque sorte l'aristocratie du sol ». Conduit par d'autres principes, il « divise, (il) partage, (il) dissémine les biens et la puissance (…) ; il s'élève et retombe incessamment sur le sol, jusqu'à ce qu'il ne présente plus qu'une poussière mouvante et impalpable, sur laquelle s'assoit la démocratie » 102. On a vu que tel a été, tour à tour, l'état du droit français. Privilège de masculinité et de primogéniture, utilisation des substitutions fidéicommissaires avaient pour but, dans l'ancien droit français, la concentration des biens au sein des familles nobles et le maintien d'un pouvoir aristocratique. À l'inverse, le droit intermédiaire et le Code civil de 1804 ont placé, au cœur de leur conception, l'égalité, afin de « ramener constamment vers le bas la dimension des patrimoines et des domaines » 103.

Il est aujourd'hui un moyen beaucoup plus direct d'atteindre un tel objectif : l'impôt successoral. Et de fait, si, avec l'échec de la pensée socialiste et le triomphe du libéralisme économique, il n'est plus guère soutenu que le patrimoine des personnes décédées doit faire retour à la société globale, celle-ci s'est ménagé avec l'impôt progressif sur les mutations par décès un moyen très efficace de réduire les disparités de fortune. C'est, a-t-on pu écrire, « l'instrument de limitation de la propriété qui répond le mieux à l'esprit moderne » 104. L'héritage devient ainsi une occasion de redistribution et de circulation collective des richesses 105. Afin de faire de l'impôt successoral un instrument au service d'une propriété aux dimensions de l'homme, il avait été suggéré qu'il soit utilisé à seconder l'effort naturel de l'individu pour accéder à la propriété 106. Mais telle n'est manifestement pas l'orientation présente : l'impôt successoral sert uniquement à alimenter le budget de l'État. Aussi bien son poids s'est-il, au fil du temps, considérablement accru.

Obéissant à l'idée que la force des droits de l'État s'accroît avec l'éloignement de la parenté laissée par le défunt, car cet éloignement accentue le caractère aléatoire du gain représenté pour l'héritier par l'héritage, la législation fiscale plafonnait traditionnellement le taux de l'impôt à 15 puis 20 % en présence de parents en ligne directe – descendants, ascendants– ou du conjoint, tout en portant celui-ci, par paliers, jusqu'à 60 % en présence de parents éloignés ou d'étrangers à la famille. En posant que le taux de l'impôt pourrait désormais aller jusqu'à 40 % en ligne directe (1984), la législation fiscale a rompu avec cette logique. Au-delà d'un certain seuil de fortune, le taux d'imposition se rapproche sensiblement qu'il frappe la ligne directe ou la ligne collatérale. Comme le constatait le conseil des impôts, en 1998, il s'agit là d'un « taux marginal supérieur (…) particulièrement élevé au regard de ceux pratiqués dans les autres pays ». Ce ne sont pas, au demeurant, toujours selon ce même rapport, les grosses successions qui ont ressenti le plus fortement l'augmentation de la pression fiscale : « le défaut d'actualisation des seuils, le maintien inchangé des premiers taux et l'absence de réévaluation de l'abattement à la base entraînent un accroissement général de la pression fiscale particulièrement sensible pour les petites et moyennes successions ». C'est ainsi que « entre 1959 et 1998, en valeur relative, la pression fiscale a été multipliée par 14,3 pour une part transmise estimée à un million de francs 1996 », alors qu'elle n'augmentait que de « 2,8 pour une part transmise à deux millions de francs » et de « 2,3 pour une part transmise estimée à quinze millions de francs 1996 » 107. Une telle augmentation de la pression fiscale est de nature à porter atteinte aux intérêts qui justifient l'existence du droit des successions, dans la mesure où elle peut être ressentie comme une spoliation et ruine alors les ressorts qui portent chaque individu à gérer au mieux son patrimoine jusqu'à sa mort (supra, n° 5). Si c'est « parce que la propriété est héréditaire qu'elle peut faire de grandes choses » 108, il est probable qu'une fiscalité aussi élevée contribue à détendre ce ressort économique. Les suites d'une telle politique sont, au demeurant, aisées à anticiper : les mêmes qui ont porté à un degré inconnu jusqu'alors les prélèvements publics sur les successions, ayant libéré avec une parfaite inconséquence les mouvements de capitaux, nombre de titulaires de grosses fortunes partent s'établir à l'étranger pour bénéficier du traitement beaucoup plus favorable que leur offrent certains pays voisins. La loi TEPA (travail, emploi, pouvoir d'achat) du 21 août 2007 avait entendu remédier en partie à cette situation en remontant les abattements à 150 000 euros par enfants et en prévoyant leur revalorisation annuelle ; la loi de finances rectificative de juillet 2012 les a ramenés à 100 000 euros et a supprimé cette revalorisation.

Dans un tel contexte, la dimension fiscale prend une importance de premier plan. Le législateur en use comme d'un levier, en prévoyant une pression fiscale allégée si le de cujus adopte tel ou tel comportement qui a ses faveurs, par exemple une transmission anticipée à ses héritiers présomptifs. Quant aux particuliers, leur attitude est bien souvent dictée plus par un souci d'optimisation fiscale que par les conséquences civiles qui résultent de tel ou tel choix. On en verra, au fil de cet ouvrage, de multiples manifestations.

 

b) Données familiales. On a vu que la famille prise en compte par le droit des successions a connu une mutation importante avec le passage de la famille lignage à la famille ménage, lequel s'est traduit par un resserrement du cercle des successibles ainsi que par une certaine promotion du conjoint survivant (supra, n° 17). Mais, de l'une à l'autre, il existait une indéniable continuité, dans la mesure où, quelle que soit son étendue, la famille avait pour pivot le mariage qui unissait un homme et une femme, en principe jusqu'à la mort, et qui tissait un lien privilégié entre ceux-ci et leur descendance. Dans cette conception, il n'était de famille que légitime. Les choses ont bien changé : à la diversité des modèles familiaux fait écho leur précarité.

Diversité : avec la création du Pacs et la légalisation du concubinage, des modes alternatifs de conjugalité sont apparus, afin que chacun puisse vivre sa vie de couple à sa guise, au point qu'on parle désormais des familles plutôt que de la famille. Mais curieusement, dans la période récente, ces modèles se sont considérablement rapprochés. Le législateur a supprimé la notion d'enfant légitime, coupant ainsi la filiation du mariage. Il a ouvert toutes ces unions aux personnes de même sexe. Il en a rapproché les effets : le mariage s'est « partenarisé » et le Pacs « matrimonialisé » 109.

Fragilité : ces couples ne sont plus liés pour la vie. Évident pour le Pacs et le concubinage, ce constat vaut aussi pour le mariage. Chaque époux est désormais libre de s'affranchir de ce lien, quand bon lui semble, sans se préoccuper de l'autre et sans avoir à assumer les conséquences de cette rupture, réduisant ainsi à rien les devoirs conjugaux 110.

D'où des interrogations renouvelées pour le droit des successions. En premier lieu, faut-il vraiment maintenir des statuts successoraux différenciés pour chacune de ces situations, alors que les évolutions récentes tendent à faire du mariage un « copié-collé » du partenariat et vice versa 111 ? On ne peut, au reste, que constater que si la loi civile continue à attacher des conséquences successorales différentes aux situations d'époux et de partenaires, la loi fiscale a aligné la situation du partenaire sur celle du conjoint. En second lieu, quelles conséquences successorales déduire de liens devenus aussi fragiles ? Les droits allant de pair avec les devoirs, faut-il continuer à attacher des droits successoraux à une situation qui a été vidée de son contenu obligatoire par un législateur et des magistrats qui ont manifestement perdu toute perception de ce qu'est une famille ? À quoi l'on peut être porté à répondre que si le lien s'est maintenu jusqu'au bout, malgré les effets dissolvants du temps passé et de l'environnement présent, cela mérite récompense. En tout état de cause, n'est-il pas paradoxal de faire du conjoint un héritier réservataire ? Est-il, en effet, raisonnable d'attacher un droit successoral d'ordre public à un lien qui peut être dissous par une manifestation de volonté unilatérale ? La rupture étant parfois suivie d'une recomposition, tout aussi fragile, quelle conséquence attacher à cette dernière ?

Ces transformations du droit de la famille ayant pour dénominateur commun une « conception ombrageuse et égocentrique des droits de l'homme » 112, ce sont au demeurant les fondements mêmes du droit des successions qui en sortent ébranlés. Alors que traditionnellement celui-ci repose sur la solidarité familiale et des considérations économiques (supra, n° 5 s.), on voit poindre l'idée, à travers la jurisprudence de la cour de Strasbourg (infra, n° 33) et certaines dispositions des lois récentes (infra, n° 59 et 108), qu'il existerait une sorte de droit à l'héritage, sans qu'on perçoive très bien ce qui est de nature à le fonder puisque l'héritier ne peut se prévaloir, pour prétendre à celui-ci, ni de son travail ni de son talent, et que l'hérédité apparaît comme un fondement bien inconsistant (supra, n° 4) 113. La transformation n'en est pas moins caractéristique de notre époque dans la mesure où elle reflète le passage d'une approche holistique à une vision purement individualiste. Aussi bien, le déclin des solidarités familiales et l'essor de l'individualisme se matérialisent-ils à travers un certain nombre de dispositions de la loi du 23 juin 2006 114 (infra, n° 35).

 

c) Données économiques. La consistance des fortunes a évolué. Le « goût du mieux être » l'emporte pour beaucoup sur « le souci d'amasser » ; « une société de consommation tend à supplanter une société d'épargne » 115. Au sein même de nombreux patrimoines, la part des richesses transmises diminue au bénéfice des richesses acquises, ce qui retire à l'idée de conservation des biens dans la famille une partie de sa force. Encore faut-il ne pas exagérer la portée de la remarque (supra, n° 27). La renaissance des droits de retour, à la faveur des réformes récentes, est là pour l'attester (infra, n° 209).

En réalité, il est difficile ici de tenir un discours indifférencié, tant il existe, par-delà l'abstraction juridique, plusieurs types de patrimoines. Les très grands patrimoines, où l'élément mobilier est nettement prépondérant, sont, à l'heure de la mondialisation, bien souvent détenus à travers des trusts, des fiducies, des fondations logés dans des pays qui, évitant toute curiosité intempestive, font montre au bénéfice de leurs titulaires d'une discrétion de bon aloi. Cette internationalisation permet aux titulaires de ces patrimoines, usant de toutes les ressources du droit international privé, de procéder à une planification successorale, encore nommée estate planning 116, qui les soustrait aux pesanteurs qui frappent les patrimoines ancrés géographiquement en France. Cet ancrage est le lot des patrimoines moyens, fréquemment composés pour une part importante d'immeubles. La remarque vaut aussi parfois pour les petits patrimoines, du fait de l'accession croissante à la propriété du logement. À quoi s'ajoutent souvent, pour les petites successions, les livrets d'épargne bancaires, pour les moyennes, les contrats d'assurance placement, sorte de succession triangulaire qui font transiter le patrimoine par des circuits parallèles, fiscalement plus favorables.

À considérer non plus la consistance des patrimoines, mais l'attitude du législateur par rapport à ceux-ci, deux grandes lignes d'évolution se dégagent, la seconde corrigeant la première.

Les biens constituant le patrimoine du de cujus sont de plus en plus considérés à travers leur seule valeur économique. Ils sont envisagés uniquement pour ce qu'ils valent et non pour ce qu'ils sont. En 1804, l'égalité du partage était une égalité en nature et l'article 832 du Code civil prescrivait « de faire entrer dans chaque lot, s'il se peut, la même quantité de meubles, d'immeubles, de droits ou de créances de même nature et valeur ». Désormais, « l'égalité dans le partage est une égalité en valeur » (C. civ., art. 826). Comme on l'a souligné, « la volte-face est totale. Le droit de l'héritier s'est progressivement détaché de la matière successorale ; réel encore dans l'indivision, il tend à devenir personnel lors du partage » 117. Le constat est encore plus flagrant lorsqu'on envisage la réserve héréditaire, laquelle n'est plus une réserve en nature. La réduction des libéralités excessives s'opère, en effet, désormais exclusivement en valeur. À supposer qu'un père lègue tous ses biens à un étranger à la famille, ses enfants n'auront droit qu'à une indemnité en argent. La dimension humaine du patrimoine, sa fonction d'enracinement, la valeur sentimentale de certains biens sont ainsi totalement méconnues. C'est là l'expression d'une société qui privilégie l'économie et qui n'a d'autre valeur que l'argent. Le droit des successions s'en trouve fragilisé. Aussi bien, ne peut-on, ici, que regretter l'équilibre qu'avait su instaurer la loi du 3 juillet 1971 entre la réduction en nature et la réduction en valeur. Le progrès serait, sur ce point précis, le retour au droit antérieur qui faisait sa juste place, à côté des impératifs économiques, aux considérations humaines et familiales.

À titre de correctif, mais celui-ci ne joue pas lorsque le de cujus a disposé de ses biens au moyen de libéralités, il est tenu compte pour certains biens, en raison de leur nature et de leur affectation particulière, de l'utilité qu'ils présentent pour certains héritiers, voire même pour la collectivité. On assiste ainsi à une certaine « réincarnation » du patrimoine successoral 118. Encore les considérations qui président à celles-ci sont-elles, conformément à la logique de l'époque, exclusivement utilitaires. C'est ainsi que s'est progressivement généralisée l'idée qu'un héritier qui a participé à l'exploitation d'une entreprise relevant de la succession ou qui est logé dans un local faisant partie de celle-ci peut en demander l'attribution préférentielle dans le partage, à charge d'indemniser ses copartageants. Ce souci d'assurer la pérennité du logement se traduit même, au sein du couple, par des droits nouveaux donnant naissance à des successions particulières (infra, n° 185). Plus caractéristique encore de l'époque, l'attention portée à la transmission d'entreprise. Et de fait, en ces temps de chômage de masse, il n'est pas négligeable de relever que, à la veille de la réforme de 2006, 7 000 entreprises disparaissaient chaque année, à la suite du décès de l'entrepreneur, faute d'héritier capable de les gérer et d'outil permettant au dirigeant d'assurer la pérennité de la bonne gestion après son décès. Afin d'y remédier, l'entreprise dont était propriétaire le de cujus est désormais traitée moins comme un élément de son patrimoine que comme un « bien national pourvoyeur d'emplois », ce qui conduit à apporter au droit des successions des infléchissements importants afin d'en faciliter la transmission 119. Ainsi en va-t-il, par exemple, du mandat à effet posthume qui, sans exclure les héritiers, les dessaisit de la gestion de tout ou partie de la succession, remettant ainsi en cause la saisine successorale (infra, n° 861). Ainsi en va-t-il encore de la multiplication des pactes de famille qui permettent au de cujus d'attribuer l'entreprise à celui qu'il juge le plus digne de la poursuivre. Sans doute, le consentement des autres successeurs est-il nécessaire pour que ceux-ci soient pleinement efficaces, en sorte qu'on en attend des règlements familiaux équilibrés. Mais on oublie sans doute un peu vite que, dans tous ces contrats, le de cujus est « seul maître du jeu » ; dans la mesure où il cherche non une contrepartie mais à distribuer ses biens, il n'y a guère de marge pour une négociation équilibrée 120.

 

d) Données démographiques. Le facteur essentiel en la matière a déjà été relevé, c'est l'allongement de la durée de la vie humaine (supra, n° 26). Celui-ci peut agir de plusieurs façons sur le phénomène successoral.

Du côté du de cujus, le souci des vieux jours peut le porter à investir dans des contrats de prévoyance retraite. Source d'avoirs viagers, ces dépenses amenuisent le patrimoine qui est susceptible d'être transmis par succession.

Du côté des héritiers, l'allongement de la durée de la vie humaine fait, on l'a vu, que l'on hérite à l'heure non plus du démarrage dans la vie mais d'une date proche du départ à la retraite (supra, n° 26). D'où l'utilisation accrue d'un certain nombre de mécanismes fort classiques – donation rapportable, donation-partage – qui permettent d'avancer la transmission (supra, n° 26). D'où surtout l'idée qu'il serait bénéfique que l'héritage puisse sauter une génération afin de remplir pleinement sa fonction d'aide à l'établissement. À cet effet, droit civil et droit fiscal conjuguent leurs efforts avec la mise en place d'instruments nouveaux, les donations-partages transgénérationnelles (infra, n° 1253), et l'existence d'abattements spécifiques.

Mais cette approche est-elle appelée à rester pérenne ? Adaptée à la société présente, celle des enfants du baby boom, retraités bien pourvus par l'État-providence et ayant bénéficié du plein-emploi, le sera-t-elle à la société future ? Face à l'incertitude de l'avenir, en ce qui concerne les régimes de retraite, ne serait-il pas prudent que l'héritage continue d'aller à la génération qui avait naturellement vocation à le recueillir ? Au surplus, la logique civile favorable à la transmission anticipée risque de se heurter à la logique du droit social, lequel perçoit de plus en plus l'aide sociale comme une avance à récupérer non seulement contre les successions et les légataires, mais aussi contre les donataires si la donation est intervenue dans les dix ans qui précèdent la demande d'aide sociale ou à plus forte raison dans les années qui la suivent (CASF, art. L. 132-8) 121.

e) Bilan. À considérer le droit des successions et des libéralités dans son ensemble, on ne peut que constater que les trois piliers mis en avant par le doyen Carbonnier s'y retrouvent : la famille, la propriété et sinon le contrat, du moins l'acte juridique 122. S'agissant de ce dernier pilier, l'évolution est profonde puisque, à côté de l'acte juridique unilatéral qu'est le testament, le contrat joue un rôle de plus en plus important du fait de l'assouplissement de la prohibition des pactes sur succession future. Mais c'est surtout à propos du premier pilier, la famille, que les interrogations se font jour aujourd'hui. Comme on a pu l'écrire, si « une menace pèse sur l'avenir des patrimoines familiaux, (c'est) bien plus en raison de l'implosion des familles que de l'érosion des héritages » 123.

2° Sources formelles ◊ À considérer les sources formelles du droit des successions et des libéralités, celles-ci ne semblent guère présenter de spécificité. Loi et jurisprudence y remplissent leur fonction complémentaire, si ce n'est que la première, après une très longue période de stabilité, a été l'objet d'un profond renouvellement, en sorte que la jurisprudence se trouve de nouveau pleinement investie de sa tâche de clarification et d'explicitation des textes. À gravir un échelon de plus dans la hiérarchie des normes, les droits fondamentaux, qu'ils soient d'origine constitutionnelle, européenne ou internationale, sont désormais susceptibles de peser, par le biais de la question prioritaire de constitutionnalité ou du contrôle de conventionnalité, sur l'économie du droit des successions et des libéralités. Mais la remarque n'est pas propre à la discipline. En revanche, le droit des successions et des libéralités présente une certaine originalité en raison du rôle spécifique qu'y joue la pratique notariale. La matière apparaît de ce fait comme revêtant un caractère plus juridique que judiciaire, même si ce trait a tendance à s'estomper avec les lois récentes.

Droits fondamentaux ◊ En théorie, les droits fondamentaux, qu'ils aient leur siège dans le préambule de la Constitution ou dans des Conventions internationales, ont toujours occupé, au sein de la pyramide des normes, une place hiérarchiquement supérieure à celle de la loi. Mais cette supériorité est longtemps restée ineffective, faute de contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité des lois. On sait qu'il n'en va plus de même aujourd'hui : question prioritaire de constitutionnalité, contrôle de conventionnalité, recours direct devant la cour européenne des droits de l'homme font que les droits fondamentaux constituent pour le droit civil en général, et pour le droit des successions et des libéralités en particulier, une donnée positive de première importance. Le droit civil ne vaut plus que s'il est conforme aux droits fondamentaux, lesquels s'érigent ainsi en une sorte de « droit des droits ».

Introduite à la faveur de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, la question prioritaire de constitutionnalité permet d'exercer un contrôle de constitutionnalité a posteriori. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution, « lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » 124. En dépit de son caractère relativement récent, cette procédure a déjà produit des effets dans le domaine du droit des successions. On lui doit, en effet, la disparition d'une de ses dispositions les plus vénérables, le droit de prélèvement (infra, n° 64). La loi du 14 juillet 1819 qui avait introduit ce mécanisme dans notre droit a, en effet, été déclarée contraire à la constitution par une décision du 5 août 2011 125. D'autres décisions ont, au contraire, écarté les griefs formés contre certaines dispositions de notre droit des successions 126.

Pour l'heure, c'est surtout la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui, par le relais de la Cour de Strasbourg, a fait sentir son emprise sur le droit des successions et des libéralités. S'agissant des successions, il est impossible de ne pas évoquer la fameuse affaire Mazureck. En la circonstance, la disposition qui faisait difficulté était l'ancien article 760 du Code civil (réd. L. 3 janv. 1972) qui prévoyait que, en dépit du principe de l'égalité des filiations posé par l'ancien article 334 du Code civil, les droits successoraux de l'enfant adultérin étaient diminués lorsqu'il était en concours avec les enfants légitimes issus du mariage pendant lequel il a été conçu. La question de la conformité de cette disposition à l'article 8 de la Convention EDH, consacrant le droit au respect de la vie privée et familiale, ayant été posée aux juges français, la Cour de cassation avait décidé que « la vocation successorale est étrangère au respect de la vie privée et familiale, dont le droit est reconnu par l'article 8 » 127. Usant du droit de recours individuel ouvert à toute personne ayant épuisé ses droits de recours interne, le demandeur porta l'affaire devant la Cour EDH siégeant à Strasbourg, et fit valoir que la diminution de part résultant de l'application de l'ancien article 760 du Code civil était constitutive d'une discrimination dans l'exercice de son droit au respect de la vie familiale et de son droit de propriété consacré par l'article 1 du Protocole additionnel n° 1, lequel dispose : « Toute personne a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et par les principes généraux du droit international public ». Par un arrêt en date du 1er février 2000, la Cour de Strasbourg a accueilli son recours sur ce second fondement 128. Cette affaire illustre d'abord l'insécurité juridique qui résulte de l'irruption des droits fondamentaux au sein du droit civil. L'intervention de la plus haute juridiction judiciaire française, voire même du Conseil constitutionnel, n'offre aucune réelle garantie aux acteurs de la vie civile, puisque l'affirmation par l'une ou par l'autre de la conformité de telle ou telle disposition de notre droit civil avec les exigences des droits fondamentaux peut, à tout moment, être contredite par la Cour de Strasbourg. Elle témoigne ensuite d'une lecture singulièrement déformante des textes. L'article 1 du Protocole additionnel n° 1, sur lequel la Cour de Strasbourg prend appui, protège, en effet, le droit de propriété et non le droit à la propriété. Or le demandeur ne pouvait prétendre avoir été évincé de sa propriété, puisqu'il n'était jamais devenu titulaire de celle-ci 129. En la circonstance, la question posée était non celle de la violation du droit de propriété, mais celle de savoir si une vocation successorale peut être ou non inégalitaire, ce que n'envisage en aucune façon l'article 1er du Protocole n° 1 130. En découvrant ainsi, dans un texte qui ne le prévoit nullement, un droit à l'héritage, la Cour de Strasbourg bouleverse la philosophie du droit des successions, car « dans l'histoire jamais l'héritage ne s'est justifié par l'intérêt personnel de l'héritier, mais toujours par des considérations familiales, économiques, humaines » 131. Elle montre enfin l'importance des répercussions que peut avoir sur le droit positif la prise en compte des droits fondamentaux. En frappant d'inconventionnalité l'ancien article 760 du Code civil, la décision de la Cour de Strasbourg conduisait à des conséquences pratiques dont le caractère ubuesque 132 était encore renforcé par le fait que sa portée dans le temps était incertaine 133. Afin d'éviter le renouvellement de telles situations, le législateur est intervenu, par la loi du 3 décembre 2001, pour aligner la situation de l'enfant adultérin sur celle des autres enfants.

S'agissant des libéralités, on a vu que l'équilibre établi par notre droit entre pouvoir de disposer à titre gratuit et réserve héréditaire était conforme aux droits fondamentaux (supra, n° 9). Mais c'est d'une autre façon, très intrusive pour la liberté de disposer, que les droits fondamentaux semblent devoir se réintroduire au sein des libéralités. Par un arrêt en date du 13 juillet 2004, la Cour de Strasbourg s'est, en effet, arrogé le droit de condamner un État, parce que ses juridictions avaient donné d'un testament une interprétation contraire à ce que requièrent les droits de l'homme, tels que compris par elle 134. Autrement dit, la Cour de Strasbourg ne s'estime pas liée par la volonté du testateur et n'hésite pas à réécrire le testament en fonction de ses propres conceptions. On est alors en présence d'un contrôle non plus vertical où il est vérifié que les règles édictées par l'État sont conformes aux droits fondamentaux, mais d'un contrôle horizontal, où il est vérifié que c'est l'acte juridique lui-même qui respecte les droits fondamentaux.

Droit international et droit européen ◊ Si l'on fait abstraction des droits fondamentaux et des conventions fiscales, les conventions internationales et textes européens ne jouent qu'un rôle très modeste en droit des successions et des libéralités. Ils interviennent en effet essentiellement pour régler les questions de conflit de lois et de conflits de juridictions soulevées par l'existence de successions internationales.

 

Longtemps, ces questions ont été résolues par le seul droit international privé français. S'inspirant des solutions pratiquées dans l'Ancien droit, la jurisprudence a soumis les successions mobilières à la loi du dernier domicile du défunt 135 et les successions immobilières à la loi du lieu de situation de l'immeuble 136. Il peut donc exister plusieurs masses relevant de lois différentes, lorsque le de cujus est propriétaire d'immeubles situés dans des pays autres que celui de son domicile. C'est le système de la scission. Des conventions internationales ont certes été ratifiées par la France. Mais au nombre de deux, elles interviennent seulement à la marge pour favoriser la validité formelle des testaments. La Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur la loi applicable à la forme des dispositions testamentaires, entrée en vigueur en France en 1967, utilise à cet effet la méthode des règles de conflit à coloration matérielle (infra, n° 444), la Convention de Washington du 26 octobre 1973, entrée en vigueur en France en 1994, la méthode des règles matérielles en ajoutant aux trois formes traditionnelles du testament prévues par le Code civil une quatrième, le testament international (infra, n° 444).

Ce système est en passe d'être bouleversé par le droit de l'Union européenne. Un règlement européen, en date du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, à la loi applicable et à la reconnaissance des décisions en matière de successions doit, en effet, se substituer à notre ancien droit international privé d'origine jurisprudentielle le 17 août 2015, les conventions précitées continuant de s'appliquer dans les rapports entre les États qui y sont parties. Ce règlement consacre un système de solution en rupture complète avec la tradition française. Il retient, en effet, le système non de la scission mais de l'unité. La succession est soumise à une loi unique, la loi de l'État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. Le de cujus peut néanmoins écarter cette loi par une professio juris en choisissant sa loi nationale 137.

Lois du 3 décembre 2001 et du 23 juin 2006 ◊ Dans la lignée des textes qui ont procédé à une « recodification tranquille » du Code civil, en modernisant par étapes le droit de la famille – tutelle (1964), régimes matrimoniaux (1965), majeurs protégés (1968), autorité parentale (1970), filiation (1972), divorce (1975) –, la question s'est posée de la refonte du droit des successions. Plusieurs projets ont été déposés devant le Parlement, à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, qui se fondaient sur les conclusions d'un groupe de travail présidé par le doyen Carbonnier 138. Faute, semble-t-il, de volonté politique, aucun de ces projets n'a été inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Hésitant sur le parti à suivre, la Chancellerie a commandé des rapports, à la fin des années quatre-vingt-dix, à deux groupes de réflexion présidés respectivement par Mme Irène Théry 139 et par Mme Françoise Dekeuwer-Défossez 140. C'est seulement au XXIe siècle que deux lois des 3 décembre 2001 et 23 juin 2006 ont réalisé la modernisation attendue. Encore celle-ci s'est-elle effectuée, sur un mode fragmentaire, qui explique probablement une partie des imperfections des textes nouveaux.

 

La loi du 3 décembre 2001 : le processus a été relancé par une proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale par le député Alain Vidalies le 17 janvier 2001 141. À l'origine, l'objet de celle-ci était relativement modeste puisqu'elle n'envisageait que la réforme des droits du conjoint survivant. Mais cet objet devait être doublement étendu pour aboutir à l'adoption de la loi du 3 décembre 2001 « relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions du droit successoral ». En premier lieu, lors de la discussion à l'Assemblée nationale, le 8 février 2001, fut introduit un amendement visant à supprimer les textes qui réduisaient la vocation de l'enfant adultérin. Ainsi qu'on l'a vu, cette suppression était devenue nécessaire du fait de la condamnation de la France par la Cour de Strasbourg dans l'affaire Mazureck et des conséquences qu'elle emportait (supra, n° 33). En second lieu, lors de la première lecture de la proposition devant le Sénat, furent introduits plus de deux cents amendements qui visaient à réformer l'ensemble du droit des successions, en reprenant pour l'essentiel les dispositions du projet de loi de 1995, issu des travaux du groupe Carbonnier. Mais voté par le Sénat, l'ensemble de ces amendements ne fut pas, en définitive, adopté en seconde lecture par l'Assemblée, en sorte que la rénovation a porté uniquement, outre les droits du conjoint survivant et la situation de l'enfant adultérin, sur les trois premiers chapitres du titre « Des successions » relatifs à l'ouverture de la succession, aux qualités requises pour succéder et aux ordres de succession 142. A ainsi été manquée l'occasion d'une réforme d'ensemble du droit des successions 143.

Entrée en vigueur le 1er juillet 2002, cette loi s'applique en principe à toutes les successions qui se sont ouvertes à compter de cette date 144.

 

Il existe néanmoins certaines dispositions transitoires particulières. Le nouvel article 763 prévoyant un droit au logement temporaire au profit du conjoint survivant s'applique aux successions ouvertes à compter du 4 décembre 2001. Les dispositions relatives aux enfants adultérins et à l'action en retranchement (art. 1527, al. 1) s'appliquent aux successions ouvertes avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, si elles n'ont pas donné lieu à cette date à un partage. Les causes d'indignité successorale sont déterminées par la loi en vigueur au jour où les faits ont été commis, sous réserve de dispositions particulières (infra, n° 71).

 

La loi du 23 juin 2006 : La matière des successions et des libéralités n'en continua pas moins de connaître une certaine effervescence qui témoignait de la nécessité d'achever sa refonte. Poursuivant ses travaux, sans en avoir reçu mandat de la Chancellerie, le groupe de travail présidé par le doyen Carbonnier publia, en 2003, « une offre de loi » qui traitait de l'ensemble du droit des libéralités et suggérait des innovations hardies : testament d'urgence, libéralité graduelle, donation-partage transgénérationnelle 145. Dans le même temps, la Chancellerie demanda au Conseil supérieur du notariat d'engager une enquête auprès des notaires de France afin de réformer le droit des successions et des libéralités ; un questionnaire leur fut adressé, afin d'identifier les difficultés rencontrées lors de la liquidation des successions ainsi que les attentes des familles. Assez proches des projets antérieurs sur nombre de points, les propositions notariales n'en renfermaient pas moins quelques innovations majeures : mandat à effet posthume, réserve en valeur, donation-partage transgénérationnelle, remise en cause de la révocation pour survenance d'enfant 146.

Sur ces entrefaites, la Chancellerie élabora un nouveau projet de réforme des successions et des libéralités qui fut déposé le 27 juin 2005 sur le bureau de l'Assemblée 147. Achevant la refonte du droit des successions, il ne procédait qu'à une réforme assez fragmentaire du droit des libéralités. Celle-ci fut amplifiée par les parlementaires. Après avoir auditionné un nombre important d'acteurs de la vie juridique, les rapporteurs introduisirent, au cours des débats parlementaires, un certain nombre d'amendements majoritairement inspirés de l'offre de loi. La loi du 23 juin 2006 achève ainsi la refonte amorcée en 2001 148. Elle réécrit les chapitres IV et suivants du titre « Des successions », qui traitent désormais de l'option successorale (chapitre IV), des successions vacantes (chapitre V), du mandat successoral (chapitre VI), de l'indivision (chapitre VII) et du partage (chapitre VIII). Quant au titre II, « Des libéralités », il a été assez profondément modernisé, sans que pour autant la totalité de ses dispositions ait été réécrite. Selon l'exposé des motifs, la réforme obéit à quelques idées-forces. Elle vise à simplifier et à accélérer les règlements successoraux, à faciliter la gestion du patrimoine successoral, à donner plus de liberté au de cujus pour organiser sa succession. Dans cette perspective, plusieurs moyens sont mis à la disposition du de cujus, afin de lui permettre d'aménager par anticipation sa succession – mandat posthume, pactes de famille-, les héritiers pouvant être dessaisis de la gestion de la succession, voire même s'ils y consentent privés de leur action en réduction. C'est dire que des deux piliers, familial et économique, sur lesquels repose traditionnellement le droit des successions, c'est le second, le pilier économique, qui se trouve privilégié par la loi de 2006. Elle renforce, en effet, le pouvoir de disposer du de cujus et avec lui ses prérogatives de propriétaire. « Fort de sa propriété et sûr de sa volonté » 149, le de cujus continue de gouverner au-delà de sa mort un patrimoine qui devient ainsi plus un « instrument de pouvoir » qu'un « instrument de solidarité familiale » 150.

La loi du 23 juin 2006 est entrée en vigueur le 1er janvier 2007 et s'applique à toutes les successions qui se sont ouvertes depuis cette date (art. 47-II).

 

Il en va ainsi même si des libéralités ont été consenties par le défunt antérieurement à celle-ci. Toutefois, le droit nouveau de l'indivision et du partage s'applique aux successions antérieurement ouvertes si elles n'ont pas encore été partagées ; lorsqu'une action a été introduite avant l'entrée en vigueur de la loi, elle est jugée conformément à la loi ancienne 151. Il existe des dispositions transitoires particulières relatives à l'article 738-1 à propos de la fente (infra, n° 115 et la note) et aux donations de biens présents entre époux (C. civ., art. 1096) (infra, n° 636).

 

Dernier trait des lois nouvelles : dans leur volonté de simplification, elles procèdent à une modernisation de son vocabulaire dont il n'est pas toujours sûr qu'elle atteigne son but. En effet, outre que nombre d'expressions nouvelles ne sont pas plus claires que celles qui les précédaient, voire pour certaines probablement plus obscures (infra, n° 772), les auteurs de la loi de 2006 comme d'ailleurs ceux de la loi de 2001 n'ont pas toujours respecté ce qui devrait être la règle d'or de tout législateur : utiliser le « français tel qu'on l'apprend à l'école » pour les textes qui posent les principes et qui s'adressent à tous et une langue si nécessaire plus technique pour les dispositions qui les mettent en œuvre, spécialement lorsque cette mise en œuvre suppose l'intervention de professionnels du droit 152. Bien que, s'agissant des liquidations, ce soit manifestement la seconde directive qui doive prévaloir, celles-ci requérant l'intervention d'un notaire, le législateur ne s'est pas toujours conformé à cet impératif, au prétexte d'accessibilité immédiate des textes, introduisant ainsi dans notre droit des successions de graves incertitudes (infra, n° 162).

Office du juge ◊ Face à des textes nouveaux, le juge doit remplir, comme à l'accoutumée, sa tâche d'interprétation et de clarification, voire si nécessaire de comblement des lacunes 153. Ainsi le veut l'article 4 du Code civil prévoyant que le juge doit statuer malgré le silence, l'obscurité ou l'insuffisance de la loi.

Mais à côté de cette mission classique, le juge s'est vu investir, à l'occasion de la « recodification tranquille » dont le Code a été l'objet, d'un rôle qui, pour ne pas être totalement nouveau, n'en a pas moins pris une ampleur inconnue jusqu'alors : il est devenu l'instrument du « flexible droit ». Le législateur multiplie, en effet, les normes cadre qui ne peuvent acquérir leur véritable portée qu'à travers l'application qu'en fait le juge 154. Autrefois quasiment absentes du droit des successions, ces dispositions y ont fait une entrée remarquée. C'est ainsi que, en cas d'indivision, le juge se voit confier la mission de peser les « intérêts en présence » afin de savoir si l'indivision doit être maintenue (C. civ., art. 821, al. 3) ou s'il doit être procédé à une attribution préférentielle (C. civ., art. 832-3, al. 2). Toujours en cas d'indivision, il appartient au juge de préciser ce qu'il faut entendre par « intérêt commun » lorsqu'il est demandé d'assouplir les règles du droit commun (C. civ., art. 815-5). Ainsi encore, un héritier peut demander à être déchargé de son obligation à une dette successorale qu'il avait des motifs légitimes d'ignorer lorsque son acquittement aurait pour effet d'obérer gravement son patrimoine personnel (C. civ., art. 786, al. 2). Instrument du flexible droit, ce pouvoir du juge a le mérite de donner plus de souplesse au droit des successions en lui permettant de s'adapter à l'infinie variété des circonstances, mais il a une contrepartie : incitant au contentieux, il génère une certaine insécurité et risque de ralentir les règlements successoraux, contrairement aux ambitions initialement affichées. L'esprit du droit des successions et des libéralités s'en trouve au demeurant transformé : de juridique, il devient judiciaire. Et il est permis de penser que la place très importante faite au juge, dans certains projets initiaux, qu'il s'agisse d'améliorer la position du conjoint survivant ou d'assurer la liquidation des successions sous bénéfice d'inventaire, n'est pas étrangère aux résistances qu'ils ont dû affronter. Alors que le droit des successions et des libéralités privilégie traditionnellement le couple loi-notaire, le juge vient désormais s'immiscer en tiers.

La pratique notariale ◊ Plus encore que du juge, l'application du droit des successions et des libéralités dépend du notaire. Même s'il existe des alternatives, la voie normale pour procéder à des libéralités passe par le notaire (infra, nos 428 et 631). L'anticipation successorale dont l'importance ne cesse de croître, n'est pas concevable sans ses conseils et son intervention. Et, une fois la succession ouverte, il est la cheville ouvrière du règlement successoral. La loi du 23 juin 2006 accroît, au demeurant, encore ses pouvoirs dans certaines de ses dispositions. C'est ainsi qu'elle prévoit que le notaire peut mettre en demeure un indivisaire de participer au partage (C. civ., art. 841-1). Aussi bien, les Notaires de France jouent-ils un rôle important dans la conception et l'évolution du droit des successions et des libéralités. Ils sont, en ces matières, les interlocuteurs naturels des pouvoirs publics (supra, n° 35). Et leurs Congrès leur sont l'occasion de réfléchir collectivement aux améliorations que requiert la matière. C'est ainsi que depuis 1970 la profession a appelé à de multiples reprises à la refonte du droit des successions et des libéralités, en apportant d'utiles éléments d'information et de réflexion 155. On peut néanmoins regretter que, à l'occasion de la préparation de la loi du 23 juin 2006, les notaires de France aient privilégié les considérations économiques au détriment des considérations familiales.

À côté des notaires, d'autres professions jouent un rôle non négligeable dans la mise en œuvre de ses dispositions. Ainsi en va-t-il des généalogistes dont la mission est de rechercher des héritiers, en particulier lorsque la succession semble vacante 156.

Plan ◊ Une personne décède. Qui lui succède et pour quelle quote-part ? Tel est l'enjeu de la dévolution successorale. Comment mettre en œuvre cette désignation ? C'est l'objet du règlement successoral. Aussi étudiera-t-on la dévolution successorale (Livre I), puis le règlement successoral (Livre II).

Bibliographie générale ◊ Les réformes de 2001 et de 2006 marquent une césure importante. Mais, sur nombre de points, la consultation d'ouvrages antérieurs à ces réformes, y compris d'ouvrages anciens, peut se révéler utile. Il existe, en effet, en matière de successions et libéralités, une doctrine riche et savante dont il serait regrettable de se couper. Un auteur n'a pas hésité à écrire que les auteurs contemporains seraient « des nains juchés sur des géants » 157.

 

1) Ouvrages antérieurs aux réformes de 2001 et de 2006 :

a) Ouvrages anciens :

– Aubry et Rau, Cours de droit civil français, 6e éd. par Esmein, t. X, 1954, t. XI, 1956 (cité Aubry et Rau) ;

– Baudry-Lacantinerie et Wahl, Traité de droit civil, Des successions, 3e éd., 3 vol. 1905 ; Baudry-Lacantinerie et M. Colin, Traité de droit civil, Des donations entre vifs et des testaments, 3e éd., 2 vol. 1905 ;

– Beudant et Lerebours-Pigeonnière, Cours de droit civil français, 2e éd., t. V et V bis par Le Balle, 1936, t. VI et VII par Voirin, 1934 ;

– Colin et Capitant, Cours élémentaire de droit civil français, t. III, 10e éd. par Julliot de La Morandière, 1950 (cité Colin et Capitant) ;

– Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil, t. IV, 2e éd., 1956, par Maury et Vialleton (cité Maury et Vialleton), t. V, 2e éd., 1957, par Trasbot et Loussouarn (cité Trasbot et Loussouarn)

– Ripert et Boulanger, Traité de droit civil d'après le traité de Planiol, t. IV, 1954 (cité Ripert et Boulanger).

b) Ouvrages modernes :

– Flour et Souleau, Droit civil, Les libéralités, 1982, Les successions, 3e éd., 1991

– Grimaldi (M.), Droit civil, Successions, 6e éd., 2001 ; Droit civil, Libéralités, partages d'ascendants, 2000 ;

– Marty et Raynaud, Les successions et les libéralités par P. Raynaud, 1983 ;

– Mazeaud (H., L. et J.), Leçons de droit civil, t. IV, 2e vol. Successions et Libéralités, 1999, 5e éd. par L. et S. Leveneur (cité Mazeaud et Leveneur) ;

– Roland (H.), Droit des libéralités, 2000.

– A. Sériaux, Les successions, Les libéralités, 2e éd., 1993.

2) Ouvrages postérieurs aux réformes de 2001 et 2006 :

a) Ouvrages offrant une présentation cursive de la matière :

– Beignier (B.), Libéralités et successions, Cours Montchrestien, 2e éd., 2012 ;

– Ferré-André (S.) et Berre (S.), Successions et libéralités, Hyper Cours Dalloz, 2012 ;

– Guével (D.), Successions et libéralités, Compact Armand Colin, 2e éd., 2004 ;

– Leroyer (A.-M.) Droit des successions, Cours Dalloz, 2e éd., 2011 ;

– Maury (J.), Successions et libéralités, Objectif droit Lexis Nexis, 8e éd., 2012 ;

– Sagaut (J.-F.), Successions, Express, éd. Delmas, 2e éd., 2011-2012 ;

– Sauvage (F.), Successions, éd. Delmas, 22e éd., 2013 ;

– Sériaux (A.), Successions et libéralités, Manuel droit, 2013.

b) Ouvrages approfondis :

– Grimaldi (M.) (dir.), Droit patrimonial de la famille, Dalloz action 2008-2009 ;

– Jubault (C.), Les successions, les libéralités, 2e éd., 2010 ;

– Malaurie et Aynès, Les successions, Les libéralités, 5e éd., 2012 ;

– Levillain (N.) et Forgeard (M.-C.), Liquidation des successions, 2e éd., 2013 ;

– Zénati-Castaing (F.) et Revet (Th.), Cours de droit civil, Successions, 2012.

 

Cet ouvrage renvoie à la douzième édition des Grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 1 (2007), t.2 (2008), par F. Terré et Y. Lequette (cité GAJC)

Livre 1

LA DÉVOLUTION SUCCESSORALE

Plan ◊ Au décès d'une personne, le patrimoine qu'elle animait n'est pas détruit mais se transmet. À qui ? Tel est l'objet de la dévolution successorale.

Le législateur désigne les personnes qui sont normalement appelées à recueillir la succession. En droit français, cette désignation repose au premier chef sur la proximité de la parenté. C'est la dévolution légale.

Mais cette désignation ne s'impose pas au de cujus. Il peut l'écarter au moyen d'une manifestation de volonté contraire. Celle-ci pourra prendre la forme d'un testament par lequel le de cujus institue un ou plusieurs légataires appelés à recueillir tout ou partie de la succession. Elle pourra également consister en donations par lesquelles le de cujus transmet de son vivant et à titre gratuit tel ou tel de ses biens ; ne faisant pénétrer aucune contre-valeur dans le patrimoine du défunt, ces libéralités vident indirectement de leur contenu les règles de la dévolution légale. Néanmoins, qu'il s'exprime par le truchement de libéralités à cause de mort ou de libéralités entre vifs, le pouvoir de la volonté n'est pas sans limite. En présence de parents proches, une partie de la succession, la réserve héréditaire, reste impérativement soumise aux règles de la dévolution légale.

De manière très pédagogique, le Code civil exprime ces principes dans son article 721 :

« Les successions sont dévolues selon la loi lorsque le défunt n'a pas disposé de ses biens par des libéralités ».

Elles peuvent être dévolues par les libéralités du défunt dans la mesure compatible avec la réserve héréditaire » 158.

Aussi étudiera-t-on successivement la dévolution légale (Titre 1) et le pouvoir de la volonté (Titre 2).

Présentation ◊ Il existe des degrés dans la force obligatoire des lois : celles-ci peuvent être impératives, supplétives ou interprétatives. On admet aussi qu'il existe des lois dispositives. Ainsi en est-il lorsque le législateur, tout en laissant aux particuliers une grande liberté de choix, leur indique que, s'ils n'usent pas de cette liberté, ils seront soumis à un ensemble de règles 159.

On peut situer dans cette catégorie l'aménagement légal de la dévolution des successions. Les règles qui en résultent régissent la succession des personnes qui n'ont pas rédigé de testament ou dont le testament est nul. Allant du général au particulier, on envisagera successivement la relation successorale (chapitre 1), les principes de désignation des héritiers (Chapitre 2) et les règles régissant la situation des divers successibles (Chapitre 3).

Les vivants et les morts ◊ Un renouvellement des analyses juridiques, sous l'influence de certains courants sociologiques, peut consister à présenter l'étude des règles à partir des relations binaires qui leur sont soumises : mari-femme ; vendeur-acheteur ; responsable-victime… En matière successorale, une approche comparable peut être retenue.

Et de fait, alors même que vit celui de la succession de qui il s'agira, ou il pourra s'agir, la relation successorale n'est pas impalpable. Elle peut expliquer, par l'effet de l'anticipation, l'existence de présuccessions. Même en l'absence de celles-ci, la qualité d'héritier présomptif n'est pas indifférente au droit. Il existe, en effet, sur la tête de l'héritier présomptif, une certaine expectative qui se traduit par l'existence d'un droit éventuel.

Le décès de celui de la succession duquel il pouvait s'agir en fait celui de la succession duquel il s'agit (is de cujus successione agitur) ; il transforme l'héritier présomptif en héritier effectif, le droit éventuel en un droit certain. Si elle change la vie en destin, la mort cristallise aussi la relation successorale, du côté du défunt (Section 1) et du côté de l'héritier (Section 2).

Section 1. Le dÉfunt

Plan ◊ Le décès d'une personne suscite de multiples interrogations.

– Qu'advient-il de son patrimoine ? Juridiquement et économiquement, c'est la question essentielle. L'ouverture de la succession enclenche le processus de transmission qui permet d'y répondre.

– Qu'advient-il de ses droits extrapatrimoniaux ?

– Qu'advient-il de son corps ?

§ 1. Ouverture de la succession

Présentation ◊ Seul le décès d'une personne physique, et non celui d'une personne morale, déclenche l'application des règles successorales. Pour comprendre en quoi consiste l'ouverture d'une succession, il faut non seulement en établir les causes, mais aussi déterminer le moment ainsi que le lieu où elle s'opère.

A. Causes

Énumération ◊ Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le décès n'a pas été autrefois et n'est pas aujourd'hui la seule cause d'ouverture d'une succession.

 

Ainsi, dans sa rédaction initiale, l'article 718 du Code civil faisait figurer la mort civile parmi les causes d'ouverture de la succession ; cette peine accessoire frappant les condamnés à une peine criminelle perpétuelle privait l'homme de sa personnalité, même de son vivant 160 ; mais elle a été abolie par une loi du 31 mai 1854 qui l'a remplacée par l'interdiction légale, laquelle a été à son tour supprimée par le nouveau Code pénal (1992) ; portant atteinte à la capacité mais non à la personnalité, l'interdiction légale privait les condamnés à une peine afflictive perpétuelle du droit de procéder à des libéralités.

 

Il existe, dans notre droit, plusieurs causes d'ouverture de la succession.

 

1° Le décès. L'article 720 du Code civil dispose que « les successions s'ouvrent par la mort ». Peu importe la cause du décès : grand âge, maladie, accident, suicide. Les biens de celui qui s'est donné la mort ne sont plus, comme dans l'Ancien droit, confisqués mais dévolus à ses héritiers 161. Le décès donne lieu à constatation et à déclaration, puis à la rédaction d'un acte de l'état civil (C. civ., art. 78 s.).

 

2° La disparition. Il y a disparition lorsqu'une personne est décédée dans des circonstances de nature à mettre sa vie danger, en sorte que son décès est certain, sans que son corps ait pu être retrouvé (ex : catastrophe aérienne, naufrage, tremblement de terre, tsunami…). Un jugement déclaratif de décès peut alors être obtenu qui tient lieu d'acte de décès et produit donc les effets successoraux de celui-ci (C. civ., art. 88 s.) 162.

 

3° L'absence. Lorsqu'une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence, le tribunal de grande instance peut, passé un temps plus ou moins long selon les cas 163, prononcer un jugement de déclaration d'absence (C. civ., art. 122 s.) 164. Ce jugement déclaratif d'absence emporte ouverture de la succession de l'absent (C. civ., art. 128, al. 1) 165. S'il advenait que l'absent réapparaisse, ou que son existence soit prouvée postérieurement au jugement déclaratif d'absence, ce jugement pourrait être annulé et l'absent recouvrer ses biens dans les conditions prévues aux articles 129 et 130 du Code civil 166.

 

4° La confiscation générale. Frappant les personnes condamnées à certaines peines politiques (C. pén., anc. art. 37 à 39), cette mesure a été supprimée par le nouveau Code pénal (1992), sauf à l'égard des condamnés pour crimes contre l'humanité (C. pén., art. 213-1, 4) ou pour trafic de stupéfiants (C. pén., art. 222-49, al. 2). Elle portait en principe sur tous les biens présents du condamné mais non sur les biens à venir, c'est-à-dire sur les biens qui pourraient lui échoir par succession ou donations. De ce que l'article 38 alinéa 2 du Code pénal disposait qu'« il sera, s'il y a lieu, procédé au partage ou à la licitation suivant les règles applicables en matière de successions », certains tiraient argument pour soutenir que la confiscation générale constituait une cause d'ouverture de la succession 167. Cette analyse était à écarter car on ne saurait considérer comme ouverte la succession d'une personne qui conserve la personnalité juridique 168. Il en va a fortiori ainsi aujourd'hui puisque, dans les deux cas de confiscation qui ont été maintenus, celle-ci porte sur « tout ou partie » des biens.

B. Date

Intérêts pratiques ◊ Le moment exact du décès d'une personne constitue une étape juridiquement essentielle.

C'est, en effet, à cet instant qu'il convient de se placer pour savoir quelles sont les personnes – vivantes ou simplement conçues (infra, n° 56) – aptes à recueillir la succession et si elles présentent les qualités requises pour succéder. C'est aussi à ce moment que s'opère de plano la transmission des droits du de cujus à ses successeurs (infra, n° 786), en sorte que c'est à cette date que naît l'indivision successorale en cas de pluralité de successeurs 169. Le partage, qui y mettra fin, remontera, du fait de son effet déclaratif qui nie la période indivisaire, à cette date (infra, nos 1147 s.). Enfin, il commande le droit applicable à la succession. En effet, en cas de conflit de lois dans le temps, la loi applicable est, sauf dispositions transitoires particulières, celle qui était en vigueur au jour de l'ouverture de la succession 170. Cette question présente aujourd'hui un intérêt tout particulier du fait des réformes importantes qu'a récemment connues le droit des successions. Entrées en vigueur respectivement les 1er juillet 2002 et 1er janvier 2007, les lois du 3 décembre 2001 et du 23 juin 2006 s'appliquent donc, sauf dispositions transitoires particulières (supra, n° 35), aux successions qui se sont ouvertes à compter de chacune de ces dates.

Détermination ◊ Lorsque l'ouverture de la succession résulte du décès – cas le plus normal, même s'il s'agit de l'accident qui n'arrive qu'aux autres-, il convient pour déterminer le moment de l'ouverture de la succession de se référer à l'acte qui le constate. L'acte de décès énonce, en effet, non seulement le jour mais l'heure du décès (C. civ., art. 79) ; la prise en compte de l'heure par le droit est au demeurant assez rare.

 

S'agissant d'un simple fait que l'officier de l'état civil n'a pas constaté propriis sensibus, la preuve contraire peut en être apportée par tous moyens. À cet effet, il faut utiliser la procédure de rectification des actes de l'état civil prévue par l'article 99 du Code civil 171.

 

En cas de disparition, le jugement déclaratif de décès fixe la date de celui-ci « en tenant compte des présomptions tirées des circonstances de la cause » et retient, à défaut, le jour de la disparition (C. civ., art. 90, al. 3) 172.

En cas d'absence, le jugement qui déclare celle-ci emporte, à partir de la transcription, tous les effets que le décès établi aurait eus (C. civ., art. 128, al. 1) 173.

La question des comourants, généralement envisagée à l'occasion de l'étude de la date d'ouverture de la succession, sera traitée dans cet ouvrage à propos de la condition d'existence de l'héritier (infra, n° 62).

C. Lieu

Intérêts pratiques ◊ Des intérêts pratiques importants sont attachés à la détermination du lieu d'ouverture de la succession.

En droit judiciaire privé, certaines actions en justice relatives au règlement de la succession relèvent de la compétence territoriale du lieu d'ouverture de la succession.

Aux termes de l'article 45 du Code de procédure civile, « en matière de succession, sont portées devant la juridiction dans le ressort de laquelle est ouverte la succession jusqu'au partage inclusivement : –les demandes entre héritiers ; –les demandes formées par les créanciers du défunt ; –les demandes relatives à l'exécution des dispositions à cause de mort ».

Aux termes de l'article 841 du Code civil, « le tribunal du lieu d'ouverture de la succession est exclusivement compétent pour connaître de l'action en partage et des contestations qui s'élèvent soit à l'occasion du maintien de l'indivision soit au cours des opérations de partage ».

Cette compétence spéciale tend à la concentration des contestations éventuelles devant le tribunal ordinairement le mieux situé à l'effet de les trancher.

En droit international privé, le lieu d'ouverture de la succession détermine, dans le système français de conflit de lois, la loi applicable aux successions mobilières 174. Sa localisation en France permet aux tribunaux français de se reconnaître internationalement compétents.

Détermination ◊ L'article 720 du Code civil dispose : « les successions s'ouvrent (…) au dernier domicile du défunt ».

Au cas où une personne décède hors du lieu de son domicile, la succession ne s'ouvre pas au lieu de ce décès – pourtant mentionné dans l'acte de décès (C. civ., art. 79, al. 1, 1) 175– mais au lieu du dernier domicile du défunt, qu'il soit volontaire ou légal, en France ou à l'étranger 176. La solution s'explique, au demeurant, aisément. C'est au lieu du principal établissement du défunt et non à celui de son décès, qui peut être fortuit, que sont concentrés les intérêts pécuniaires du de cujus. Si la succession s'ouvre par l'effet d'un jugement de déclaration d'absence, il s'agit du domicile – ou de la dernière résidence – de la personne qui a cessé d'y paraître sans que l'on en ait eu de nouvelles (C. civ., art. 112) 177.

§ 2. Les droits extrapatrimoniaux

Droits de la personnalité ◊ Attachés à chaque homme en tant qu'expression de sa personnalité, ces droits – droit au respect de l'intégrité physique, droit au respect de l'intégrité morale, droit au respect de la vie privée– concourent à le protéger dans sa dignité 178. Revêtant un caractère éminemment personnel, ces droits sont intransmissibles et s'éteignent au décès de la personne qui en était titulaire 179. Ce n'est pas à dire que les héritiers du défunt ne puissent pas agir pour la défense de sa mémoire, de sa réputation, de son nom, de son image. Mais lorsqu'ils le font, ils exercent non le droit de celui qui est décédé mais leur droit propre. Aussi leur action ne sera-t-elle accueillie que s'ils démontrent que l'atteinte portée à la vie privée du défunt est « de nature à porter atteinte à leurs propres sentiments, de manière certaine et caractérisée, et à créer un préjudice qui leur est personnel » 180. De même en va-t-il s'ils entendent s'opposer à la reproduction de l'image du défunt après son décès 181 ou encore obtenir la condamnation de propos diffamatoires ou injurieux tenus à l'encontre du défunt 182.

L'atteinte aux droits de la personnalité, portée du vivant du titulaire du droit, donne quant à elle naissance à un droit à réparation qui figure dans son patrimoine et qui se transmet à ses héritiers, en sorte que ceux-ci peuvent l'exercer alors même que le de cujus n'aurait pas introduit l'action de son vivant 183.

Les droits moraux et les droits patrimoniaux des auteurs étant étroitement liés et obéissant, pour certains d'entre eux, à des règles propres qui donnent naissance à des successions particulières, leur transmission à cause de mort sera étudiée avec celles-ci (infra, n° 246).

§ 3. Le corps

Présentation ◊ La mort fait du corps humain un cadavre 184. La mort mettant fin à la personnalité juridique, le cadavre est juridiquement considéré comme une chose, mais ce n'est pas une chose comme les autres. Il revêt un certain caractère sacré 185 qui explique l'existence d'une condition juridique propre. La loi du 19 décembre 2008 a, au demeurant, introduit dans le Code civil un nouvel article 16-1-1 qui dispose : « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence » 186.

Les funérailles et la sépulture ◊ L'organisation des funérailles et le choix du lieu de sépulture sont à l'origine d' un contentieux relativement abondant. La raison en est le plus souvent, la multiplication des familles recomposées ainsi que des familles formées de personnes appartenant à des communautés différentes dont les membres ne parviennent à s'accorder ni sur les funérailles – rite religieux ou pas, inhumation ou crémation, …– ni sur le lieu de la sépulture – France ou pays d'origine de l'intéressé…

Marquée par le souci d'assurer le respect de la laïcité 187, la loi du 15 novembre 1887 prévoit que « tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture » 188. Autrement dit, il appartient à chacun de régler ses funérailles et sa sépulture pour après sa mort 189. Encore faut-il que la volonté ainsi exprimée se conforme au mode d'inhumation retenu par la loi 190 ainsi qu'à l'ordre public et aux bonnes mœurs 191.

En l'absence de volonté exprimée par le défunt, il revient à la famille de régler ces questions. Mais les désaccords au sein de celle-ci étant fréquents, les tribunaux 192 ont été amenés à préciser quel est le membre de la famille qui est le « mieux qualifié » pour fixer les modalités des funérailles ainsi que le lieu de sépulture 193. Une hiérarchie se dégage : le conjoint y occupe le premier rang parce qu'il est le proche le plus intime et donc le mieux placé pour connaître la volonté du défunt 194, ce qui explique qu'il puisse être écarté en cas de mésintelligence 195, de remariage 196, ou encore lorsque le défunt était reparti vivre chez ses parents 197. La communauté de vie peut conduire à assimiler au conjoint le concubin ou la concubine 198. À défaut de conjoint ou si celui-ci est écarté, le pouvoir de régler les obsèques et de choisir la sépulture est attribué aux plus proches parents – enfant 199, père et mère 200-, voire à des parents plus éloignés 201 ou même à un ami 202. En règle générale, les tribunaux répugnent à autoriser le déplacement de la sépulture dès lors que le lieu de celle-ci avait été fixé d'un commun accord par les intéressés 203. Seuls le caractère provisoire de la sépulture 204, l'existence d'un motif grave 205 ou la démonstration du non-respect de la volonté du défunt 206 peuvent alors justifier le déplacement.

Lorsqu'il est procédé à une incinération, le sort des cendres du défunt peut être source de contestations. Celles-ci peuvent être dispersées dans un lieu spécialement affecté à cet usage ou en pleine nature, après déclaration au maire de la commune de naissance du défunt 207, ou être conservées dans une sépulture 208. Un temps admis par la jurisprudence 209, le partage des cendres a, semble-t-il, été condamné par la loi du 19 décembre 2008 210.

Le droit réel résultant d'une concession dans un cimetière est un bien hors du commerce, ce qui n'exclut pas qu'il puisse faire l'objet d'actes juridiques –renonciation, donation, testament– et que sa transmission soit constitutive d'une succession anomale (infra, n° 243).

Sépulture et cadavre sont juridiquement protégés. Est pénalement sanctionnée « la violation ou la profanation, par quelque moyen que ce soit, de tombeaux, de sépultures, d'urnes cinéraires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts » (C. pén., art. 225-17, al. 2), la peine étant doublée lorsque ces infractions ont été accompagnées d'atteinte à l'intégrité du cadavre (C. pén., art. 225-17, al. 3).

Le de cujus peut avoir prévu un autre sort que l'inhumation ou la crémation pour tout ou partie de son corps : don de son corps à la science, don de ses organes à des fins thérapeutiques. En l'absence de volonté exprimée, la loi autorise à certaines conditions les prélèvements d'organes 211.

Section 2. L'HÉRITIER

Plan ◊ Pour qu'une personne puisse être appelée à recueillir une succession, il faut qu'elle existe au moment de l'ouverture de celle-ci (§1) et qu'elle ne soit pas indigne (§2).

§ 1. Existence de l'héritier

Présentation ◊ L'article 725 du Code civil dispose : « Pour succéder, il faut exister à l'instant de l'ouverture de la succession ». L'exigence s'explique aisément. Le titulaire du patrimoine étant décédé, il faut, pour éviter toute rupture dans l'appropriation des biens, que ceux qui sont appelés à les recueillir existent au moment même où s'ouvre la succession.

Parce qu'elles n'existent pas au moment de l'ouverture de la succession, deux catégories de personnes sont, en principe, privées de toute aptitude à succéder :

Les personnes futures, c'est-à-dire les personnes qui n'existeront qu'après l'ouverture de la succession ; ainsi lorsqu'une personne décède sans descendant, laissant des collatéraux privilégiés et ses parents, un frère posthume, non conçu à l'ouverture de la succession, ne pourra venir à celle-ci.

Les personnes déjà mortes au moment où s'ouvre la succession ; sous réserve du jeu de la représentation successorale qui permettra, dans certains cas, à leurs descendants de venir à la succession en leur lieu et place (infra, nos 102 s.), ces personnes, alors même qu'elles auraient été en rang utile pour venir à la succession, ne pourront y prétendre.

Le problème est néanmoins plus complexe qu'il n'y paraît. Dans l'une et l'autre situations, des hypothèses limite peuvent se rencontrer qui obligent à préciser les bornes exactes de l'aptitude à hériter.

Ainsi, s'agissant des personnes futures, qu'en est-il de la personne conçue mais non encore née au jour de l'ouverture de la succession ? Peut-elle venir à la succession ?

Ainsi, s'agissant des personnes déjà mortes, qu'en est-il des personnes qui sont absentes au jour de l'ouverture de la succession ou qui sont décédées dans le même événement que le de cujus ? Seront-elles prises en compte pour la dévolution de la succession ?

Après avoir envisagé ces questions, on traitera de quelques hypothèses particulières ayant trait aux personnes morales et aux étrangers.

A. Les personnes futures

Principe et exceptions ◊ Le principe est clair : les personnes qui n'existent pas encore au jour de l'ouverture de la succession ne peuvent venir à celle-ci. Encore faut-il savoir si l'existence commence, au sens du droit des successions, à la conception ou à la naissance. On va voir que la personne simplement conçu succède. Par souci d'égalité, les lois du 3 décembre 2001 et du 23 juin 2006 ont néanmoins apporté à ce principe un tempérament.

1° Principe : l'enfant conçu succède ◊ La personne, venant en rang utile pour succéder, qui est née postérieurement à l'ouverture de la succession mais qui a été conçue avant cette date, est-elle apte à hériter ? La réponse est positive : il n'est pas nécessaire d'avoir vu le jour pour hériter. La solution résulte de l'article 725 du Code civil, qui la subordonne à une condition ; il faut que l'intéressé soit ensuite né viable 212. Elle illustre l'adage Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur 213 : l'enfant conçu est considéré comme né chaque fois qu'il y va de son intérêt 214. En d'autres termes, l'enfant posthume est capable – au sens de capacité de jouissance– d'hériter 215. La règle s'applique aussi aux donations (C. civ., art. 906, al. 1) et aux legs (C. civ., art. 906, al. 2).

Encore faut-il, en cas de naissance postérieure au décès, rapporter la preuve que la conception lui est antérieure. La preuve de la naissance résultant normalement de l'acte de naissance, il s'agit de calculer par rapport à cet événement dans quelle mesure il est possible de faire remonter la conception de l'enfant avant le décès du de cujus. Malgré les réticences d'une partie de la doctrine, la jurisprudence a décidé d'appliquer ici, sans restriction, les présomptions légales relatives à la durée de la gestation et à la date de la conception. La première répute l'enfant conçu entre le 300e et le 180e jour avant la naissance (C. civ., art. 311, al. 1). La seconde permet de placer la date de la conception, à un moment quelconque dans la période comprise entre le 300e et le 180e jour, selon l'intérêt de l'enfant (C. civ., art. 311, al. 2) ; on la dénomme pour cette raison la présomption omni meliore momento. Revêtant un caractère simple, ces présomptions peuvent être combattues par la preuve contraire (C. civ., art. 311, al. 3).

 

Exemple : Soit un de cujus qui laisse pour lui succéder ses père et mère, un frère jumeau et un frère posthume né 285 jours après son décès. L'intérêt du frère posthume porte à situer sa conception au moins 286 jours avant sa naissance, afin qu'il puisse hériter. Mais, s'il apparaît que ce frère posthume est né prématuré, ceux qui ont intérêt à l'exclure de la succession pourront apporter la preuve que la conception est postérieure à l'ouverture de la succession.

 

En cas d'adoption posthume, l'enfant placé en vue de l'adoption, mais dont la requête en adoption n'a pas été déposée au jour du décès, ne peut, même si l'adoption est prononcée par la suite, être assimilé pour succéder à l'enfant conçu (infra, n° 144).

L'enfant qui n'est pas né viable ne succède pas ◊ Si, dès sa conception, l'être humain peut acquérir des droits, donc être doté de la personnalité juridique dès lors que tel est son intérêt, la naissance demeure néanmoins un moment essentiel. C'est, en effet, à cet instant qu'il convient de se placer pour savoir si l'enfant est né vivant et viable ; on entend par là non seulement que l'enfant a vécu mais qu'il était conformé de manière à pouvoir vivre de façon autonome, car il était pourvu des organes essentiels à la vie 216. Dans l'affirmative, il est doté de la personnalité juridique et hérite. Dans la négative, c'est-à-dire si l'enfant est mort-né 217 ou est né vivant mais non viable 218, il ne peut hériter car il est dépourvu d'existence juridique (C. civ., art. 725, al. 1). Une règle similaire est posée pour les libéralités à l'article 906, al. 3 du Code civil.

 

Au premier abord, on peut s'interroger sur l'utilité du point de savoir si un enfant qui est mort peu de temps après sa naissance était ou non viable. Quel intérêt à le compter parmi les héritiers, puisqu'il ne profitera pas en tout état de cause de la succession qui lui est échue ? Mais selon que cet enfant sera ou non compté parmi les héritiers, la dévolution peut être assez différente. Supposons des concubins ayant déjà un enfant commun ; la femme décède en mettant au monde un second enfant, lequel décède lui-même quelques heures plus tard. Si le second enfant est né non viable, il ne vient pas à la succession ; tout le patrimoine de la femme ira au premier enfant. Si le second enfant est né viable, il existe juridiquement au moment du décès de sa mère et hérite. La succession de celle-ci se partage par moitié entre ses deux enfants. Le second enfant étant lui-même décédé peu de temps après, sa succession s'ouvre à son tour. Elle va se partager entre son père qui en recueillera ¼ et son frère qui en recueillera les ¾ (infra, n° 145).

Procréations médicalement assistées ◊ En cas d'enfant conçu au moyen de l'implantation d'un embryon ou d'une insémination post mortem, sans recours à un tiers donneur, la question de sa vocation successorale se pose en termes originaux. Certes, ces situations ne devraient plus se rencontrer que très rarement en droit français des successions dans la mesure où la loi du 29 juillet 1994 a posé que l'assistance médicale à la procréation « est destinée à répondre à la demande d'un couple dont les membres doivent être vivants » (CSP, art. L. 152-2) 219. Mais l'interdit peut être transgressé et l'on ne saurait exclure l'hypothèse d'enfants, ainsi conçus à l'étranger, qui seraient appelés à une succession relevant du droit français.

L'enfant conçu, postérieurement au décès de son père, par implantation d'un embryon congelé peut-il venir à la succession de celui-ci ? La réponse dépend du point de savoir si l'on considère que sa conception remonte à la fécondation de l'ovule ou à l'implantation de l'embryon. Conçu au jour du décès et pouvant donc venir à la succession dans le premier cas, l'enfant sera exclu dans le second. D'un point de vue strictement successoral, la première analyse est source d'une grave insécurité juridique dans la mesure où elle peut conduire à la remise en cause d'un partage déjà réalisé (infra, n° 1135). Les quelques décisions rendues par les juges du fond antérieurement à la loi du 29 juillet 1994 ont retenu des solutions d'inspiration contradictoire 220. La doctrine est partagée 221.

Toute hésitation est, en revanche, écartée dans l'hypothèse de l'enfant conçu par insémination post mortem. Celui-ci ne saurait venir à la succession puisqu'il n'était pas conçu au moment de l'ouverture de celle-ci 222.

2° Exceptions : le représenté renonçant ou indigne a un nouvel enfant ◊ On verra plus loin que lorsqu'une personne décède laissant plusieurs enfants dont l'un est prédécédé laissant lui-même des descendants, ceux-ci peuvent venir à la succession de leur aïeul par représentation de leur auteur prédécédé (infra, nos 102 s.). Les lois du 3 décembre 2001 et du 23 juin 2006 ont étendu cette possibilité de représentation au cas où l'enfant placé dans une situation intermédiaire n'est pas prédécédé mais est vivant et a été déclaré indigne ou a renoncé à la succession du de cujus. D'où un problème nouveau. Que faire lorsque l'indigne ou le renonçant a eu postérieurement un autre enfant ? A priori, la réponse est simple : ce nouvel enfant n'existant pas au moment où s'est ouverte la succession de son aïeul ne peut venir à la succession de celui-ci. Mais, dans un souci d'égalité, le législateur a entrepris de contourner cette règle, au moyen d'un mécanisme de rattrapage assez complexe. L'article 754, alinéa 2 prévoit, en effet, que « les enfants du renonçant conçus avant l'ouverture de la succession dont le renonçant (ou l'indigne) a été exclu rapportent à la succession de ce dernier les biens dont ils ont hérité en son lieu et place, s'ils viennent en concours avec d'autres enfants conçus après l'ouverture de la succession ». Et l'article 755, alinéa 2 étend le bénéfice de cette disposition aux enfants de l'indigne. Autrement dit, lorsque le renonçant ou l'indigne décédera à son tour, ses enfants qui ont recueilli des biens dans la succession de leur aïeul, par représentation de leur auteur indigne ou prédécédé, devront les rapporter à la succession de celui-ci afin qu'ils soient repartagés avec les enfants nés postérieurement. Ce rapport s'effectue conformément aux règles qui gouvernent le rapport des libéralités (infra, n° 1053).

 

Exemple : Soit un de cujus X qui laisse deux enfants A et B. B renonce à la succession laissant lui-même deux enfants b1 et b2 ; ceux-ci viendront à la succession de X par représentation de leur auteur renonçant. Mais, au cas où B aurait ultérieurement un autre enfant b3, b1 et b2 devront rapporter à la succession de B, lorsqu'elle s'ouvrira, les biens recueillis dans la succession de X afin qu'ils soient repartagés entre b1, b2 et b3.

 

La règle est susceptible de s'appliquer dans tous les cas où joue la représentation, c'est-à-dire pour les successions en ligne directe, mais aussi pour les collatéraux privilégiés (infra, n° 104-2).

On veut ainsi assurer une égalité entre tous les enfants de l'indigne ou du renonçant. À cet effet, la représentation est utilisée pour neutraliser l'ordre des naissances et non plus seulement comme par le passé l'ordre des décès 223. De manière sous-jacente, cette règle traduit l'idée « qu'il existerait un droit à l'héritage », en sorte que « toute personne unie au de cujus par un même lien de parenté devrait pareillement venir à la succession », alors même que cette personne n'existerait pas lorsque cette succession s'ouvre 224. Une telle approche est en rupture complète avec la conception traditionnelle du droit des successions, lequel repose non sur la considération de l'intérêt personnel de l'héritier mais sur des impératifs familiaux et économiques (supra, n° 31) 225.

B. Les personnes déjà mortes

Le prédécédé ◊ Mettant fin à la personnalité, le décès prive celui qu'il frappe de son aptitude à hériter. Ainsi le hasard de la mort empêche-t-il l'héritier présomptif de devenir l'héritier réel. L'héritier prédécédé n'est toutefois pas évacué totalement du circuit successoral en cas de représentation successorale (infra, nos 102 s.).

L'absent ◊ L'absent est celui dont l'existence est douteuse et ne peut donc par hypothèse être prouvée. L'absent, en rang utile pour venir à la succession, peut-il hériter ?

La réponse a varié au cours du temps.

 

Les rédacteurs du Code civil avaient posé en règle que « quiconque réclamera un droit échu dont l'existence ne sera pas reconnue, devra prouver que ledit individu existait quand le droit a été ouvert : jusqu'à cette preuve il sera déclaré non recevable dans sa demande » (C. civ., anc. art. 135). Il en était déduit que « s'il s'ouvre une succession à laquelle soit appelé un individu dont l'existence » n'est pas reconnue, elle sera dévolue exactement à ceux avec lesquels il aurait eu le droit de concourir, ou à ceux qui l'auraient recueillie à son défaut » (C. civ., anc. art. 136). C'est dire que l'absent était exclu sans distinction « entre le cas de l'absence déclarée et celui de l'absence présumée » 226.

 

Depuis la réforme opérée par la loi du 28 décembre 1977, la solution est, au contraire, commandée par la distinction entre l'absence présumée et l'absence déclarée.

La personne présumée absente est réputée toujours vivante. En conséquence, elle existe juridiquement et peut donc hériter (C. civ., art. 725, al. 2) 227. Ses droits successoraux seront exercés par son représentant (C. civ., art. 113). Les droits acquis sans fraude, sur le fondement de la présomption d'absence, ne sont pas remis en cause lorsque le décès de l'absent vient à être établi ou judiciairement déclaré, quelle que soit la date retenue pour le décès (C. civ., art. 119).

Une fois transcrit le jugement déclaratif d'absence, l'absent est tenu pour mort (C. civ., art. 128). En conséquence, il ne peut plus hériter. Les successions ouvertes postérieurement à cette date seront dévolues à ses cohéritiers ou aux héritiers de rang suivant, sans qu'il puisse y prétendre. Les biens dont l'absent a pu hériter durant la période de présomption d'absence feront partie de sa succession.

Les comourants ◊ On désigne par ce mot l'hypothèse où plusieurs personnes, qui avaient vocation à hériter les unes des autres, sont mortes dans un même événement – catastrophe naturelle (séisme, inondation, cyclone, tsunami), accident de transport (catastrophe aérienne, naufrage), bombardement, suicide collectif… –, sans qu'on puisse déterminer l'ordre des décès. Selon la chronologie que l'on retiendra, la dévolution de la succession pourra s'opérer selon des modalités très différentes.

 

Supposons des époux XY ayant chacun pour toute parenté, le premier un frère x, le second une sœur y.

Si on considère que le mari X est mort le premier, sa femme Y hérite, car elle prime le frère de X (infra, n° 135). L'épouse Y étant, par définition, décédée peu de temps après, sa sœur recueillera son patrimoine augmenté de celui du mari.

Si on considère que la femme est morte la première, le résultat sera exactement inverse : le patrimoine de X augmenté de celui de son épouse Y échoira au frère x.

Si on considère que les deux époux sont décédés exactement au même instant, aucun n'a survécu à l'autre. En conséquence, on devrait procéder à la dévolution de la succession en faisant abstraction du conjoint : la succession de X est recueillie par son frère x, la succession de Y par sa sœur y.

 

On le voit deux démarches sont possibles pour résoudre cette difficulté, soit établir même artificiellement un ordre des décès entre les comourants, soit procéder à la dévolution de chaque succession en faisant abstraction de l'autre comourant. Les rédacteurs du Code civil avaient privilégié la première démarche, ceux de la loi du 3 décembre 2001 ont donné la préférence à la seconde.

 

1) Le Code civil de 1804 : les présomptions de survie. La question était réglée à l'ancien article 720 du Code civil. Il y était prévu que, pour déterminer l'héritier qui avait survécu à l'autre, il fallait avoir égard aux « circonstances de fait », ce qui est normal, et en l'absence de celles-ci « à la force de l'âge et du sexe ». Redoutant probablement que pareille force donne lieu à d'infinies discussions, les rédacteurs du Code civil avaient posé aux articles 721 et 722 des présomptions. L'article 721 édictait une présomption fondée sur l'âge. Si les deux personnes avaient moins de quinze ans, le plus âgé était censé avoir survécu ; si les deux avaient plus de soixante ans, le plus jeune était censé avoir survécu ; si l'une avait moins de quinze ans et l'autre plus de soixante ans, le plus jeune était censé avoir survécu ; si les deux avaient entre quinze et soixante ans, le plus jeune était censé avoir survécu. À égalité d'âge et en cas de différence de sexe, l'article 722 prévoyait que le « mâle » était présumé avoir survécu.

Ces règles étaient vivement critiquées 228 en raison de leur caractère incomplet – que faire par exemple lorsque l'un des héritiers a moins de quinze ans et l'autre entre quinze et soixante 229 ?– et artificiel, en sorte qu'il était, soulignait-on, plus approprié de parler à leur propos de fiction que de présomption 230. Aussi la jurisprudence avait-elle entrepris d'en cantonner strictement l'application. Elle entendait strictement l'exigence que les intéressés soient décédés dans un « même événement » 231. Les présomptions ne jouaient que si les comourants avaient une vocation légale héréditaire réciproque ; elles étaient donc écartées notamment en présence d'une vocation successorale testamentaire 232. Elles ne pouvaient non plus être utilisées pour régler la question des droits du bénéficiaire d'une assurance vie 233. Lorsqu'on se trouvait en présence d'un cas où les présomptions étaient inapplicables, la jurisprudence décidait que la succession de chaque comourant était dévolue en faisant abstraction de l'autre 234.

 

2) La loi du 3 décembre 2001. Elle a abrogé le système mis en place par le Code civil pour le remplacer par deux règles plus simples, la seconde étant assortie d'une exception.

En premier lieu, « lorsque deux personnes, dont l'une avait vocation à succéder à l'autre, périssent dans un même événement, l'ordre des décès est établi par tous moyens » (C. civ., art. 725-1, al. 1). Autrement dit, il convient d'abord de rechercher dans un tel cas s'il existe des circonstances de fait qui permettent de déterminer si l'un des comourants a survécu à l'autre 235. Dans l'affirmative, celui qui a survécu existe encore au moment où s'ouvre la succession de son comourant et est donc apte à en hériter.

En second lieu, « si cet ordre ne peut être déterminé, la succession de chacune d'elles est dévolue sans que l'autre y soit appelé » (C. civ., art. 725-1, al. 2). Autrement dit, lorsque la preuve de l'ordre des décès est impossible à rapporter, chaque succession va être dévolue comme si les comourants étaient morts exactement au même instant, en sorte que la dévolution de la succession de chaque comourant se fera en faisant abstraction de l'autre 236. C'est la solution qui avait été dégagée par la jurisprudence, lorsque les présomptions de survie ne pouvaient recevoir application.

Par exception à cette règle, l'article 725-1, alinéa 3 du Code civil dispose que « si l'un des codécédés laisse des descendants, ceux-ci peuvent représenter leur auteur dans la succession de l'autre lorsque la représentation est admise ». Il s'agit par cette disposition d'éviter que le jeu du mécanisme de la représentation successorale ne soit entravé parce que l'on serait conduit, en raison de la règle précédente, à faire abstraction d'un membre de la famille.

 

Exemple : Soit une personne X qui a deux enfants A et B, A ayant lui-même un enfant a. Si X et A décèdent dans un même événement sans que l'on puisse établir l'ordre des décès et qu'on fasse application de l'article 725-1 al. 2, la succession de X sera dévolue en totalité à B, car A étant réputé ne pas exister, son fils a ne peut venir à la succession de son grand-père par représentation de son père. Pour éviter un tel résultat, l'alinéa 3 de l'article 725-1 apporte une dérogation à cette règle et prévoit que dans cette hypothèse la représentation jouera.

 

Traditionnellement, le jeu de la théorie des comourants était subordonné par le Code civil à deux conditions : le fait de mourir dans un même événement, l'existence entre les comourants d'une vocation légale réciproque. En posant désormais que l'article 725-1 s'applique « lorsque deux personnes, dont l'une avait vocation à succéder à l'autre, périssent dans un même événement », il semble que le législateur ait assoupli la seconde condition : une vocation légale réciproque n'est plus, semble-t-il, requise ; il suffit que l'une ait vocation à hériter de l'autre. Comme par le passé, la règle ne paraît pas pouvoir s'appliquer aux successions testamentaires.

C. Situations particulières

Les personnes morales ◊ Si la dévolution du patrimoine des personnes morales dissoutes n'obéit pas aux règles du droit des successions (supra, n° 44), celles-ci peuvent, à certaines conditions, bénéficier de libéralités entre vifs ou à cause de mort (infra, nos 659 s.). Et si, en matière de succession ab intestat, leur vocation est réduite aux droits de l'État recueillant les successions en déshérence (infra, n° 199), ce n'est pas parce que les personnes morales, de droit privé ou de droit public, ne peuvent pas succéder ; c'est parce que, dans le cadre de la dévolution légale, on leur préfère les membres de la famille.

Les étrangers ◊ Sous l'Ancien droit, les étrangers – ou aubains– étaient frappés de l'incapacité de transmettre leurs biens à cause de mort ou d'hériter. Lorsqu'un étranger laissait une succession en France, le Roi exerçait sur elle son droit d'aubaine, mais l'on reconnaissait généralement à ses enfants régnicoles, c'est-à-dire habitants du royaume, le droit de lui succéder. Lorsque le de cujus était français et décédait en laissant une succession en France, l'enfant aubain concourait avec l'enfant français, mais les autres parents étrangers étaient écartés par les héritiers régnicoles, même lorsque ceux-ci étaient plus éloignés. On parlait au sujet de cette incapacité de succéder de droit d'aubaine.

Critiqué au siècle des lumières, le droit d'aubaine fut aboli en tant qu'incapacité de transmettre (décr. 6-18 août 1790), puis en tant qu'incapacité de succéder (décr. 8-15 avr. 1791). Mais l'exemple libéral et fraternel de la France n'ayant pas été suivi, l'on s'aperçut que ces mesures unilatérales favorisaient les étrangers mais ne profitaient pas aux Français exposés aux restrictions maintenues en cette matière par les autres droits, de sorte que les rédacteurs du Code civil rétablirent, dans une certaine mesure, les incapacités antérieures (C. civ., anc. art. 726 et 912).

Le désir d'attirer en France des capitaux étrangers a entraîné le vote de la loi du 14 juillet 1819, dont l'article 1er abrogeant les articles 726 et 912 du Code civil, a précisé qu'« en conséquence, les étrangers auront le droit de succéder, de disposer et de recevoir de la même manière que les Français dans toute l'étendue du royaume ».

L'égalité ainsi proclamée était de nature à entraîner, à propos d'une même succession, le concours d'héritiers français et d'héritiers étrangers, ce qui pouvait impliquer, en cas d'existence de biens dans divers pays, certaines discordances liées à la disparité des lois applicables. Sans doute était-il alors possible de laisser libre cours au jeu de la théorie des conflits de lois. Mais pour peu que les héritiers français aient été, par application de la loi étrangère, privés du droit à tout ou partie des biens relevant de la succession et n'aient donc pu prélever sur ces biens une part égale à celle que leur attribuait la loi française, il y avait un risque de disparité contre lequel les rédacteurs de la loi de 1819 ont voulu les prémunir en prévoyant que, « dans le cas de partage d'une même succession entre des cohéritiers étrangers et français, ceux-ci prélèveront sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales » (art. 2). Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a décidé le 5 août 2011 que cette disposition était contraire au principe constitutionnel d'égalité devant la loi 237.

La confiscation générale ◊ Elle a été supprimée par le nouveau Code pénal (supra, n° 45). À l'origine, elle frappait celui qui en était l'objet d'une incapacité de jouissance d'hériter, car elle emportait privation des biens présents et des biens à venir. Mais ultérieurement, le condamné à la confiscation générale ne fut plus privé que de ses biens présents (C. pén., anc. art. 37), ce qui lui permettait de recueillir une succession.

La religion ◊ Dans certains droits étrangers, il existe une incapacité de succéder fondée sur la religion : les personnes de religion différente n'héritent pas les unes des autres. Tel est le cas en droit musulman : alors même que l'intéressé serait par rapport au de cujus dans une situation de famille qui le placerait en rang utile pour succéder, le chrétien n'hérite pas du musulman et le musulman du chrétien 238. Lorsque les tribunaux français ont été confrontés à des dispositions de cette sorte parce que la règle française de conflit de lois leur donnait compétence, ils les ont écartées comme contraires à l'ordre public international français, au nom du principe de laïcité 239.

§ 2. Absence d'indignité

Fondement et domaine ◊ L'héritier dont le comportement a été indigne à l'égard du défunt est privé du droit d'hériter.

Au premier abord, on pourrait penser qu'il suffit de s'en remettre au de cujus pour régler cette difficulté : s'il estime que le comportement de l'héritier a été véritablement inadmissible à son égard, il peut l'exhéréder. Mais cette réponse est insuffisante : lorsque l'héritier indigne est réservataire, l'exhérédation ne vaudra que pour la quotité disponible ; lorsque le comportement indigne de l'héritier a eu pour conséquence la mort du de cujus, celui-ci n'a plus la ressource de l'exhéréder. Aussi le droit des successions prévoit-il divers cas où l'héritier qui s'est comporté de façon indigne est déchu de son droit.

À Rome et dans l'ancien droit, l'indignité reposait sur l'idée d'exhérédation tacite.

Différente a été l'approche retenue par les rédacteurs du Code civil. L'indignité successorale était conçue comme indépendante de la volonté du de cujus : il ne peut ni lui donner effet, ni en écarter les effets. Il s'agit d'une déchéance que le législateur attache à certains comportements de l'héritier. Les effets de cette peine profitant non à la collectivité mais aux autres héritiers, la doctrine l'analyse généralement en une peine privée 240 et la jurisprudence en une « peine civile » 241. La loi du 3 décembre 2001 qui a profondément réformé l'institution, jugée archaïque, en a, semble-t-il, modifié le fondement en opérant un retour vers l'idée d'exhérédation tacite. Le de cujus peut, en effet, désormais relever l'indigne de la sanction qui le frappe (C. civ., art. 728) 242.

En dépit de leur formulation très large, les articles 726 et suivants ne s'appliquent qu'aux successions légales. Lorsque le bénéficiaire d'une libéralité s'est conduit de façon inadmissible à l'égard du disposant ou du testateur, on a recours à une autre institution pour sanctionner son comportement : la révocation pour ingratitude (C. civ., art. 955 et 1046) (infra, nos 490 et 593) 243.

On envisagera successivement les cas d'indignité (A) puis la sanction qui y est attachée (B).

A. Les cas d'indignité

Présentation ◊ Désireux de réduire la liberté d'appréciation dont disposaient précédemment les juges en la matière, les rédacteurs du Code civil avaient prévu, limitativement, trois cas d'indignité (C. civ., anc. art. 727).

Était d'abord indigne de succéder, celui qui était condamné pour avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt. Si l'infraction tentée était assimilée à l'infraction réalisée, il convient de souligner que la seule infraction prise en compte était le meurtre, lequel requiert une intention homicide. Par conséquent, il n'y avait pas indignité en cas de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner 244. La complicité n'était pas non plus sanctionnée.

Était également indigne celui qui avait porté contre le défunt une accusation capitale jugée calomnieuse. L'hypothèse vise un comportement quelque peu machiavélique, celui de l'héritier qui, plutôt que d'assassiner lui-même le de cujus, cherchait à le faire condamner à mort et exécuter, en l'accusant d'un crime qu'il n'avait pas commis. Ce cas est un héritage de la révolution française : il n'était pas rare, à l'époque de la terreur, qu'un héritier présomptif accuse faussement celui dont il escomptait hériter, afin que la justice expéditive de l'époque hâte l'ouverture de la succession. Depuis l'abolition de la peine de mort, l'hypothèse ne pouvait plus se rencontrer et la jurisprudence refusait de l'étendre par analogie 245.

Était enfin indigne de succéder l'héritier majeur qui, instruit du meurtre du défunt, ne l'avait pas dénoncé à la justice.

L'archaïsme de ces cas, et pas seulement du deuxième, était dénoncé. On soulignait notamment que la règle de l'interprétation stricte appliquée au premier cas pouvait conduire à des résultats absurdes. C'est ainsi que l'héritier présomptif qui avait recours au service d'un tueur à gage pour hâter l'ouverture de la succession ne pouvait être déclaré indigne puisqu'il était complice et non auteur 246.

 

La loi du 3 décembre 2001 retient une définition plus large des cas d'indignité et prévoit deux sortes de cas d'indignité : l'indignité de plein droit et l'indignité facultative 247. Elle a assorti ceux-ci de dispositions transitoires particulières.

Les cas d'indignité de plein droit ◊ L'article 726 du Code civil dispose que « sont indignes de succéder et, comme tels, exclus de la succession :

Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ;

Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ou des voies de fait ayant entraîné la mort sans intention de la donner ».

On constate par rapport au droit antérieur une double extension : le complice est sanctionné comme l'auteur ; l'intention homicide n'est plus requise.

Pour que ces cas s'appliquent, il faut avoir été condamné à une peine criminelle, c'est-à-dire à au moins 10 ans de prison.

Les cas d'indignité facultative ◊ L'article 727 dispose que « peuvent être déclarés indignes de succéder :

Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ;

Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner ;

Celui qui est condamné pour témoignage mensonger porté contre le défunt dans une procédure criminelle ;

Celui qui est condamné pour s'être volontairement abstenu d'empêcher soit un crime soit un délit contre l'intégrité corporelle du défunt d'où il est résulté la mort, alors qu'il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers ;

Celui qui est condamné pour dénonciation calomnieuse contre le défunt lorsque, pour les faits énoncés, une peine criminelle est encourue. »

Le cinquième cas modernise le deuxième cas d'indignité prévu par l'ancien article 727 : l'exigence de la peine capitale, devenue obsolète, est remplacée par celle d'une peine criminelle.

Les troisième et quatrième cas qui visent respectivement le faux témoignage et la non-assistance à personne en danger sont des innovations de la loi du 3 décembre 2001.

Les premier et deuxième cas sont la reprise des cas visés au titre de l'indignité de plein droit – homicide volontaire, coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner– sanctionnés par une peine non plus criminelle mais correctionnelle : l'indignité devient alors facultative. À leur propos, le dernier alinéa de l'article 727 précise que pour les actes mentionnés au 1° et 2°, l'indignité peut être prononcée, alors même qu'aucune condamnation n'est intervenue parce que, du fait du décès de leur auteur, l'action publique n'a pu être exercée ou s'est éteinte. Cette disposition a été édictée en songeant au cas du forcené qui tue femme et enfants puis se suicide. Son décès faisant obstacle à l'exercice de l'action publique, il ne peut y avoir de condamnation pénale. Décédant en dernier, il a normalement vocation à hériter de sa femme, son patrimoine augmenté de celui de son épouse étant ensuite transmis à sa propre famille. Afin d'éviter ce résultat choquant, l'indignité pourra être prononcée, bien qu'aucune condamnation ne soit intervenue, ce qui aura pour effet que le patrimoine de la femme sera recueilli par la famille de celle-ci et non par celle du mari 248.

En revanche, aucune indignité n'est encourue lorsque le successible, auteur du meurtre du de cujus, a été déclaré irresponsable parce que privé de discernement (C. pén., art. 122-1) 249.

Dispositions transitoires ◊ La loi du 3 décembre 2001 édicte des dispositions transitoires particulières à l'indignité successorale. L'article 25 II, 3° énonce que « les causes de l'indignité successorale sont déterminées par la loi en vigueur au jour où les faits ont été commis ». Les faits commis antérieurement au 1er juillet 2002, date d'entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 2001, restent donc soumis à la loi ancienne, la succession se serait-elle ouverte postérieurement à cette date. Cette disposition confère néanmoins une portée rétroactive aux cas prévus à l'article 727, 1° et 5°, dans la mesure où la déclaration d'indignité devient, dans ces hypothèses, facultative, alors qu'elle était antérieurement obligatoire. C'est une application de la rétroactivité in mitius. Le bien-fondé d'une telle solution a été contesté pour l'article 727, 5°, le cas de dénonciation calomnieuse pour des faits passibles d'une peine criminelle n'existant pas antérieurement à 2001 250.

B. La sanction

Présentation ◊ L'héritier indigne est privé de ses droits successoraux. La privation qui le frappe porte exclusivement sur ses droits successoraux ab intestat : s'il a reçu des dons ou bénéficié de legs, c'est au titre de la révocation des libéralités pour ingratitude qu'il est éventuellement puni (infra, nos 490 et 593). Il importe de préciser comment cette sanction est mise en œuvre et quelle en est la portée exacte.

1° Mise en œuvre ◊ Elle s'opère de façon différente selon qu'on est en présence d'un cas d'indignité de plein droit ou d'un cas d'indignité facultative.

En cas d'indignité de plein droit, l'indignité est automatique, en ce sens qu'aucune décision de justice prononçant l'indignité n'est requise. Il suffit que l'héritier ait été condamné à une peine criminelle pour une des infractions visées au 1° et 2° de l'article 726 pour que l'indignité soit encourue. Encore faut-il qu'elle soit invoquée par ceux qui ont le droit de s'en prévaloir. Tel est le cas des cohéritiers de l'indigne, de ses héritiers subséquents et des légataires universel, à titre universel ou particulier 251. En revanche, les créanciers de ces personnes ne peuvent se voir reconnaître le droit d'invoquer l'indignité par la voie de l'action oblique, car il s'agit d'une action exclusivement attachée à la personne 252. En l'absence de successeur, le ministère public peut s'en prévaloir (arg. C. civ., art. 727-1, al. 2) 253.

En cas d'indignité facultative, une décision prononçant l'indignité est requise. Le tribunal apprécie si les condamnations intervenues justifient ou non, dans le cas d'espèce, le prononcé de l'indignité.

Les textes qui définissent les cas d'indignité étant d'interprétation stricte, comme tous ceux qui édictent des peines privées, « le juge n'a pas la faculté de prononcer la sanction de l'indignité successorale en raison de circonstances particulières non prévues par les textes » 254.

L'article 727-1 précise que « la déclaration d'indignité prévue à l'article 727 est prononcée après l'ouverture de la succession par le tribunal de grande instance à la demande d'un autre héritier. La demande doit être formée dans les six mois du décès si la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité est antérieure au décès, ou dans les six mois de cette décision si elle est postérieure au décès. En l'absence d'héritier, la demande peut être formée par le ministère public ».

L'héritier, bien que frappé d'une cause d'indignité facultative ou automatique, n'est pas exclu de la succession, lorsque le de cujus, postérieurement aux faits et en connaissance de ceux-ci, l'a rétabli dans ses droits héréditaires par une déclaration expresse en forme testamentaire ou lui a fait une libéralité universelle ou à titre universel (C. civ., art. 728).

2° Conséquences ◊ Elles sont au nombre de trois : peine personnelle, l'indignité a une portée relative et rétroactive.

 

1) L'indignité est une peine personnelle à son auteur et n'atteint pas ses héritiers. En raison du principe de la personnalité des peines, sa faute ne rejaillit pas sur ses proches ; il est seul à être écarté de la succession. S'il est seul à son rang, la succession sera recueillie par les héritiers de rang suivant. S'il est en concours avec des héritiers de même rang, sans qu'il y ait lieu à représentation successorale, sa part accroît celle de ses cohéritiers.

En cas de représentation successorale, la portée de l'indignité a soulevé des difficultés. Antérieurement à la loi du 3 décembre 2001, le principe de la personnalité des peines était, en cas de représentation, partiellement tenu en échec. Par interprétation a contrario de l'ancien article 730 du Code civil qui prévoyait que l'enfant de l'indigne n'était pas exclu de la succession par la faute de son père, dès lors qu'il venait à la succession de son propre chef et sans le secours de la représentation, on décidait que l'enfant de l'indigne ne pouvait pas venir, par représentation de son auteur, à la succession dont celui-ci avait été privé.

 

Exemple : Soit un de cujus X qui a deux enfants A et B, lequel a lui-même un enfant b. B est frappé d'indignité car il a assassiné X. b ne pouvant représenter son auteur indigne était exclu de la succession de X, laquelle bénéficiait en totalité à A.

 

La solution était très critiquée en ce qu'elle heurtait directement le principe de la personnalité des peines. La loi du 3 décembre 2001 a remédié à cette situation en introduisant dans le Code civil deux nouvelles dispositions, les articles 729-1 et 755. Désormais, l'indignité du représenté ne fait plus obstacle au jeu de la représentation successorale. Les enfants de l'indigne peuvent donc le représenter et recueillir la part qui lui était destinée.

Deux dispositions particulières viennent compléter et aménager le système ainsi mis en place.

En premier lieu, l'article 729-1 du Code civil prévoit que l'indigne ne peut, en aucun cas, réclamer, sur les biens de la succession dévolue à ses enfants par représentation, la jouissance que la loi accorde aux père et mère sur les biens de leurs enfants. On veut ainsi éviter que l'indigne ne profite indirectement, par le biais du droit de jouissance légale, des biens dont il a été privé.

En second lieu, l'article 755, al. 2 du Code civil prévoit que les enfants de l'indigne rapporteront à sa succession, lorsqu'il viendra à décéder, les biens qu'ils ont recueillis en ses lieu et place du fait de son indignité, s'ils viennent en concours avec d'autres enfants conçus après l'ouverture de la première succession. Il s'agit d'éviter que les enfants, qui ont été conçus par l'indigne après que s'est ouverte la succession par rapport à laquelle il a été déclaré indigne, supportent les conséquences de la faute de leur auteur (supra, n° 59 et infra, n° 105).

 

2) L'indignité a une portée relative. L'indigne est exclu uniquement d'une succession déterminée, celle du de cujus à l'égard duquel il s'est comporté de manière indigne. En d'autres termes, l'indignité ne concerne que la « relation successorale » existant entre l'héritier et le de cujus à l'égard duquel il a eu une conduite indigne. Elle n'affecte pas les autres successions auxquelles la loi peut l'appeler. Il pourra venir à la succession des autres membres de la famille, y compris celle de personnes qui auraient recueilli dans leur patrimoine des biens venant de la succession dont il avait été exclu.

 

Exemple : Supposons un couple marié ayant un fils. Le fils assassine son père. En raison de l'indignité qui le frappe, la succession sera recueillie par l'épouse. Lorsque celle-ci viendra à décéder, son fils en héritera, y compris les biens que celle-ci tenait de son mari et dont il avait été en principe exclu.

 

Il importe de préciser exactement la portée de cette règle en cas de représentation.

L'indigne peut venir à la succession d'un aïeul (1er ordre) ou d'un grand oncle (2e ordre) par représentation de celui de ses père et mère auquel il est indigne de succéder.

 

Exemple : Soit un père X qui a deux enfants A et B, lequel a lui-même un enfant b. b assassine son père B. En raison de l'indignité de b, la succession de B sera dévolue à son père X (1/4) et à son frère A (3 /4). Lorsque X viendra à décéder, b pourra venir à sa succession par représentation de son auteur prédécédé et recueillir ainsi des biens dont il avait été initialement privé. b est frappé d'indignité par rapport à son auteur B mais non par rapport à X.

 

On voit ainsi que l'indignité du représentant par rapport au représenté ne fait pas obstacle au jeu de la représentation. La relation successorale à prendre en compte est celle qui existe entre le petit-fils et le grand-parent ; or, il n'y a pas entre eux d'indignité. Fort logiquement, l'indignité ne bloque le jeu de la représentation que dans un cas, celui où le représentant est indigne par rapport au défunt.

 

Exemple : Soit un père X qui a deux enfants A et B. B est prédécédé mais il a un enfant b. Celui-ci assassine son aïeul X ; il ne pourra pas venir à la succession de X par représentation de B. Il est, en effet, indigne par rapport à celui dont la succession est ouverte.

 

3) L'indignité a une portée rétroactive. L'indigne perd rétroactivement la qualité d'héritier ; il est censé ne l'avoir jamais été.

 

Si l'héritier indigne n'est en possession d'aucun des biens composant la succession, l'indignité opère aisément. L'indigne ne prendra rien dans cette succession. Observons que s'il était, avant le décès, titulaire de droits réels sur les biens du de cujus (ex. : un usufruit, une hypothèque) ou de droits de créance contre celui-ci et que ses droits se soient éteints par consolidation ou confusion, cette extinction est anéantie rétroactivement de sorte que les droits, réels ou personnels, de l'indigne sont censés avoir toujours existé.

Si l'héritier s'est, dans l'intervalle séparant l'ouverture de la succession de la constatation de son indignité, mis en possession de tout ou partie de la succession, la situation est plus complexe.

Une obligation de restitution pèse alors sur lui. Cette obligation de restitution porte sur tous les biens dont il a pris possession ainsi que sur leurs accroissements 255 ; inversement il a droit au remboursement des dettes de la succession qu'il a acquittées 256. Considéré comme un possesseur de mauvaise foi dès l'ouverture de la succession, l'héritier exclu est « tenu de rendre tous les fruits et les revenus dont il a eu la jouissance depuis l'ouverture de la succession » (C. civ., art. 729).

Au cas où l'héritier indigne aurait aliéné certains biens de la succession ou consenti des droits réels sur ceux-ci, dans l'intervalle séparant l'ouverture de la succession de la constatation de l'indignité, ceux-ci sont en principe rétroactivement anéantis. Mais il pourra être fait application du tempérament de l'héritier apparent afin de protéger les droits des tiers (infra, n° 809) 257.