Petit dictionnaire de la fraude fiscale
Michel-Pierre Prat
Cyril Janvier
Dalloz
© Éditions Dalloz, 2011
SOMMAIRE
INTRODUCTION

Ampleur et enjeux

Banques et secret bancaire

Contrôle fiscal : l’examen de situation fiscale personnelle (ESFP)

Coopération internationale dans la lutte contre la fraude fiscale

Déclarations et contrôles les principales fraudes

Économie souterraine

États et territoires non coopératifs (ETNC) : les paradis fiscaux dans le droit français

Évasion fiscale

Fichiers et déontologie

Garanties du contribuable

Harmonisation fiscale

Informatique et fraude fiscale

Judiciarisation : l’enquête fiscale judiciaire

Lutte contre la fraude : la coopération entre services fiscaux et services de police

Motivations de la fraude fiscale

Nouvelles technologies et fraude fiscale

Optimisation fiscale

Organisations criminelles et fraude fiscale

Paradis fiscaux

Pouvoirs publics : les instances de contrôle, de coordination et de conseil

Prélèvement à la source

Redressements et pénalités : l’efficacité du contrôle fiscal

Sanctions de la fraude fiscale : principes et modalités de mise en œuvre

Secteurs à risques

Taxes et fraudes : TVA, CO2

Trafics, blanchiments et fraude fiscale : les outils de détection (Tracfin)

Transaction en matière fiscale

Typologie des fraudes et des fraudeurs

Union douanière : la fraude fiscale européenne

Vérification de comptabilité : modalités, finalités, portée et sanctions du contrôle fiscal des entreprises

PRINCIPAUX OUVRAGES, TEXTES ET RAPPORTS DE RÉFÉRENCE
GLOSSAIRE DES ACRONYMES UTILISÉS
INDEX DÉTAILLÉ
INTRODUCTION
Article XIII
Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés.
Article XIV
Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.
Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen de 1789
La fraude fiscale est une des plus importantes délinquances, à en juger par son ampleur. Le Conseil des prélèvements obligatoires, dans son rapport de 2007, en estime le montant entre 20 et 40 milliards d’euros. Son évaluation, de par son statut d’acte contrevenant à la loi et au règlement, est complexe. Les approches qui sont exposées dans les articles spécifiques de ce dictionnaire sont donc multiples.
Cependant, la fraude fiscale étant quantifiable, certaines hypothèses permettent d’en approcher les montants. De plus, celle-ci a des répercussions auprès des citoyens, les personnes physiques en étant les contributeurs ultimes.
En effet, les entreprises, quand elles-mêmes sont concernées, répercutent les sommes, qu’elles ont ou auraient dû acquitter au titre de leur fiscalité, sur leur prix de vente aux clients (personnes physiques), sur les actionnaires (qui finissent par s’avérer être des particuliers, sauf dans le cas spécifique de l’État actionnaire mais le processus est en voie de disparition), ou bien encore sur les salariés.
In fine, elle pèse sur tous les contribuables car elle impose à l’État d’accroître la pression fiscale pour compenser les manques à gagner qu’elle génère.
« La question des impôts est (...) tout sauf technique : il s’agit d’une question éminemment politique et philosophique, sans doute la première d’entre toutes. Sans impôts, il ne peut exister de destin commun et de capacité collective à agir. »
Camille Landais, Thomas Piketty,
Emmanuel Saes,
Pour une révolution fiscale.
La fraude fiscale peut, d’un point de vue éthique, philosophique, économique, s’apparenter, certes, à une rupture délibérée avec les valeurs républicaines de solidarité, fraternité, égalité. En effet, la collecte de l’impôt par l’État est principalement affectée à la mise en œuvre de politiques publiques pour l’éducation, la santé, l’emploi, la sécurité, la justice...
Frauder l’impôt, c’est priver l’État d’une partie de ses revenus, et donc l’empêcher, à pression fiscale constante, de répondre aux objectifs que les citoyens sont en droit d’attendre de leurs représentants démocratiquement élus.
Or, un consensus existe véritablement sur la nécessité de lutter contre la fraude, mais la complexité du système fiscal français, dont certaines dispositions datent de la Révolution, rend la tache des contrôleurs éminemment ardue.
En effet, de par la multitude de ses statuts, de ses critères d’évaluation, de ses modes de calcul, de ses procédures, la fiscalité française est un domaine sophistiqué qui laisse des possibilités aux contrevenants de la détourner.
Les fraudeurs sont nombreux et utilisent de plus en plus des outils informatiques puissants, spécialement conçus pour dissimuler des recettes. De même, les nouvelles technologies de l’information et de la communication comme Internet permettent même à de simples particuliers d’être en infraction (combien de vendeurs sur les sites de ventes aux enchères déclarent réellement le montant de leurs bénéfices aux services fiscaux ?). La fraude fiscale est souvent le corollaire d’infractions autres : travail dissimulé, trafics de stupéfiants...
Des moyens de détection existent, mais ne sont efficaces que si une réelle coopération entre les services administratifs de différents ministères est opérationnelle.
Par exemple, les services des impôts ont dû s’adjoindre des compétences policières pour mener à terme des enquêtes fiscales d’envergure qui avaient des ramifications délictuelles. Quant à eux, les policiers peuvent faire appel à des spécialistes du droit fiscal pour appréhender toutes les données d’une affaire pénale. Rappelons qu’Al Capone fut condamné pour fraude fiscale, la police ne parvenant pas à étayer les soupçons qu’elle nourrissait sur ses activités criminelles.
Il est à noter qu’une des conclusions du Conseil des prélèvements obligatoires est que le montant des impôts et cotisations échappant frauduleusement aux services chargés du recouvrement correspondent quasiment au montant total de l’impôt sur le revenu, qui est l’impôt le plus symbolique.
Pour autant, rien ne laisse entrevoir qu’une lutte efficace contre la fraude fiscale permettrait de recouvrer l’intégralité de ces 40 milliards.
S’il devenait impossible de frauder le système national, le risque d’une évasion fiscale « physique » persisterait : évasion qui verrait les bases d’imposition quitter le pays, pour s’établir sous des cieux fiscalement plus cléments.
Il existe, aux côtés de pays ouvertement déclarés paradis fiscaux internationaux, d’autres paradis de proximité qui servent d’échappatoire aux pays limitrophes quand leur pression fiscale est trop forte, évitant ainsi la disparition totale des bases fiscales. Certains responsables politiques français peuvent alors préférer que d’importantes fortunes expatrient une partie de leurs revenus sur les berges du Lac Léman, plutôt que de les voir quitter définitivement le pays et s’établir à l’étranger, en vendant tous leurs biens et en ne déclarant plus aucun revenu, supprimant par là même une base taxable qui reste non négligeable.
La lutte contre la fraude fiscale ne saurait donc rester exclusivement nationale. La France fait partie de l’Union européenne, et à ce titre, partage avec la plupart des pays membres, une monnaie commune. Elle est par ailleurs au cœur du mouvement de mondialisation, ce qui lui procure des inconvénients mais aussi des avantages indéniables.
Une concertation s’impose alors pour la recherche d’une plus grande efficacité. Elle est quelquefois embryonnaire, parfois plus structurée, mais sans aucun doute insuffisante. En exemple, le montant des fraudes à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), ou aux quotas de dioxyde de carbone, représente plusieurs milliards d’euros ; dix pour cent des sommes dues au titre de la TVA communautaire sont fraudés !
Certes, la coopération s’organise, mais elle rencontre de nombreuses difficultés. Des questions d’organisation et de compétences réciproques se posent. Si des accords internationaux sont indispensables, ils viennent souvent alourdir une procédure qui pourrait pourtant être efficace si elle était mise en œuvre rapidement.
La lutte contre la fraude fiscale fait appel à des notions d’importance comme la mondialisation, les zones de non-droit, la coopération internationale ou la coopération entre services administratifs
Un tel sujet, s’il doit être abordé de façon raisonnée et citoyenne, ne peut se satisfaire de concepts approximatifs. Nous avons donc souhaité le présenter, sous la forme d’un abécédaire où les termes essentiels à une meilleure maîtrise de cette question complexe y sont explicités. L’étudiant y trouvera le matériau de base avant de se tourner vers des ouvrages plus spécialisés, les professionnels pourront s’y référer et tout citoyen contribuable y trouvera les définitions pour parfaire sa compréhension de ce qui constitue un enjeu majeur de la fiscalité française.
Michel-Pierre Prat
Cyril Janvier
Pour faciliter au lecteur le repérage des liens entre les thèmes et définitions de ce dictionnaire, les mots auxquels il est fait référence dans une autre entrée sont suivis d’un astérisque* et figurent en italique.
Quand un terme concerné est répété dans un thème, l’astérisque ne suit que la première occurrence.
Les principaux ouvrages, textes et rapports de référence sont cités en fin d’ouvrage.
A
Mesurer la fraude fiscale : pourquoi ?
L’ampleur de la fraude fiscale est par définition difficile à estimer, puisque les fraudeurs dissimulent leur activité autant que leurs revenus, et ne répondent évidemment pas aux éventuelles enquêtes statistiques qui porteraient sur la dissimulation au fisc...
Pour autant, les contrôles effectués par les services fiscaux peuvent, par extrapolation de l’échantillon, permettre d’appréhender le phénomène. Cette méthode présente cependant un biais notable : les contrôles ne sont que rarement diligentés au hasard, et les services concernés tiennent compte dans la programmation de leurs travaux d’un faisceau d’indices qui les orientent vers les entreprises ou les secteurs à risques. Le contrôle est d’autant plus efficace que les services procèdent par exemple sur dénonciation, et le risque statistique serait grand d’élargir le résultat des contrôles à l’ensemble des acteurs.
Il est pourtant nécessaire d’avoir une idée précise de l’ampleur de la fraude, au moins pour envisager les politiques de lutte afférentes, et pour mesurer leur efficacité. Peu importe d’ailleurs que la méthode d’évaluation présente des limites, si elle permet de mesurer l’évolution du phénomène de fraude : l’intérêt est de savoir si la fraude progresse ou si la politique de lutte est efficace, plutôt que de connaître le montant exact qui échappe au fisc.
Enfin, une approche affinée de la fraude, par secteurs ou régions concernés, permettrait de rendre plus efficaces les politiques locales de lutte, en orientant mieux les contrôles.
Mesure de la fraude : portée et limites des approches traditionnelles
Les méthodes habituelles d’évaluation de la fraude fiscale, dites « méthodes directes d’évaluation » pratiquent par extrapolation de données connues, en provenance de l’administration fiscale notamment. Quatre méthodes couramment utilisées coexistent, qui présentent certaines limites. Dans son rapport annuel de mars 2007 consacré à la lutte contre la fraude sociale et fiscale, le Conseil* des prélèvements obligatoires a développé une méthodologie propre d’analyse, qui fournit les derniers chiffres disponibles en la matière.
Il est tout d’abord possible d’estimer la fraude fiscale en procédant par enquêtes. Des questionnaires sont adressés à une population représentative. S’ils peuvent, en théorie, apporter une information fine, en étant suffisamment détaillés, ils restent cependant soumis aux limites classiques des questionnaires : le taux de non-réponses est élevé, et le sondé n’est pas forcément honnête dans ses réponses.
Le refus de répondre ou de coopérer est nettement plus marqué dans toutes les enquêtes qui portent sur un comportement répréhensible ou illégal. Ainsi, le biais est tel que les enquêtes sur la fraude ne sont peut-être pertinentes que si elles ne s’adressent qu’aux contribuables fraudeurs identifiés, qui en outre accepteraient de répondre honnêtement...
Une deuxième méthode d’approche directe consiste à extrapoler les résultats des contrôles fiscaux. À partir de l’échantillon
contrôlé, et compte tenu des fraudes identifiées, il est possible d’estimer une fraude théorique nationale, et les coûts associés.
Mais pour être efficace, cette méthode exige un retraitement très fin des contrôles. Ceux-ci ne sont en effet pas diligentés au hasard, mais sont orientés vers certaines catégories de contribuables identifiées comme proportionnellement plus fraudeuses, ou peuvent résulter de dénonciations par exemple. Il conviendrait donc de retraiter les résultats des contrôles fiscaux, pour tenir compte de la sur-représentation a priori de fraudeurs dans l’échantillon, ce qui paraît difficile.
Enfin, les contrôles fiscaux ne prennent pas en compte les fraudeurs qui ont organisé une totale invisibilité fiscale, et qui sont les plus gros contributeurs à la fraude globale.
Une autre approche est liée à l’observation des anomalies statistiques dans les comptes nationaux. Il est possible, à partir des comptes nationaux, d’estimer la part des différents impôts et taxes qui devraient revenir à l’État. Tout écart par rapport à cette norme statistique pourrait s’analyser comme ressortant de la fraude.
Cette méthode est intellectuellement séduisante, et performante, dès lors que le pays concerné dispose d’un système comptable d’une qualité suffisante. Elle a cependant l’inconvénient de son caractère global : tous les écarts entre les sommes théoriquement dues et les montants réellement versés ne sont pas liés à la fraude. D’autres paramètres interviennent, dont notamment les erreurs de bonne foi. En outre, si les montants globaux sont correctement approchés, l’analyse n’est pas suffisamment fine pour mettre en évidence les mécanismes de fraude, ce qui ne contribue pas à la lutte contre le phénomène.
Cette méthode est utilisée pour estimer les fraudes à la TVA notamment. L’INSEE évalue dans la base 2000 cet écart à 8,1 milliards d’euros.
La quatrième méthode est celle retenue par l’INSEE, qui combine une approche assise sur les résultats des contrôles fiscaux et sur l’analyse des écarts.
Dans le cadre de ses travaux de comptabilité nationale, l’INSEE est amené à corriger les biais et approximations dus à la fraude fiscale sur les estimations des productions et valeurs ajoutées des secteurs marchands non agricoles et non financiers.
Trois types de fraudes sont analysés à cette fin :
– les dissimulations de recettes des entreprises régulièrement enregistrées,
– l’écart entre la TVA théorique calculée dans les comptes nationaux et le montant réellement perçu par les services fiscaux,
– la production non déclarée (travail « au noir »).
Cette dernière méthode d’approche directe, si elle est la plus robuste, est cependant limitée dans son essence même : son objectif premier est bien de fiabiliser les données de la comptabilité nationale. Elle permet d’appréhender le manque de recettes fiscales, mais en ne prenant comme base que le chiffre d’affaires. L’estimation de la fraude à la TVA qui en découle est satisfaisante. Mais elle ne saurait évaluer d’autres impôts fraudés, qui résulteraient d’une majoration irrégulière des recettes pour minorer l’impôt sur les sociétés par exemple.
L’analyse du Conseil des prélèvements obligatoires
Dans son rapport de mars 2007 relatif à la fraude aux prélèvements obligatoires et à son contrôle, le Conseil* des prélèvements obligatoires propose une fourchette d’irrégularité et de fraude comprise entre 29 et 40 milliards d’euros.
La méthode retenue par le Conseil des prélèvements obligatoires part des travaux réalisés par la direction générale des impôts, fondés sur une approche statistique directe. Le Conseil insiste sur le caractère estimatif des chiffres qu’il propose : « le résultat fourni (...) n’est (...) qu’une première estimation qui ne demande qu’à être affinée et même contestée par des travaux ultérieurs d’ampleur plus importante ».
La préoccupation essentielle du Conseil consiste à limiter le biais dû aux ciblages des contrôles. Dans la mesure, en effet, où les services fiscaux orientent leurs contrôles vers les secteurs ou les types de contribuables a priori plus susceptibles de frauder, le taux de fraude extrapolé des données des contrôles doit être retraité pour être appliqué à l’ensemble de la population.
Les services fiscaux – et sociaux car le Conseil des prélèvements obligatoires s’intéresse également à la fraude aux cotisations sociales – retiennent le critère de la taille de l’entreprise comme essentiel pour l’appréciation du risque de fraude. Les entreprises fraudent – statistiquement – d’autant plus qu’elles sont importantes. La probabilité qu’une entreprise contrôlée soit redressée croît donc avec sa taille : 44 % pour les très petites entreprises (TPE), 72 % pour les petites et moyennes entreprises (PME) et 88 % pour les grandes entreprises.
D’autres critères entrent en jeu pour estimer le risque de fraude d’une entreprise, dont notamment le secteur d’activité, la structure de l’entreprise et de son actionnariat. Pour autant, le fait de répartir les entreprises en classes dites « homogènes » par le Conseil des prélèvements obligatoires, puis d’estimer la fraude à partir des résultats extrapolés de chaque strate ainsi définie, limite le biais dû au ciblage des contrôles.
Cette méthode, qui a permis au Conseil des prélèvements obligatoires de donner une estimation de la fraude tout en contenant la durée de ses investigations, ne prend toutefois qu’imparfaitement en compte les irrégularités liées à une dissimulation totale d’activité, dans la mesure où l’entreprise invisible ne peut être incluse dans une des catégories connues.
Au terme de ses estimations, le Conseil indique un montant global d’irrégularité et de fraude compris entre 29 et 40 milliards d’euros, soit 1,7 à 2,3 % du produit intérieur brut. Ces chiffres concernent la fraude fiscale, mais également sociale (voir tableau, infra, page 10).
En raison de la méthode retenue, ce tableau mentionne les montants de prélèvements éludés, compte non tenu des activités dissimulées. À cet égard, les chiffres présentés seraient plutôt minorés.
Toutefois, dans la mesure où le chiffrage part des redressements, il agrège les fraudes avérées, mais également les irrégularités commises en toute bonne foi. Les deux motifs de redressements ne sont en effet pas clairement distingués dans les chiffres des services fiscaux, et la frontière entre les deux est très floue et tient largement à la bonne foi dont saurait faire preuve le chef d’entreprise.
Mesures et ampleur de la fraude fiscale : comparaisons internationales
Les administrations fiscales étrangères ont réalisé, ou financé, des analyses statistiques et macro-économiques beaucoup plus fouillées que celles qui sont disponibles en France.
L’INSEE évalue la fraude fiscale en redressant des données considérées comme erronées ou à tout le moins biaisées. Dans d’autres pays de l’OCDE, d’importants travaux de recherche ont été menés pour évaluer le respect volontaire, par les contribuables, de leurs obligations fiscales (la compliance de la littérature anglo-saxonne). A contrario, ces études permettent de mesurer la non-compliance, et donc d’évaluer précisément la fraude fiscale.
Le programme le plus ambitieux en la matière, et l’un des premiers, a été mené par les services fiscaux américains dans les années soixante. Il s’agit du Taxpayer compliance measurement program, dont les données étaient issues d’un tirage aléatoire, ce qui éliminait le biais qui consiste à évaluer la fraude à partir des redressements effectués sur les fraudeurs avérés. Ce programme pluri-annuel s’appuyait sur un échantillon de 100 000 dossiers la première année, puis 50 000 les années suivantes, et actualisait ses données à partir de 26 000 dossiers par an en vitesse de croisière. Il a ensuite été remplacé par un programme de recherche national (National Research Program) plus léger.
Cette initiative américaine a promu la notion de tax gap (différentiel fiscal), qui mesure l’écart entre les sommes recouvrées par l’administration fiscale et celles qu’elle aurait dû percevoir. Diffusé dans plusieurs États américains, ce concept a essaimé au Royaume-Uni, en Suède, au Canada, en Nouvelle-Zélande, mais aussi aux Philippines ou encore au Brésil.
La notion de gap a été adaptée par plusieurs pays européens pour mesurer l’écart entre la TVA théorique et la TVA perçue, cet enjeu étant bien plus important en termes financiers que la fraude à l’impôt sur les sociétés ou le revenu des particuliers. Le Royaume-Uni va plus loin puisqu’il mesure en outre un gap sur les crédits d’impôts en faveur des familles, ainsi que sur les taxes relatives aux tabacs et alcools.
Les définitions du champ de la fiscalité et les méthodes d’estimation de la fraude diffèrent trop d’un pays à l’autre pour que puissent être publiées des comparaisons internationales en la matière. À défaut de pouvoir mesurer la fraude fiscale dans les pays de l’OCDE, on peut approcher l’idée en comparant les redressements moyens effectués suite à contrôle. Ces chiffres permettent une approche comparative du civisme fiscal des citoyens concernés, dès lors que l’on considère que l’efficacité des services fiscaux est partout identique.
Pays
Nombre de contrôles
Montant des redressements par rapport aux recettes fiscales totales (en %)
Belgique
41 900
1,95
Canada
304 707
4,04
Danemark
216 710
3,39
France
51 964
3,04
Allemagne
499 551
4,46
Grèce
36 046
8,80
Italie
228 337
23,27
Pays-Bas
62 000
1,99
Nouvelle-Zélande
31 500
2,07
Royaume-Uni
439 349
0,69
Portugal
86 436
6,66
Espagne
801 352
4,13
Source : OCDE, « L’administration fiscale dans les pays de l’OCDE et dans certains pays hors OCDE », Informations comparatives, 2006.