Droit civil

Les régimes
matrimoniaux

Droit civil

Les régimes
matrimoniaux

7e édition

2015

François Terré

Professeur émérite de l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Philippe Simler

Professeur émérite de l'Université de Strasbourg
Doyen honoraire de la Faculté de droit, de sciences politiques
et de gestion de Strasbourg

© ÉDITIONS DALLOZ – 2015

Table des matières

 ABRÉVIATIONS
 INTRODUCTION
§ 1. Présentation
§ 2. Histoire
§ 3. Droit comparé
§ 4. Sociologie juridique
PREMIÈRE PARTIE RÈGLES GÉNÉRALES DES RÉGIMES MATRIMONIAUX
TITRE 1 LE RÉGIME MATRIMONIAL PRIMAIRE
Chapitre 1 LES MESURES DE COOPÉRATION
Section 1. LA CONTRIBUTION AUX CHARGES DU MARIAGE
§ 1. L'obligation de contribuer aux charges du mariage
A. Objet de la contribution
B. Analyse de l'obligation
C. Mesure de l'obligation
§ 2. Les effets de l'obligation
A. Modes d'exécution
B. Sanctions de l'inexécution
Section 2. LA PROTECTION DU LOGEMENT FAMILIAL
§ 1. Le domaine de la règle
A. Quant aux biens protégés
B. Quant aux actes soumis à l'exigence du consentement des deux époux
C. Quant au consentement exigé du conjoint
D. Quant à la durée de la protection
§ 2. La sanction de la règle
Section 3. LA REPRÉSENTATION ENTRE ÉPOUX
§ 1. Le mandat entre époux
§ 2. La présomption de mandat
§ 3. La gestion d'affaires
Chapitre 2 LES MESURES D'AUTONOMIE
Section 1. L'AUTONOMIE MÉNAGÈRE
§ 1. Le pouvoir légal de chaque époux
§ 2. La solidarité ménagère
Section 2. L'AUTONOMIE BANCAIRE
§ 1. L'ouverture des comptes de dépôt et de titres
§ 2. Le fonctionnement des comptes de dépôt et de titres
A. Domaine de la présomption
B. Force de la présomption
C. Durée de la présomption
Section 3. L'AUTONOMIE MOBILIÈRE
§ 1. Domaine de l'autonomie
A. Quant aux biens
B. Quant à la détention
C. Quant aux actes
§ 2. Portée de l'autonomie
A. Dans les rapports entre époux
B. À l'égard des tiers
Section 4. L'AUTONOMIE PROFESSIONNELLE
§ 1. Le conjoint professionnel
A. Le libre choix d'une profession
B. Les gains et salaires des époux
C. Les biens réservés
§ 2. Le conjoint du professionnel
A. Le conjoint de l'agriculteur
B. Le conjoint de l'artisan ou du commerçant
Section 5. L'AUTONOMIE PATRIMONIALE
Chapitre 3 LES MESURES DE CRISE
Section 1. LA REPRÉSENTATION JUDICIAIRE
§ 1. Domaine de la représentation judiciaire
A. Quant aux circonstances
B. Quant aux pouvoirs
§ 2. Mise en œuvre de la représentation judiciaire
Section 2. L'AUTORISATION JUDICIAIRE
§ 1. Domaine de l'autorisation judiciaire
§ 2. Mise en œuvre de l'autorisation judiciaire
Section 3. LES MESURES DE SAUVEGARDE
§ 1. Domaine des mesures
§ 2. Objet et caractères des mesures
§ 3. Mise en œuvre
TITRE 2 LA DÉTERMINATION DU RÉGIME MATRIMONIAL
Chapitre 1 LE CHOIX DU RÉGIME MATRIMONIAL
Section 1. LA LIBERTÉ DES CONVENTIONS MATRIMONIALES
§ 1. La notion de convention matrimoniale
A. Éléments de fond
B. Élément de forme
C. Caractère composite
§ 2. Conditions de fond
A. Consentement
B. Capacité
C. Objet
D. Date du contrat de mariage
§ 3. Conditions de forme
A. Formes du contrat de mariage
B. Publicité du contrat de mariage
§ 4. Les effets du contrat de mariage
A. Avant le mariage
B. Pendant le mariage
C. Après la dissolution du mariage
Section 2. L'APPLICATION DU RÉGIME LÉGAL
§ 1. L'unicité du régime légal
§ 2. Le fondement du régime légal
Chapitre 2 LE CHANGEMENT DE RÉGIME MATRIMONIAL
Section 1. LE CHANGEMENT ANTÉRIEUR AU MARIAGE
Section 2. LE CHANGEMENT OPÉRÉ PENDANT LE MARIAGE
§ 1. Évolution
A. Évolution de l'immutabilité
B. Recul du principe d'immutabilité
C. Portée de la mutabilité
§ 2. Le changement de régime
A. Conditions de fond
B. Conditions de forme
C. Effets du changement de régime matrimonial
Section 3. À LA DISSOLUTION DU MARIAGE
DEUXIÈME PARTIE LES RÉGIMES DE COMMUNAUTÉ
Titre 1 COMPOSITION DES MASSES
Sous-titre 1 COMMUNAUTÉ LÉGALE
Chapitre 1 RÉPARTITION DE L'ACTIF
Section 1. Actif commun
§ 1. Acquêts provenant de l'industrie personnelle des époux
A. Biens acquis avec les gains et salaires
B. Gains et salaires non employés
C. Biens directement créés par l'industrie des époux
§ 2. Acquêts provenant des fruits et revenus des propres
A. Biens acquis avec les fruits et revenus des propres
B. Fruits et revenus des biens propres
§ 3. Sources diverses de biens communs
§ 4. Incidence de la présomption d'acquêt
Section 2. ACTIF PROPRE
§ 1. Biens propres par leur origine
A. Biens appartenant aux époux au jour du mariage
B. Biens acquis pendant le mariage à titre gratuit
§ 2. Biens propres par nature
A. Biens ou droits expressément déclarés propres par leur nature
B. Application du principe général formulé par l'article 1404
§ 3. Biens propres par accessoire
A. Accessoires ou accroissements de propres
B. Parts indivises d'un bien dont l'un des époux était déjà indivisaire
§ 4. Biens propres par subrogation
A. Subrogation de plein droit
B. Emploi ou remploi de fonds propres
§ 5. Preuve des propres
Chapitre 2 RÉPARTITION DU PASSIF
Section préliminaire. PRINCIPES
A. Absence de symétrie entre actif et passif
B. Mécanismes régulateurs
C. Classification des dettes
Section 1. DETTES ANTÉRIEURES AU MARIAGE OU GREVANT LES SUCCESSIONS OU LIBÉRALITÉS
§ 1. Principe
§ 2. Exception : confusion du mobilier
Section 2. DETTES COMMUNES PAR NATURE : DETTES ALIMENTAIRES ET MÉNAGÈRES
§ 1. Dettes ménagères
A. Analyse des textes
B. Solutions
§ 2. Dettes d'aliments
Section 3. AUTRES DETTES
§ 1. Obligation aux dettes
A. Principe
B. Exceptions
§ 2. Contribution aux dettes
Sous-titre 2 COMMUNAUTÉS CONVENTIONNELLES
Chapitre 1 COMMUNAUTÉ DES MEUBLES ET ACQUÊTS
§ 1. Actif
§ 2. Passif
Chapitre 2 COMMUNAUTÉ UNIVERSELLE
§ 1. Actif
§ 2. Passif
Chapitre 3 CLAUSES DIVERSES RELATIVES À LA COMPOSITION DES MASSES DE BIENS
§ 1. Clauses concernant l'actif
§ 2. Clauses concernant le passif
Titre 2 GESTION DES BIENS
Sous-titre 1 COMMUNAUTÉ LÉGALE
Chapitre 1 GESTION DES BIENS COMMUNS
Section 1. NORMES LÉGALES PERMANENTES
§ 1. Principe de pouvoir concurrent
A. Actes à titre onéreux
B. Legs de biens communs
§ 2. Pouvoir exclusif
§ 3. Gestion conjointe
A. Actes de disposition entre vifs à titre gratuit (art. 1422, al. 1er)
B. Actes à titre onéreux
Section 2. CORRECTIFS JUDICIAIRES ET SANCTIONS
§ 1. Retraits ou transferts de pouvoirs
§ 2. Incidence d'une procédure collective
§ 3. Sanction des actes irrégulièrement passés
A. Excès de pouvoir
B. Fraude aux droits du conjoint
§ 4. Responsabilité pour fautes de gestion
Chapitre 2 GESTION DES BIENS PROPRES
Section 1. NORMES LÉGALES PERMANENTES
Section 2. INTERVENTION D'UN ÉPOUX DANS LA GESTION DES PROPRES DE L'AUTRE
Section 3. RETRAITS OU TRANSFERTS DES POUVOIRS
Sous-titre 2 AMÉNAGEMENTS CONVENTIONNELS DE LA GESTION DES BIENS
§ 1. Clauses autorisées
§ 2. Clauses prohibées
Titre 3 DISSOLUTION DE LA COMMUNAUTÉ
Chapitre 1 CAUSES DE DISSOLUTION
Section préliminaire. REPORT FACULTATIF DE LA DISSOLUTION EN CAS DE SÉPARATION DE FAIT
Section 1. MORT DE L'UN DES ÉPOUX
Section 2. ABSENCE
Section 3. DIVORCE
Section 4. SÉPARATION DE CORPS
Section 5. SÉPARATION DE BIENS JUDICIAIRE
§ 1. Mise en œuvre
A. Titulaires de l'action
B. Conditions de fond
C. Procédure
§ 2. Effets
Section 6. CHANGEMENT DE RÉGIME MATRIMONIAL
Chapitre 2 INDIVISION POSTCOMMUNAUTAIRE
Section 1. COMPOSITION DE LA MASSE INDIVISE
§ 1. Actif
§ 2. Passif
Section 2. GESTION DE L'INDIVISION
Section 3. DURÉE DE L'INDIVISION
Chapitre 3 LIQUIDATION DE LA COMMUNAUTÉ THÉORIE DES RÉCOMPENSES
Section 1. FONDEMENT ET CHAMP D'APPLICATION DE LA THÉORIE DES RÉCOMPENSES
§ 1. Fondement
§ 2. Champ d'application
Section 2. ÉTABLISSEMENT DU COMPTE DES RÉCOMPENSES
§ 1. Détermination des articles du compte
A. Récompenses dues par la communauté
B. Récompenses dues à la communauté
§ 2. Preuve des récompenses
§ 3. Évaluation des récompenses
A. Principe : double maximum
B. Première exception : dépenses nécessaires
C. Seconde exception : dépenses d'acquisition, de conservation ou d'amélioration
Section 3. CLÔTURE DU COMPTE ET RÈGLEMENT DES RÉCOMPENSES
§ 1. Clôture du compte
§ 2. Règlement des récompenses
Chapitre 4 PARTAGE DE LA COMMUNAUTÉ
Section 1. PARTAGE DE L'ACTIF
§ 1. Principes
§ 2. Formes du partage
§ 3. Composition des lots
§ 4. Effets du partage
Section 2. RÈGLEMENT DU PASSIF SUBSISTANT
§ 1. Obligation
A. Dettes purement personnelles
B. Dettes qui obligeaient la masse commune
§ 2. Contribution
A. Passif commun provisoire
B. Passif commun définitif
Chapitre 5 AMÉNAGEMENTS CONVENTIONNELS DE LA LIQUIDATION ET DU PARTAGE
Section 1. AMÉNAGEMENTS DU RÉGIME DES RÉCOMPENSES (ET DES CRÉANCES ENTRE ÉPOUX)
Section 2. AMÉNAGEMENTS RELATIFS AU SORT DES BIENS ET AUX MODALITÉS DU PARTAGE
§ 1. Clause d'attribution de biens propres au conjoint survivant
§ 2. Clauses relatives au sort des biens communs
A. Clause de prélèvement moyennant indemnité
B. Clause de préciput
C. Clauses dérogeant au principe d'égalité dans le partage
Section 3. NATURE ET RÉGIME DES AVANTAGES MATRIMONIAUX
§ 1. Notion et nature juridique
§ 2. Régime
A. Principe : Convention matrimoniale
B. Exceptions : remise en cause des avantages
TROISIÈME PARTIE LES RÉGIMES DE SÉPARATION
Titre 1 LA SÉPARATION DE BIENS
Chapitre 1 DISPOSITIF LÉGAL
Section 1. COMPOSITION DES PATRIMOINES
§ 1. Actif
§ 2. Passif
Section 2. GESTION DES PATRIMOINES
§ 1. Principe d'indépendance
§ 2. Exceptions et atténuations
Section 3. LIQUIDATION DU RÉGIME
§ 1. Compte des créances et des dettes entre époux
§ 2. Partage des biens indivis
§ 3. Questions connexes : sort des libéralités et action de in rem verso
Chapitre 2 AMÉNAGEMENTS CONVENTIONNELS
Section 1. COMPOSITION DES PATRIMOINES
Section 2. Gestion des patrimoines
Section 3. LIQUIDATION DU RÉGIME
Section 4. ADJONCTION D'UNE SOCIÉtÉ D'acquÊts
§ 1. Typologie
§ 2. Fonctionnement de la société d'acquêts
§ 3. Dissolution de la société d'acquêts
Titre 2 LA PARTICIPATION AUX ACQUÊTS
Chapitre 1 DISPOSITIF LÉGAL
Section 1. FONCTIONNEMENT DU RÉGIME
Section 2. DISSOLUTION DU RÉGIME
§ 1. Causes de dissolution
§ 2. Détermination de la créance de participation
A. Patrimoine originaire
B. Patrimoine final
C. Balance des comptes et calcul de la créance
§ 3. Règlement de la créance
Chapitre 2 AMÉNAGEMENTS CONVENTIONNELS
§ 1. Aménagements de la séparation de biens
§ 2. Aménagements de la participation aux acquêts
Chapitre 3 RÉGIME OPTIONNEL FRANCO-ALLEMAND DE PARTICIPATION AUX ACQUÊTS
§ 1. Raisons d'être d'un régime optionnel supplémentaire
§ 2. Présentation du régime
quatrième partie LES RÉGIMES DES COUPLES NON MARIÉS
Chapitre 1 LES COUPLES DE CONCUBINS
Section 1. L'EXISTENCE DU CONCUBINAGE
Section 2. LE RÉGIME DU CONCUBINAGE
§ 1. En cours de concubinage
A. Rapports personnels
B. Rapports pécuniaires
§ 2. En fin de concubinage
Section 3. LA LIQUIDATION DU CONCUBINAGE
Chapitre 2 LES COUPLES DE PARTENAIRES
Section 1. LA CONCLUSION DU PACS
Section 2. LES EFFETS DU PACS
§ 1. Le régime patrimonial primaire
§ 2. La détermination d'un régime patrimonial
Section 3. LA DISSOLUTION DU PACS
§ 1. Les cas de dissolution
§ 2. Les effets de la dissolution
 Index alphabétique

INTRODUCTION

§ 1. Présentation

Définition ◊ Lorsque, dans la conversation courante, l'on fait état d'un droit des successions ou d'un régime successoral, le profane ne s'étonne guère : il comprend assez vite ce dont il est question. Mais lorsque, dans le même contexte, on lui parle de régime matrimonial, cette notion lui paraît assez mystérieuse. Et quand il est marié, du moins lorsqu'il n'a pas cru bon de conclure un contrat de mariage avant de comparaître devant le maire, il n'est pas rare qu'il soit le premier étonné en apprenant à l'occasion qu'il est soumis à un « régime matrimonial ».

Affublé d'un adjectif, le mot de « régime » est pourtant familier au profane : celui-ci sait notamment ce que signifie un régime alimentaire ou, les choses étant souvent liées, un régime médical. Dans l'ordre politique, qui rapproche davantage du droit, il n'ignore guère l'emploi d'expressions assez connues : régime parlementaire, régime présidentiel.

Le régime matrimonial est pourtant une composante fondamentale du droit des gens mariés. On en retiendra la définition suivante : c'est l'ensemble des règles relatives aux rapports pécuniaires des époux entre eux et à l'égard des tiers.

Bibliographie générale ◊ 

– Aubry et Rau, Droit civil français, Litec, t. VIII, 7e éd. 1973, par A. Ponsard, cité Ponsard sur Aubry et Rau.

– Beignier (B.), Les régimes matrimoniaux, Montchrestien, 2008.

– Brum-Wauthier (A.-S.), Régimes matrimoniaux et régimes patrimoniaux des couples non mariés, Larcier, 4e éd. 2014.

– Cabrillac (R.), Les régimes matrimoniaux, Domat, 8e éd. 2013.

– Colomer (A.), Régimes matrimoniaux, Litec, 12e éd. 2004.

– Cornu (G.), Régimes matrimoniaux, PUF, 9e éd. 1997.

– Corpart (Isabelle), Les régimes matrimoniaux, Vuibert, 2e éd. 2007.

– Dauriac (Isabelle), Les régimes matrimoniaux, LGDJ, 2e éd. 2010.

– David (S.) et Jault (A.), Liquidation des régimes matrimoniaux, Dalloz 2011-2012.

– Flour (J.) et Champenois (G.), Les régimes matrimoniaux, éd. A. Colin, 2e éd. 2001.

– Grimaldi (M.) (ss la dir.), Droit patrimonial de la famille, Dalloz Action 2015-2016.

– Lamboley (A.) et Laurens-Lamboley (M.-H.), Droit des régimes matrimoniaux, Litec, 4e éd. 2006.

– Malaurie (P.) et Aynès (L.), Droit civil français, Les régimes matrimoniaux, éd. Cujas, 4e éd. 2013.

– Marty et Raynaud, Les régimes matrimoniaux, Sirey, 2e éd. 1985.

– Mazeaud (H., L., J.), Leçons de droit civil, éd. Domat Montchrestien, t. IV, 1er vol., 5e éd. 1982, par de Juglart (M.), cité H., L., J. Mazeaud et M. de Juglart.

– Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, LGDJ, t. VIII, 2 vol., Les régimes matrimoniaux, 2e éd. par J. Boulanger, 1957, cité Planiol, Ripert et Boulanger.

– Revel (J.), Les régimes matrimoniaux, Cours Dalloz, 7e éd. 2014.

– Rieg (A.), Lotz (F.) et Rieg (P.), Technique des régimes matrimoniaux, 3e éd. 1993, cité Rieg et Lotz.

– Voirin (P.) et Goubeaux (G.), Droit privé notarial, Régimes matrimoniaux, Successions, Libéralités, LGDJ, t. II, 27e éd. 2012.

1o Situation du droit des régimes matrimoniaux ◊ On pourrait, il est vrai, entendre plus largement l'expression et ne pas réduire au seul aspect pécuniaire – patrimonial – l'usage de l'adjectif « matrimonial ». Le plaisir de l'esprit logique y trouverait mieux son compte, en ce sens que tout ce qui découle du mariage, y compris quant aux effets personnels entre époux – fidélité, secours, nom patronymique –, présente un caractère « matrimonial ». Mais la tradition en a décidé autrement : le régime matrimonial est celui qui régit les biens des époux et leurs pouvoirs respectifs sur ces biens ; il affecte aussi, à la dissolution du mariage, le sort de ces biens. Le régime matrimonial est une abstraction communément admise. Il est théoriquement indépendant de la fortune des époux. C'est la consolation qu'apporte, aux plus démunis, le recours à l'abstraction : on sait que, si pauvre soit-elle, une personne a un patrimoine ; dans le même ordre d'idées, un couple marié privé de tout n'en est pas moins doté d'un régime matrimonial.

Le régime matrimonial se situe à divers carrefours. Tout d'abord, dans une conception modernisée du mariage, au carrefour du sentiment et de l'argent : cette promiscuité explique parfois des réticences manifestées pour un tel mélange, du moins au temps de l'hymen ; on y voit même au Japon la cause d'une très faible fréquence des contrats de mariage 1. Mais ailleurs, il peut en être différemment, ce qui explique la place du droit des régimes matrimoniaux dans notre système juridique 2.

Cet ensemble de règles ne doit pas être seulement perçu dans le cadre du droit civil. On observera qu'il ne se comprend pas sans regards portés ailleurs. Du côté du droit social, dans la mesure où certains avantages sociaux, tels que des allocations familiales, constituent une part importante des ressources des ménages ; plus généralement, le régime des salaires découlant des contrats de travail complète la compréhension du régime matrimonial. Du côté du droit fiscal, une observation comparable peut être présentée : le régime fiscal des traitements et salaires intéresse au plus haut point les gens mariés ; ainsi l'addition des gains des deux époux n'est pas sans incidence sur le montant de l'impôt sur le revenu . Du côté du droit commercial, l'interférence des ensembles de règles n'est pas moins évidente : l'existence de fonds de commerce appelle des solutions spécifiques 3 ; il en va de même de la participation des époux à la constitution et au fonctionnement des sociétés commerciales 4 ; en outre, le traitement réservé au conjoint du commerçant affecte le régime matrimonial. On peut d'ailleurs formuler des remarques semblables au sujet du conjoint de l'agriculteur 5 ou de l'artisan.

Au sein même du droit civil, il ne faut pas non plus s'imaginer que les cloisons soient étanches.

Droit des régimes matrimoniaux et droit du mariage ◊ À divers titres, s'est, depuis fort longtemps, manifestée une corrélation entre ces deux droits, qui demeure aujourd'hui prédominante. Il se peut, tout d'abord, qu'au moment de leur mariage, les deux époux soient déjà propriétaires de divers biens. De toute façon, ils sont appelés à en acquérir pendant le mariage. D'où la nécessité de savoir dans quelle mesure ces biens vont être confondus dans une masse commune ou être la propriété de chacun d'eux.

Un choix s'impose alors entre plusieurs solutions. Entre deux extrêmes – tout mettre en commun, ne rien mettre en commun –, diverses combinaisons s'offrent à l'esprit. On peut notamment concevoir la coexistence d'une masse de biens communs et de deux masses propres, l'une au mari, l'autre à la femme. En ce sens, le mariage, du fait même des effets personnels qu'il entraîne – entraide, communauté de vie… –, appelle des réponses relatives à la composition des patrimoines pendant l'union conjugale, ce qui n'est évidemment pas sans incidence sur le sort des biens à la dissolution. Ces réponses pourront relever, soit d'un esprit communautaire fondant l'existence d'une masse de biens communs plus ou moins étendue, soit d'un esprit séparatiste opérant une répartition bipartite des éléments actifs, ainsi que passifs, composant les patrimoines respectifs des époux.

Le régime matrimonial ne concerne pas seulement la composition des patrimoines ou des masses de biens. Il fixe aussi les pouvoirs respectifs des époux sur ces biens 6. Longtemps, leur détermination s'est située, dans le cadre d'un système plaçant la femme mariée dans la catégorie des incapables, ce qui aboutissait à reconnaître au mari la suprématie. Cette situation a pris fin en 1938 (infra, no 33). Mais la question de la répartition des pouvoirs n'a pas disparu. On peut encore imaginer un système de concentration des pouvoirs entre les mains d'un des époux, spécialement du mari. On peut aussi aménager une répartition des pouvoirs en reconnaissant la place nécessaire à l'indépendance des époux, mais en assurant leur égalité, de diverses manières. Ainsi peut-on soit subordonner l'accomplissement de certains actes au consentement des deux époux, soit reconnaître à l'un et à l'autre le pouvoir d'agir seul pour le compte du couple.

Les choix opérés en ce qui concerne la composition des masses de biens et les pouvoirs reconnus à l'un et à l'autre époux n'entraînent pas seulement d'importantes conséquences durant le mariage. C'est surtout à sa dissolution que leurs effets se produiront, car il faut bien à ce moment-là opérer le partage des biens subsistants et procéder à la liquidation du régime matrimonial.

Le régime matrimonial est, de la sorte, au carrefour du droit de la famille et du droit des biens, actifs ou passifs, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels.

Droit des régimes matrimoniaux et droit des successions ◊ La relation entre ces deux corps de règles se manifeste d'une double manière, inhérente à toute réflexion sur l'héritage : celui qu'on recueille, celui qu'on laisse.

Tandis que le mariage suit son cours, il est naturel que les époux succèdent à leurs parents, soit par l'effet d'une succession ab intestat lorsque ceux-ci n'ont pas rédigé de testament, soit par l'effet d'une succession testamentaire, s'ils en ont fait. Quel va être le sort des biens recueillis de la sorte ? Vont-ils demeurer la propriété du seul époux qui les recueille ? Vont-ils tomber dans une masse de biens communs ? Va-t-on se prononcer à ce sujet de la même manière selon qu'il s'agit des meubles ou des immeubles ? D'un côté, l'existence d'un couple peut fonder la primauté de celui-ci. De l'autre, dans l'axe vertical et la perspective diachronique de la conservation des biens dans les familles, on peut vouloir protéger davantage les enfants et pour cela laisser les biens recueillis au pouvoir exclusif du seul époux héritier.

Plus typique est l'articulation nécessaire du droit des régimes matrimoniaux et du droit des successions à la dissolution du mariage, au moment où, celui-ci étant dissous par le décès de l'un des époux, s'ouvre une succession. Alors se manifeste l'incidence du régime matrimonial.

Au-delà des clivages existant entre les divers corps de règles, une considération primordiale se manifeste : il s'agit d'assurer au conjoint survivant le maintien de son train de vie. Cette préoccupation inspire, du côté du droit des successions, la situation juridique du conjoint survivant, qu'il s'agisse de la dévolution ou du règlement successoral : octroi d'une part successorale, bénéfice de l'attribution préférentielle dans le partage. Mais le régime matrimonial peut contribuer lui aussi à satisfaire l'exigence évoquée : s'il est communautaire, le partage de la masse commune au décès de l'un des époux et l'attribution de la moitié de celle-ci au survivant peuvent tendre à assurer, au profit du survivant, la persistance de sa situation.

Une observation comparative, dans le temps et dans l'espace, montre d'ailleurs comment le régime successoral et le régime matrimonial se complètent et se répondent, et comment il se peut que, lorsque l'exigence évoquée n'est pas satisfaite, dans un système juridique donné, par la technique successorale, il soit recouru, par l'effet d'une « loi de substitution » 7, à d'autres techniques du droit, spécialement à celle du régime matrimonial 8. Ainsi, à l'époque du Code civil, la situation inférieure du conjoint sur le terrain du droit successoral fut-elle compensée par l'existence du régime matrimonial de la communauté de meubles et acquêts (v. infra, no 30). C'est dire à quel point il faut se garder d'envisager isolément les divers corps de règles composant le droit en général, et plus particulièrement le droit civil.

Droit des régimes matrimoniaux et droit des contrats ◊ Il existe des interférences entre le droit des obligations et le droit des régimes matrimoniaux 9. Cet état de choses se manifeste à la faveur des contrats que des époux sont amenés à conclure soit avec des tiers, soit entre eux.

Les contrats que les époux, ou l'un d'eux, passent avec des tiers produisent très souvent des conséquences particulières, du fait même du mariage. Les tiers peuvent être appelés à se prévaloir de cette situation, notamment s'ils peuvent poursuivre les deux époux du fait de dettes contractées à leur égard par un seul.

Plus symptomatique peut être l'incidence sur le régime matrimonial de contrats conclus entre les époux 10. La situation conjugale tempère nécessairement certaines formes du droit commun. Ainsi suspend-elle la prescription extinctive qui « ne court point entre époux » (C. civ., art. 2253) 11. Au sujet des contrats, la loi aménage l'emploi du mécanisme contractuel, car celui-ci peut exercer sur le régime matrimonial une influence plus ou moins subversive. Cette perspective a pendant longtemps expliqué son refoulement. L'évolution du droit positif a marqué un recul de cette attitude négative.

a) Certains contrats affectent, dans son existence même, présente ou passée, le régime matrimonial. S'il est vrai que la conclusion de pactes de séparation amiable entre époux demeure interdite (C. civ., art. 1443, al. 2), il est cependant possible aux époux d'obtenir, dans certaines conditions, un changement de régime (v. infra, nos 227 s.). Ils peuvent aussi, en bornant davantage leurs ambitions, aménager, notamment par l'effet d'un mandat (C. civ., art. 218 ; rappr. les art. 1431 et 1539), l'exercice des pouvoirs que la loi leur reconnaît 12. Les époux peuvent encore, pendant une instance en divorce, passer toutes conventions pour la liquidation et le partage de leur régime matrimonial (C. civ., art. 265-2, al. 1er). (C. civ., art. 1450 ; v. infra, no 583).

b) D'autres contrats n'affectent pas aussi directement le régime matrimonial. Deux considérations ont jusqu'à une époque assez récente expliqué la méfiance manifestée par le droit à leur sujet : l'immutabilité du régime matrimonial, qu'ils peuvent permettre de contourner ; la crainte d'un abus d'influence d'un époux sur l'autre, qu'ils peuvent concrétiser. Le refoulement du principe d'immutabilité (v. infra, no 237) et le progrès escompté de la maturité conjugale – émancipation de la femme mariée aidant – expliquent le recul des restrictions traditionnelles et attestent la contractualisation grandissante du droit de la parité.

Procédure civile : régimes matrimoniaux et indivisions entre partenaires ou concubins ◊ Inspiré par le souci d'ordonner de manière plus satisfaisante la compétence et le fonctionnement des juridictions appelées à connaître des affaires de famille, qu'il s'agisse des personnes ou des biens, la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allégement des procédures a élargi la compétence du juge aux affaires familiales (art. 14) 13. En conséquence, un décret du 17 décembre 2009 a mis en œuvre l'extension des pouvoirs du JAF « à la liquidation et au partage des intérêts patrimoniaux des époux, ainsi qu'aux procédures attachées au régime matrimonial et au contentieux relatif au fonctionnement et au partage des indivisions entre concubins ou entre partenaires pacsés » 14.

Contrats entre époux ◊ À leur sujet, le progrès de la liberté contractuelle entre époux est certain, ce qui s'inscrit dans un fort courant de contractualisation de la famille 15. Des contrats dont la validité était soit exclue, soit douteuse, sont aujourd'hui permis. Des réformes successives ont fini par aboutir à la consécration sans réserve de la validité des sociétés entre époux : « Même s'ils n'emploient que des biens de communauté pour les apports à une société ou pour l'acquisition de parts sociales, deux époux seuls ou avec d'autres personnes peuvent être associés dans une même société et participer ensemble ou non à la gestion sociale. – Les avantages et libéralités résultant d'un contrat de société entre époux ne peuvent être annulés parce qu'ils constitueraient des donations déguisées, lorsque les conditions en ont été réglées par un acte authentique » (C. civ., art. 1832-1) 16. Le législateur oublie que la prohibition des donations déguisées entre époux a été supprimée par la loi du 26 mai 2004.

La validité du contrat de travail entre époux a été douteuse pendant longtemps, la subordination qu'il implique ayant paru incompatible avec l'état d'époux, surtout quand on envisageait le cas du mari salarié de sa femme 17. L'évolution des idées et des mœurs a pourtant fait, à juste titre, prévaloir une solution libérale, car la subordination professionnelle n'altère pas l'égalité qui inspire aujourd'hui le droit des rapports conjugaux 18.

La nullité des ventes entre époux avait survécu à la réforme des régimes matrimoniaux réalisée en 1965 (v. infra, no 36) ; elle était inscrite à l'article 1595 du Code civil qui ne prévoyait que trois exceptions à cette prohibition 19. On expliquait ce maintien par la persistance d'un principe d'immutabilité, même atténuée, du régime matrimonial, que le recours à la vente entre époux aurait permis de tourner 20. Cette explication était discutable et s'accordait mal avec l'assouplissement de l'immutabilité du régime matrimonial opéré en 1965 (v. infra, no 237). La loi du 23 décembre 1985 a heureusement supprimé la prohibition des ventes entre époux 21.

Un mouvement comparable, longtemps retenu, s'est finalement manifesté aussi au sujet des contrats à titre gratuit depuis que la loi du 26 mai 2004 sur le divorce a supprimé le caractère révocable des donations de biens présents entre époux (C. civ., art. 1096, al. 2), ainsi que la prohibition des donations déguisées entre époux (C. civ., art. 1099, al. 2) 22.

2o La notion de régime matrimonial ◊ Longtemps celle-ci a reposé sur la réunion de deux éléments. L'on pouvait dire : le régime est matrimonial, ce qui implique un mariage, et il doit exister un corps de règles propres à composer un régime 23. Si cette dernière composante n'est pas, du moins directement, remise en cause 24, il en va autrement de la première, dans la mesure où la croissance de l'union libre et la reconnaissance du pacte civil de solidarité (PACS) ont contribué à prendre de plus en plus en considération la notion de couple, même hors mariage, qui tend à supplanter, tout en l'imitant, la référence au mariage (v. infra, no 903 s.). Cela oblige à repenser un « droit des néo-conjugalités » 25 et, par contrecoup, à se demander si, dans la preuve de leur état, les célibataires ne vont pas en subir les conséquences, sans l'avoir voulu 26.

On distinguera donc ici les couples mariés et les couples non mariés.

Un couple marié ◊ Cette désignation ne nous intéresse ici que dans la mesure où, dans la ligne du concept de mariage, celui-ci n'existe pas ou n'existe plus, ce qui a priori ou a posteriori évacue l'idée de régime matrimonial.

Il en va tout d'abord ainsi des célibataires. La fréquence des formulaires que la société bureaucratique oblige à remplir montre que l'étal de célibat n'est pas ignoré par le droit : il figure même au premier rang dans le classement des « situations de famille ». Assez curieusement, la théorie juridique, si riche quand il s'agit des gens mariés, des divorcés, des veufs et des veuves – les conjoints survivants –, n'a guère élaboré une construction de la notion de célibataire et de ses effets 27. L'histoire montre pourtant que l'autorité politique s'est préoccupée à diverses époques de l'existence du célibat et qu'elle s'est alors volontiers employée à le combattre, sous l'influence de considérations religieuses, morales ou démographiques. De nos jours, il n'est pas douteux que la qualité de célibataire est une composante de l'état des personnes. Elle a trait à l'identité civile de l'individu. À plus d'un titre, la situation de célibataire est prise en compte par le droit, par exemple en matière fiscale, sociale, locative… L'existence de clauses de célibat insérées dans des actes juridiques, à titre onéreux ou à titre gratuit, a donné lieu à procès 28. Reste que, si le célibataire a un patrimoine, il n'a pas de régime matrimonial.

En cas de démariage, l'annulation ou la dissolution de l'union conjugale a pour effet d'anéantir pour l'avenir le régime matrimonial. En cas d'annulation du mariage, l'anéantissement rétroactif de celui-ci exclut l'application des règles du régime matrimonial si les deux époux étaient de mauvaise foi ; sinon, il y a lieu de tenir compte de la théorie du mariage putatif (infra, no 567). En cas de divorce, les effets de la dissolution, quant au régime matrimonial, varient, remontant plus ou moins dans le passé suivant la cause du divorce (C. civ., art. 262-1) (infra, nos 579 s.).

Un régime ◊ Si habituel que soit, en la matière, l'usage de ce mot le contenu de la notion qu'il désigne est incertain. Il suffit de se demander à partir de quel seuil une série de cas semblables constitue un régime.

Sans doute la consistance et la spécificité des règles composant le régime matrimonial se manifestent-elles lorsque celui-ci est communautaire : il y a alors, au moins en théorie, diverses masses de biens, et spécialement une masse commune distincte des deux masses de biens propres à l'un et l'autre époux ; sur ces masses, ces époux sont dotés de certains pouvoirs aménagés par la loi.

Au contraire, lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens à l'état pur, c'est-à-dire non assortie d'une « société d'acquêts » (v. infra, nos 775 s.), donc lorsqu'ils gèrent l'un et l'autre leurs biens propres – et il n'y en a pas d'autres –, on a pu poser la question suivante : y a-t-il entre eux un « régime matrimonial » ? Dans le passé, on s'est demandé si la séparation de biens constituait un régime matrimonial 29. Formellement, une réponse affirmative s'impose, car il s'agit là d'un type d'aménagement des rapports pécuniaires entre époux réglementé par la loi (v. infra, nos 775 s.). Matériellement aussi : l'union conjugale produit des effets personnels qui ne peuvent être totalement dissociés de ses effets pécuniaires ; et ceux-ci ne peuvent être analogues à ceux qui résultent de quelque association, société ou groupement constitué entre personnes non mariées, quels que puissent être les sentiments qui les animent 30.

Charges du mariage et régime matrimonial ◊ Il y a une spécificité des « charges du mariage » dont l'assomption est naturellement aménagée par le régime matrimonial. De celui-ci découlent notamment les règles relatives à l'obligation et à la contribution à ces charges. À l'obligation aux charges – on dit aussi aux dettes –, quand il s'agit de savoir quel époux le tiers créancier peut poursuivre en paiement des dettes contractées pendant le mariage – et il n'est pas rare qu'il puisse les poursuivre tous les deux. À la contribution aux charges, lorsque l'on se demande quel est celui des deux époux qui doit, dans leurs rapports mutuels, supporter le poids de la dette. Ce processus de l'obligation puis de la contribution n'est pas, en lui-même, révélateur de l'existence d'un régime matrimonial ; on l'observe dans d'autres secteurs du droit, par exemple en matière d'obligations, au sujet de la solidarité passive 31. Mais ce qui révèle, à son propos, l'existence d'un régime matrimonial, c'est l'aménagement spécifique de l'obligation et de la contribution aux charges du mariage. La société conjugale n'est pas une société comme les autres 32.

« Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives » (C. civ., art. 214, al. 1er ; v. infra, nos 53 s.). Même s'il n'est pas nécessairement ignoré dans d'autres formes de groupement, ce mode de contribution n'y est pas habituel : il manifeste le concours des époux inhérent au mariage.

Pareille méthode est indiquée non pas au titre du Code civil relatif au contrat de mariage et aux régimes matrimoniaux (Titre V du Livre III), mais au titre concernant le mariage (Titre V du Livre Ier). Est-ce à dire que la règle en cause, exprimée à titre subsidiaire, ne constitue pas, en elle-même, l'élément de base d'un régime matrimonial ? Certaines formules pourraient porter à le penser, notamment, dans le même titre et le même chapitre du Code civil, l'article 226, aux termes duquel « les dispositions du présent chapitre, en tous les points où elles ne réservent pas l'application des conventions matrimoniales, sont applicables, par le seul effet du mariage, quel que soit le régime matrimonial des époux ». Cette dernière formule n'implique pourtant pas, à la lecture des articles 212 à 226 du Code civil qui composent le chapitre en cause, l'évacuation de l'idée de régime matrimonial et la remise en question de sa nécessité. D'ailleurs, on a souvent pris l'habitude de parler à leur sujet de « régime matrimonial primaire ». Ainsi observe-t-on encore que l'état de mariage s'accompagne nécessairement dans notre droit d'un régime matrimonial.

De l'absence de régime matrimonial ◊ Pourquoi faut-il aux gens mariés un régime matrimonial ? La question n'est pas si paradoxale qu'il y paraît. Deux personnes peuvent se marier, ce qui entraîne nécessairement des effets personnels spécifiquement régis par le droit. Mais pourquoi faut-il qu'il en aille de même dans les rapports pécuniaires des époux entre eux et à l'égard des tiers ?

Il ne s'agit pas là d'une question d'école. Dans certains systèmes juridiques, il n'y a pas de régime matrimonial au sens déjà précisé (supra, no 1) d'un ensemble de règles relatives à ces rapports pécuniaires. Ainsi en est-il en droit musulman 33. Bien que le système du droit anglais soit habituellement classé parmi les régimes séparatistes, certains vont jusqu'à écrire que « le droit anglais n'impose aux époux aucun “ régime matrimonial ” au sens continental du terme ».

À propos du droit français et à la lumière de l'évolution que celui-ci a connue, il est normal de s'interroger : le mouvement qui a émancipé la femme mariée et assuré l'égalité des époux ne doit-il pas aboutir naturellement à l'abolition, non point du mariage, mais du régime matrimonial ? La pleine indépendance des époux ne trouve-t-elle pas son épanouissement naturel dans un système de règles consistant, en ce qui concerne les effets pécuniaires du mariage, à les traiter comme s'ils étaient célibataires ?

Un mouvement en ce sens s'est dégagé de la loi du 13 juillet 1965 sur les régimes matrimoniaux (infra, no 36). Avant qu'elle ne fût votée, on avait constaté que la réalité de l'indépendance juridique de la femme mariée était, pour une large part, entre les mains des tiers, de ceux avec qui le ménage entre en relations d'affaires, plus précisément des intermédiaires, et avant tout des notaires et des banquiers. Les efforts législatifs antérieurs avaient achoppé sur cet obstacle : le notariat et les services contentieux des banques, arguant de leurs responsabilités éventuelles, opposaient une résistance passive aux pouvoirs accrus que le législateur avait entendu conférer aux femmes mariées. Il était de bonne stratégie législative d'essayer de désarmer l'hostilité de ces tiers en les rassurant. D'où l'existence des dispositions des articles 221 et 222 du Code civil, dont on résumerait bien l'économie en disant que, pour la gestion de sa fortune mobilière et de ses comptes en banque, chaque époux est, à l'égard des tiers, réputé célibataire (v. infra, nos 88 s.).

Les années passant, il était tout naturel d'agiter quelque idée plus hardie. « La logique de l'idée d'indépendance réciproque des époux, a observé le doyen Carbonnier 34, va plus loin que n'importe quel régime matrimonial. Elle va au fond plus loin que le régime de séparation de biens. À la limite, et ce n'est pas une vue démentielle, c'est simplement peut-être une utopie d'aujourd'hui, à la limite il ne faudrait plus de régime matrimonial ». Et l'auteur évoque en ce sens un système d'aménagement éventuel des intérêts pécuniaires semblable à celui existant entre concubins. « Est-ce à dire, ajoute-t-il, qu'il n'y aura rien entre les deux conjoints ? Si !... Le conjoint sera entré dans la famille… de l'autre. Il y aura un droit successoral… Et on en arrive à cette idée que l'on pourrait supprimer le régime matrimonial en ne laissant plus subsister qu'un droit de succession en pleine propriété au profit du conjoint survivant, avec une réserve héréditaire… » 35.

Jean Carbonnier n'en observe pas moins, aussitôt, qu'à ce courant qui pourrait conduire à l'abolition du régime matrimonial s'oppose un fort courant communautaire.

3o Les fonctions du régime matrimonial ◊ En l'état de notre société, de ses mœurs et de son droit, le régime matrimonial est nécessaire. Il répond à plusieurs besoins, liés à l'existence de la cellule familiale.

Il en va ainsi dans le seul ordre familial. Même si, pratiquement, et faute d'une fortune suffisante, la cellule familiale ne perçoit que faiblement son existence, elle trouve pourtant en lui une condition de sa cohésion, spécialement dans l'assomption des charges du ménage.

Cette considération concerne les époux appelés à s'entraider et à vivre ensemble. Elle concerne aussi les enfants, du moins tant que dure à leur égard l'obligation d'éducation et d'entretien pesant sur les père et mère. Ainsi, « chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l'un oblige l'autre solidairement » (C. civ., art. 220, al. 1).

La prise en considération de l'intérêt des enfants se manifeste aussi, par le régime matrimonial, à la suite de la dissolution du mariage. En cas de décès d'un des époux, ses enfants recueillent le cas échéant dans sa succession sa part de communauté, s'il était marié sous un régime de communauté (C. civ., art. 1491), sa créance de participation aux acquêts, s'il était marié sous un régime de participation aux acquêts (art. 1569, al. 2). Il existe un conflit d'intérêts latent entre eux et le conjoint survivant, notamment dans la mesure où celui-ci bénéficie, en raison même du régime matrimonial, d'« avantages matrimoniaux » (v. infra, nos 766 s.). Ce conflit se manifeste spécialement entre les enfants de l'époux décédé, nés d'un premier lit, et un second conjoint 36.

Intérêt des époux, intérêt des enfants… il faut situer ces préoccupations dans le cadre de l'intérêt de la famille. C'est notamment par référence à lui que les époux peuvent, au cours du mariage, changer de régime matrimonial (v. infra, nos 250 s.) 37.

Le régime matrimonial intéresse aussi les tiers appelés à entrer en rapport avec les époux. Le crédit qu'ils peuvent accorder au ménage n'est pas indifférent à l'aménagement, légal ou contractuel, des rapports pécuniaires entre époux 38. Il est souhaitable de faciliter les relations des époux avec les tiers en assurant la sécurité de ceux-ci autrement qu'au moyen de règles semblables à celles qui gouvernent les relations des couples non mariés avec les tiers : théorie de l'apparence, régime des sociétés de fait. Il y va de l'intérêt des tiers et, par voie de conséquence, de l'intérêt des époux et de leurs enfants.

4o Structure du régime matrimonial ◊ L'organisation de la cellule familiale qui résulte de celui-ci diffère de celle des autres groupements de personnes : il ne s'agit, à proprement parler, ni d'une association, ni d'une société, ni d'une indivision, même si l'on observe, çà et là, des éléments ou des adjonctions relevant de l'une ou l'autre de ces diverses catégories 39. Le régime matrimonial est original.

a) Objet du régime matrimonial ◊ Pour l'essentiel, les règles composant le régime matrimonial concernent le patrimoine conjugal et les pouvoirs des époux sur ce patrimoine.

Tous les biens appartenant aux époux en relèvent : ceux qu'ils avaient en se mariant ; ceux qu'ils acquièrent pendant le mariage, à titre gratuit ou à titre onéreux. Le système prend ces biens en compte, soit ut singuli, par exemple lorsqu'il protège particulièrement le logement de la famille (v. infra, nos 59 s.) ou encore à propos de l'attribution préférentielle de certains biens lors du partage de la communauté (v. infra, nos 710 s.), soit ut universi, en tant qu'ils constituent des masses : biens propres du mari, biens propres de la femme et, s'il y a régime de communauté, biens communs. Au sein de chaque masse, on envisage non seulement les éléments actifs, mais aussi les éléments passifs correspondants ; et on a, en outre, recours au mécanisme de la subrogation réelle pour expliquer le remplacement d'un bien par un autre au sein d'une même masse de biens.

Les modes de répartition des biens – de l'actif ainsi que du passif – varient suivant le régime et l'importance de l'esprit communautaire : les époux peuvent faire masse de tous leurs biens (communauté universelle), de tous leurs biens mobiliers et des biens immeubles acquis à titre onéreux pendant le mariage (communauté de meubles et acquêts), des seuls biens acquis à titre onéreux pendant le mariage (communauté réduite aux acquêts), etc. Ils peuvent aussi exclure en principe l'existence, durant le mariage, d'une masse de biens communs, en adoptant un régime séparatiste : séparation de biens, participation aux acquêts.

L'aménagement des pouvoirs des époux varie aussi suivant les régimes matrimoniaux. Quel que soit le nombre des masses de biens, mais surtout lorsqu'il y a une masse de biens communs, on peut aussi imaginer un esprit communautaire plus ou moins accusé. D'une double manière, pourtant contradictoire, il peut se manifester fortement : ou bien l'on peut imaginer un système de cogestion tel que les deux époux doivent agir conjointement, la main dans la main (gestion en main commune), ou bien, à l'inverse, la confiance étant de mise, chacun pourra agir isolément. Il s'engagera lui-même, ainsi que son conjoint, dans la mesure où il obligera la communauté. Sur le versant de l'unicité ou de l'indépendance, il existe d'autres modes d'aménagement des pouvoirs : chaque époux gère une masse de biens ; on peut aussi imaginer que l'un d'eux en gère plusieurs.

Diverses règles de preuve complètent les modes de répartition des biens et d'aménagement des pouvoirs. Elles varient selon les régimes.

b) Caractères du régime matrimonial ◊ L'analyse du système consacré par le droit français permet d'en discerner trois.

Régime stratifié, pluraliste, mixte ◊ On peut estimer que le système français est un système à deux niveaux : d'abord un régime dit primaire composé d'un certain nombre de règles qui ne figurent d'ailleurs pas dans le titre du Code civil consacré aux régimes matrimoniaux (v. infra, no 49). Ces règles, applicables à tous les gens mariés, tendent notamment à faciliter l'exercice de leurs pouvoirs par les époux, leur représentation réciproque, leur activité dans les rapports avec les tiers (v. infra, nos 48 s.). Pour nombre de couples, c'est à cela que se réduit l'existence d'un régime matrimonial.

À ces règles de base, s'en ajoutent d'autres. La superposition permet l'adaptation du régime matrimonial aux besoins variables des couples. S'il n'existait pas de liberté des conventions matrimoniales (infra, nos 155 s.), il n'y aurait qu'un seul régime dont les dispositions pourraient faire corps avec celles qui composent le régime primaire. L'ensemble cesserait d'être stratifié.

Le droit français offre aux futurs époux une riche palette de régimes : à eux de choisir avant le mariage, par contrat de mariage, faute de quoi le régime légal de la communauté réduite aux acquêts leur est appliqué (v. infra, nos 221 s.). La diversité des régimes matrimoniaux traduit depuis longtemps la variété des situations, liée spécialement à l'activité professionnelle des époux et à la composition de leurs fortunes. La diminution de la fréquence des contrats de mariage dans les nouvelles générations atténue l'importance de cette considération.

Si le système français comporte un aménagement légal de diverses sortes de régimes, il ne laisse pourtant pas aux époux une liberté sans limite. Un certain nombre de dispositions impératives entravent cette liberté. Dans la mesure où le régime légal s'applique, non seulement lorsque des époux n'ont pas conclu de contrat de mariage, mais aussi lorsqu'ils ont conclu un contrat ensuite annulé et où, en pareil cas, ce régime légal peut être fort différent de l'intention des futurs époux, on discerne bien l'existence d'une loi dispositive – et non pas seulement interprétative de volonté – tendant à favoriser l'application du régime légal.

Droit international ◊ Depuis une célèbre consultation de Dumoulin, au xvie siècle, destinée aux époux de Ganay et relative aux conflits de coutumes antérieures à la codification napoléonienne, est reconnu un principe d'indivisibilité du régime matrimonial. Principe suivant lequel un ordre juridique et un seul peut gouverner le statut patrimonial des gens mariés. Dans l'ordre interne, cette exigence a été normalement satisfaite par l'unification opérée par le Code civil. Mais l'indivisibilité de la loi du régime matrimonial, naturellement liée à celle du régime matrimonial lui-même, a aussi été retenue en matière de conflits de lois dans l'espace, de sorte « que la loi du régime s'applique à l'ensemble du patrimoine des époux, quel que soit le lieu où sont situés les biens que celui-ci renferme » 40. À partir de là, ce qui importe, c'est normalement l'intention des parties d'établir leur premier domicile matrimonial dans un État donné. L'orientation unitaire du droit français est écartée dans les pays de common law qui consacrent en la matière un éclatement des effets patrimoniaux du mariage (immeubles : loi de leur situation ; meubles : loi du domicile des époux). Si la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, entrée en vigueur le 1er septembre 1992, en France, dispose bien que la loi relative au régime matrimonial des époux « s'applique à l'ensemble de leurs biens » (Conv., art. 3, al. 3), il n'en demeure pas moins que, rompant de manière importante avec le caractère indivisible du régime matrimonial tel que le connaît le droit français, l'article 3 de la convention corrige cette affirmation en prévoyant que, quelle que soit leur précision sur la loi applicable, « ils peuvent désigner, en ce qui concerne les immeubles ou certains d'entre eux, la loi du lieu où ces immeubles sont situés » et qu'« ils peuvent également prévoir que les immeubles qui seront acquis par la suite seront soumis à la loi du lieu de leur situation » (al. 4) 41. – Sur le choix d'une loi étrangère, v. infra, no 195, sur la loi applicable au régime matrimonial, v. infra, no 226 et, sur le changement de régime matrimonial, infra, nos 235 s.

5o La nature juridique du régime matrimonial ◊ L'aménagement, légal ou conventionnel, des relations pécuniaires entre époux, ainsi qu'entre ceux-ci et les tiers, appelle tout naturellement une comparaison entre la cellule familiale qu'ils constituent et une société, de fait et même de droit. La notion de société conjugale, aisément perçue du côté de la sociologie, porte l'esprit à penser qu'il s'agit là d'une sorte de société civile, si originale qu'elle puisse paraître. On ne saurait renoncer à ce rapprochement par le seul fait que la personnalité morale de la société conjugale est plus que douteuse, car il existe des sociétés dépourvues de la personnalité morale : les sociétés en participation (C. civ., art. 1871 s.). Plus troublant est le caractère intéressé de toute société (C. civ., art. 1832), ce qui s'accorde mal avec l'esprit de la société conjugale. Disons alors que celle-ci constitue un groupement dont le régime atteste l'originalité.

L'éventuelle conclusion d'un contrat de mariage appelle d'ailleurs une comparaison avec les statuts des groupements, intéressés ou désintéressés. Mais la liberté des conventions matrimoniales (infra, nos 155 s.) n'est pas une simple illustration de la liberté contractuelle. En effet, même si, ce qui est le plus souvent le cas, les futurs époux ne concluent pas de contrat de mariage, ils sont nécessairement soumis à un régime matrimonial : le régime légal. Il y a bien, dans tout régime matrimonial, un effet de la loi 42.

§ 2. Histoire

Généralités ◊ L'évolution du droit des régimes matrimoniaux des origines à nos jours est d'une extrême complexité 43. La retracer dans sa diversité et ses multiples tendances excéderait les limites d'un simple Précis. Aussi se contentera-t-on d'en esquisser les grandes lignes. Ce raccourci aura pour objet de montrer quelles places ont occupé la tendance communautaire et la tendance séparatiste dans notre histoire, quelle a été, pendant longtemps, l'incidence de l'incapacité de la femme mariée, puis de quelle manière s'est orienté notre droit dans le sens d'une conciliation entre l'aspiration à l'égalité et à l'indépendance, d'une part, l'attachement persistant à l'esprit communautaire, d'autre part.

La codification de 1804 joue, en matière matrimoniale comme dans les autres domaines du droit civil, le rôle de pivot. Aussi étudiera-t-on successivement la période antérieure au Code civil, le Code civil, la période ultérieure.

1o Avant le Code civil ◊ Au début du XIXe siècle et à la veille de la promulgation du Code civil, deux régimes matrimoniaux se partageaient la France : la communauté de meubles et acquêts dans les pays de coutumes – sauf dans certaines régions, spécialement en Normandie ; le régime dotal dans ces régions et dans les pays de droit écrit.

Chacun de ces régimes ne régnait pas sans réserve sur toute l'étendue des régions où il dominait. Certains pays de coutume pratiquaient la communauté universelle (Tournai, Arras, Neuf-Brisach et autres parties de l'Alsace) ; d'autres, comme celui de Reims et quelques autres régions de l'Est, le régime sans communauté 44. Inversement, dans la région du Bordelais et dans le pays basque, le régime dotal était assorti d'une société d'acquêts. Enfin, le principe de la liberté des conventions matrimoniales, appliqué partout, sauf en Normandie où le régime dotal était obligatoire 45, permettait aux époux de choisir le régime qu'ils préféraient.

a) La communauté de biens ◊ La communauté est un régime complexe, curieusement aménagé, dont les traits originaux se sont formés peu à peu au cours de sa longue histoire. Deux idées essentielles ont successivement concouru à lui conférer ses caractères. La première, la plus importante, est celle de la puissance maritale qui fait du mari le chef de la famille. C'est elle qui explique les pouvoirs exorbitants conférés au mari sur les biens communs. La seconde, apparue postérieurement et sous l'influence du Droit romain, est celle de la faiblesse de la femme, de son besoin de protection contre l'abus que le mari peut faire de ses droits. C'est cette seconde idée qui explique les garanties accordées à la femme : droit de demander la séparation de biens, droit de renoncer à la communauté, bénéfice d'émolument au cas où elle l'accepte.

La communauté au Moyen Âge ◊ Laissant ici de côté le problème encore obscur des origines de la communauté 46, on se contentera d'en retracer rapidement l'histoire à partir du XIIIe siècle.

Au temps de saint Louis, les premiers coutumiers présentent la communauté comme étant d'usage traditionnel et immémorial.

Mais, d'après Beaumanoir, il semble que cette communauté ancienne ne comprenait alors que les meubles des époux, biens de minime importance, et les dépouilles ou fruits de leurs héritages. Les héritages des époux, c'est-à-dire les immeubles qu'ils tenaient par succession, ou par une donation émanée d'un ascendant, leur restaient propres. Quant aux immeubles conquêts ou acquêts, c'est-à-dire advenus à titre onéreux au cours du mariage, ou par donation d'un autre qu'un ascendant, Beaumanoir ne précise pas s'ils tombaient en communauté. En tout cas, il y avait entre eux et les meubles une différence essentielle. « Les meubles sont à l'homme le mariage durant », affirme Beaumanoir, ce qui signifie que le mari en est le maître, qu'il en dispose seul et à sa guise, et qu'il peut les donner sans le concours de sa femme. De même, toutes les dettes du mari, même celles provenant de ses délits, grèvent la masse commune. La femme n'a qu'un droit, celui de prendre, à la dissolution du mariage, la moitié des meubles existant alors. Quant aux immeubles, au contraire, qu'il s'agisse de propres ou d'acquêts, ils ne pouvaient être aliénés que du consentement de l'un et de l'autre époux, et il en était ainsi même des immeubles du mari. Cette règle originale, qui devait disparaître au siècle suivant, se rattachait probablement au douaire de la femme veuve, c'est-à-dire à son droit de jouissance sur la moitié des immeubles du mari, droit qui ne pouvait être compromis par une aliénation émanée du mari seul. Pour que cette aliénation fût opposable à la femme, il fallait donc que celle-ci y intervînt afin de renoncer à son douaire.

Il faut ajouter que, dès le XIIIe siècle, la femme a le droit de s'affranchir des dettes communes en renonçant aux meubles, renonciation qui lui laisse d'ailleurs sa part dans les conquêts. Mais cette faculté fut, ensuite, réservée aux femmes nobles.

La communauté dans le dernier état de l'Ancien droit. Les pouvoirs du mari ◊ À partir des siècles suivants, une transformation se produit dans l'organisation de la communauté, qu'il s'agisse de sa composition ou des pouvoirs dont dispose, à son sujet, le mari. D'une part, la masse commune s'élargit : elle ne comprend plus seulement les meubles et les revenus des propres, mais aussi les conquêts immeubles (art. 220, Coutume de Paris). D'autre part, sur tous ces biens communs, le mari jouit de pouvoirs absolus. Il en est seigneur et maître, suivant l'expression des anciens auteurs. Il lui est loisible d'en disposer, même par donation entre vifs, sans l'assentiment de sa femme, sous une seule restriction (v. art. 225, Coutume de Paris), à savoir qu'il en dispose « sans fraude », restriction qui signifie qu'il ne pourrait pas les donner à un de ses héritiers présomptifs, ni faire une donation englobant tous les biens communs.

Ainsi la masse commune ne forme en réalité qu'un élément du patrimoine du mari ; il a sur cette masse des pouvoirs aussi étendus que sur ses biens propres. Tous ses créanciers, quels qu'ils soient, ont pour gage les uns et les autres.

Ajoutons que le mari a également l'administration des propres de la femme comme ayant reçu d'elle un mandat général à cet égard. Mais ici les pouvoirs du mari se limitent à l'administration ; ils ne comprennent pas le droit de disposition (art. 226, 227, 233, Coutume de Paris).

Quant à la femme, réduite à un rôle passif, elle n'oblige la communauté qu'à la condition d'être autorisée par son mari (art. 234, Coutume de Paris). Sans doute, comme maîtresse de maison, elle pourvoit bien à l'entretien du ménage, mais les anciens auteurs expliquent qu'elle agit ici comme mandataire du mari. Elle n'a donc aucun pouvoir propre. Son droit se borne à recueillir, à la dissolution de la communauté, la moitié de l'actif, quand il y en a un. Mais, s'il n'y en a pas, elle ne peut demander aucun compte au mari. Aussi Dumoulin a-t-il pu dire dans une formule fameuse : Uxor non est proprie socia sed tantum speratur 47, formule que Pothier au XVIIIe siècle paraphrase de la façon suivante : « Le droit de la femme sur les biens de la communauté n'est, pendant qu'elle dure, qu'un droit informe, puisque non seulement elle ne peut seule et d'elle-même disposer en rien de la part qu'elle y a, mais que c'est son mari qui, en sa qualité de chef de la communauté, a seul, tant qu'elle dure, le droit de disposer comme de sa propre chose, de tous les effets qui la composent, tant pour la part de sa femme que pour la sienne, sans être comptable… » 48.

Les garanties de la femme ◊ La condition si rigoureuse de la femme mariée, du moins en droit, appelait l'institution de garanties destinées à la protéger face aux pouvoirs si étendus de son mari. En fait, d'ailleurs, le rôle de la femme demeura important.

Diverses garanties furent progressivement accordées à la femme : a) le droit de demander en justice la séparation de biens, c'est-à-dire la liquidation anticipée et le partage de la communauté lorsque la mauvaise administration du mari faisait craindre qu'il n'en dissipât les biens 49 ; b) le droit de renoncer à la communauté, afin de se soustraire aux suites de la mauvaise administration du mari, lorsqu'elle redoutait que le passif n'excédât l'actif (art. 237, Coutume de Paris) ; c) le bénéfice d'émolument, en vertu duquel la femme qui acceptait la communauté n'était tenue des dettes qu'à concurrence des biens qu'elle y recueillait (art. 228, Coutume de Paris) ; d) la théorie des récompenses, grâce à laquelle l'intégrité des biens propres de chaque époux était maintenue à l'égard de la communauté, la femme ayant droit à récompense quand elle s'obligeait avec le mari pour les affaires communes ; e) l'hypothèque légale accordée à la femme au XVIe siècle.

À ces garanties, le principe de la liberté des conventions matrimoniales qui entra, lui aussi, dans la pratique coutumière au XVIe siècle, ajouta encore de nouveaux avantages. En effet, la plupart des clauses usitées dans la pratique étaient édictées en faveur de la femme : telle, par exemple, celle de reprise d'apport franc et quitte qui l'autorisait à retirer ses apports de la communauté, même au cas de renonciation.

Dans la réalité des faits de la vie conjugale, deux techniques aboutissaient à limiter les pouvoirs du mari, non seulement sur les immeubles communs, mais même sur ses immeubles personnels, si bien que, lorsqu'il voulait aliéner ou hypothéquer les uns ou les autres, il était obligé de requérir le concours de sa femme. Ces deux techniques étaient le douaire, ou droit de jouissance de la veuve sur la moitié des immeubles du mari défunt, et l'hypothèque légale qui grevait à la fois les immeubles communs et ceux du mari. Les aliénations ou constitutions d'hypothèques réalisées par le mari n'affectaient pas, en effet, les droits de la femme. C'est pourquoi les tiers qui traitaient avec le mari ne manquaient pas d'exiger que sa femme intervînt à l'acte pour s'obliger et renoncer à ses droits. Ainsi Pothier fait-il remarquer « de quelle importance il est, lorsqu'on contracte avec un homme marié, de faire intervenir la femme pour qu'elle s'engage avec lui » 50.

b) Le régime dotal ◊ Ce régime, qui a disparu du Code civil à la suite de la réforme de 1965 (v. infra, no 36), était un régime de séparation d'intérêts, chacun des époux conservant la propriété de tous ses biens 51. Deux traits principaux le caractérisaient.

En premier lieu, les biens de la femme étaient répartis en deux catégories : les biens dotaux et les biens paraphernaux. Les biens dotaux étaient ceux qui lui étaient constitués ou qu'elle se constituait en dot, en vue de contribuer avec leurs revenus aux charges communes ; le mari en avait l'administration et la jouissance. Tous les biens qui n'avaient pas été constitués en dot étaient des biens paraphernaux (para : autour ; pherna : la dot ; paraphernal : autour de la dot) ; la femme en gardait l'administration et la jouissance comme une femme séparée de biens.

Le second trait caractéristique du régime dotal – moins essentiel puisque les futurs époux pouvaient l'écarter – était l'inaliénabilité des biens dotaux. Ces biens étaient inaliénables par le mari ou par la femme, eût-elle obtenu le consentement de son mari.

Origine et évolution du régime dotal ◊ Le régime dotal était issu du droit romain. Dans l'empire d'Orient, depuis les réformes opérées par Justinien, il présentait des caractères précis. Le mari avait l'administration et la jouissance des biens dotaux de la femme. Peut-être même en acquérait-il encore la propriété, comme au temps d'Auguste, à charge de les restituer, à la dissolution du mariage, à la femme ou à ses héritiers. Les immeubles dotaux étaient inaliénables ; il n'était pas permis au mari d'en disposer même avec le concours de la femme. La femme conservait l'administration et la jouissance des biens paraphernaux ; elle pouvait en disposer librement, sans avoir besoin d'autorisation maritale. Ajoutons que Justinien renforça une prohibition datant du sénatus-consulte Velléien. Par la novelle 134, ch. VIII, connue sous le nom d'Authentique Si qua mulier, il a décidé que l'intercessio de la femme – c'est-à-dire le fait de sa part de s'engager envers un tiers dans l'intérêt de son mari – serait nulle, d'une nullité radicale, dans tous les cas. Cette incapacité complétait le système de l'inaliénabilité des immeubles dotaux de la femme.

Le droit des compilations de Justinien pénétra dans le midi de la France vers le XIIe siècle ; refoulant les traditions locales coutumières, il ne tarda pas à y dominer. Le régime dotal s'implanta profondément dans la France méridionale. À l'imitation de ces règles, la doctrine et la jurisprudence des pays de droit écrit construisirent leur régime matrimonial, dont les principaux traits furent les suivants :

a) Le mari qui a l'administration et la jouissance des biens dotaux n'en acquiert plus la propriété. Il n'est pas, comme à Rome, dominus dotis ; il est simple administrateur. Néanmoins, ses pouvoirs se ressentent de son ancienne qualité de dominus. Ainsi on admet, dans la plupart des régions du Midi, que le mari exerce les actions pétitoires relatives à la dot et on lui reconnaît le droit d'aliéner seul les meubles dotaux.

b) Les immeubles dotaux sont, en principe, inaliénables. Cependant, pour tenir compte des besoins de la pratique, la jurisprudence a admis et peu à peu élargi certains cas dans lesquels l'aliénation est permise (pour tirer le mari de prison, établir les enfants, etc.). En même temps, le droit écrit a atténué les inconvénients de l'inaliénabilité, en permettant d'insérer dans le contrat de mariage des clauses d'aliénabilité des immeubles à charge de remploi.

c) En ce qui concerne la dot mobilière, le principe était que le mari en avait la libre disposition. Or, la plupart des dots étaient constituées en meubles, spécialement en numéraire, afin de conserver le plus possible aux mâles les terres ou les droits fonciers. Dans la majorité des cas, la femme se serait donc trouvée dépourvue de toute garantie pour la restitution de sa dot, si la jurisprudence n'avait remédié à cette lacune en interdisant à la femme de renoncer à son hypothèque légale sur les immeubles du mari, hypothèque qui garantissait la restitution de la dot mobilière. Pour justifier cette solution si importante, on invoquait l'Authentique Si qua mulier qui interdisait à la femme toute intercession en faveur de son mari.

En 1606, un édit d'Henri IV abolit le sénatus-consulte Velléien et l'Authentique Si qua mulier. Cette abolition, qui ne faisait que consacrer l'usage établi en pays de coutume par les clauses de renonciation au Velléien devenues de style, troublait les habitudes matrimoniales des pays du Midi. Aussi ces derniers protestèrent-ils vivement contre l'abrogation de l'Authentique Si qua mulier qui avait fini par constituer une des pièces essentielles du régime dotal, et sans laquelle la protection de la dot mobilière s'effondrait. Les Parlements méridionaux refusèrent donc d'enregistrer l'édit qui ne fut, dès lors, accepté et appliqué que dans le Lyonnais, le Forez, le Beaujolais et le Mâconnais, régions de droit écrit, mais dépendant du ressort du Parlement de Paris.

d) Dans certaines contrées du Midi, notamment dans le ressort du Parlement de Bordeaux, l'usage s'était établi de joindre au régime dotal une société d'acquêts, grâce à laquelle la femme acquérait la moitié des économies et des gains réalisés durant le mariage 52.

Droit intermédiaire ◊ Les profonds changements apportés par la Révolution au droit des successions, spécialement par l'effet de la loi du 17 nivôse an II qui abolit toutes coutumes, tous usages et tous statuts relatifs à la transmission des biens par succession ou donation, ont entraîné des répercussions importantes en matière de régimes matrimoniaux 53, notamment en ce qui concerne, dans les pays de droit coutumier, le douaire de la femme ou le préciput légal du conjoint noble et, dans les pays de droit écrit, l'augment de dot.

Sous réserve de certaines réformes particulières, la législation révolutionnaire n'a pas opéré de changement du droit applicable aux régimes matrimoniaux. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir, à leur sujet, débattu de réformes. Dès ce temps-là, le maintien du régime dotal est en cause. Sans l'abolir expressément, le premier projet de Cambacérès supprime, en cas de constitution de dot, l'hypothèque légale et favorise la communauté, parce qu'elle est « le mode le plus conforme à cette union intime, à cette unité d'intérêts, fondement inaltérable du bonheur des familles ». Il est prévu que la communauté de meubles et acquêts sera le régime légal, que le mari n'en sera plus le chef exclusif car « le principe d'égalité doit régler tous les actes de notre organisme social », que les époux seront dotés d'« un droit égal pour l'administration de leurs biens ». Ces solutions égalitaires correspondaient aux souhaits de Montesquieu, d'Helvétius et de Condorcet, mais pas aux conceptions de Rousseau.

Le temps de l'égalité conjugale n'était pourtant pas encore arrivé. Sans doute Danton, Camille Desmoulins et Couthon étaient favorables à l'abolition de la puissance maritale et à l'idée de confier aux deux époux l'administration de la communauté. Mais cette conception fut combattue par des juristes membres de la Convention qui se déclaraient favorables à la liberté des conventions matrimoniales et pensaient que la communauté et le régime dotal présentaient, l'une et l'autre, des avantages et des inconvénients : telle fut l'attitude de Merlin, de Mailhe, de Genissieu, de Thuriet… Ce dernier déclara que l'administration commune des époux « n'engendrera que le désordre et la discorde, l'asservissement et la dégradation morale de l'homme et, dans les contrats, la juste défiance des étrangers à l'égard des Français » 54. Il en résulta un ajournement de la réforme et, dans le deuxième projet de Cambacérès, une atténuation de la tendance égalitaire : « les époux auraient un droit égal à l'administration des biens, s'il n'en a été autrement convenu ». Mais cela ne suffit pas à le faire aboutir. Il en alla de même du troisième projet de Cambacérès, présenté au Conseil des Cinq-Cents le 24 prairial an IV.

C'est dire que les rapports pécuniaires entre époux demeurèrent régis, pour l'essentiel, jusqu'en 1804, par le droit de l'ancienne France, ce qui n'exclut pas, pendant la période considérée, une évolution dans la pratique des contrats de mariage 55.

2o Le Code civil ◊ Lorsque la question du choix d'un régime de droit commun se posa aux rédacteurs du code, certains d'entre eux, notamment Malleville, proposèrent de respecter les habitudes des populations et d'adopter en conséquence, dans les pays de droit écrit, le régime dotal et, dans les pays de coutumes, le régime de la communauté des meubles et acquêts 56. Cette opinion fort défendable fut repoussée, parce que l'on avait le grand désir d'établir l'unité de législation sur tout le territoire et que le régime dotal, avec l'inaliénabilité qui en est le trait caractéristique, rencontrait des adversaires résolus chez les jurisconsultes des pays de coutumes. On décida donc d'adopter pour toute la France, comme régime de droit commun, celui de la communauté des meubles et acquêts.

Ce régime, dans la pensée des auteurs du code, présentait les avantages suivants : a) laissant propres à chaque époux les immeubles par lui possédés au jour du mariage ou acquis par succession ou donation, il assurait la conservation de ces immeubles, élément essentiel des fortunes à cette époque, dans la famille dont ils provenaient ; b) mais ce régime pouvait être considéré comme correspondant véritablement au but du mariage, qui est l'union des époux en vue de leur entretien et de l'éducation des enfants ; le patrimoine commun est précisément destiné à cette fonction : tous les meubles, objets dont le ménage se sert pour la vie courante, tous les revenus des époux, tous les produits de leur travail sont mis en commun et seront partagés à la dissolution ; la femme se trouve ainsi associée aux acquisitions, ce qui est juste car, même si elle n'apporte pas elle-même de salaires au ménage, elle contribue à sa prospérité par son travail domestique et ses habitudes d'économie ; c) enfin le régime de communauté cadrait avec la situation sociale faite à la femme en 1804 : celle-ci était traditionnellement considérée comme une incapable, peu au courant des affaires, ne devant pas agir seule sur la scène juridique ; il était donc normal d'adopter un régime concentrant les plus larges pouvoirs dans les mains du mari.

Les rédacteurs du Code civil ont conservé la réglementation complexe que l'Ancien droit avait appliquée au régime de communauté. Ils ne l'ont modifiée que sur un point. Ils ont restreint le droit du mari de disposer à titre gratuit des biens communs, en lui enlevant le pouvoir de donner les immeubles et l'universalité ou une quotité du mobilier, sauf pour l'établissement des enfants communs. Sur tous les autres points, les règles anciennes ont été respectées. On a même fait très justement remarquer 57 que le pouvoir du mari « s'est plutôt accru dans les faits, à raison du progrès des valeurs mobilières, lesquelles, par leur nature même, sont encore plus librement dans sa main ».

Le procès du régime dotal aurait pu, dès l'époque de la rédaction du Code civil, entraîner sa suppression. Mais les réclamations et l'insistance des représentants des pays de droit écrit l'emportèrent sur ce point, de sorte que les rédacteurs du Code civil admirent le régime dotal au nombre de ceux que les époux pouvaient adopter dans leur contrat de mariage. Mais, dans leur rédaction, les articles consacrés au régime dotal laissèrent sans réponse nombre d'importantes questions. Pour y répondre, l'on s'inspira de l'idée suivant laquelle le code avait entendu maintenir le régime dotal tel qu'il fonctionnait dans les pays de droit écrit. La tradition a donc exercé à son sujet un rôle très important.

3o Depuis le Code civil ◊ a) Le régime de communauté de meubles et acquêts s'est maintenu jusqu'à la réforme réalisée par la loi du 13 juillet 1965 comme régime de droit commun en France. Il fut pourtant, depuis le début du XXe siècle 58, l'objet de vives critiques pouvant être regroupées autour de trois idées.

1) On a reproché tout d'abord à la communauté d'être un régime compliqué, obligeant à une liquidation coûteuse et longue lors de la dissolution du mariage 59.

2) On a reproché ensuite à la communauté légale de correspondre mal à l'état économique moderne. Ce régime, principalement en tant qu'il détermine la composition du patrimoine commun, repose sur l'idée de la différence d'importance économique entre les meubles et les immeubles, idée qui a cessé d'être exacte en raison du grand développement des meubles incorporels, principalement des valeurs mobilières. Aussi conduisait-il à des injustices : si un des époux recueille de ses parents des immeubles, il les conserve propres ; si son conjoint hérite d'un fonds de commerce, de titres de rentes, d'actions de société, il voit tous ces biens tomber en communauté. Aussi préconisa-t-on l'adoption, comme régime de droit commun, de la communauté réduite aux acquêts, dans laquelle le fonds commun ne comprend que les revenus des propres, les produits du travail et les acquisitions à titre onéreux, faites à l'aide des économies.

3) On a reproché surtout à la communauté, et ceci quelle que soit la composition de la masse commune, de correspondre mal à l'état social moderne. Faisant du mari le chef de la communauté, chef aux pouvoirs quasi-absolus, il supposait une femme juridiquement incapable et se mêlant peu aux affaires pécuniaires du ménage ; il mettait l'épouse à la discrétion du mari et l'exposait à la ruine sans remèdes efficaces, si le chef de la communauté était mauvais administrateur ou mauvais époux. Le système du Code civil ne pouvait convenir au mouvement qui a conduit à l'émancipation de la femme mariée. En outre les caractères et le rythme de la vie moderne s'accordèrent mal avec la concentration des pouvoirs aux mains du mari.

b) Au sujet des régimes conventionnels, les principales critiques adressées au système du Code civil ont porté sur le régime dotal. Sans doute était-il constaté qu'il permettait la conservation de la dot au moyen de l'inaliénabilité, ce qui assurait une protection contre l'esprit de dissipation des époux. Mais cet avantage n'était obtenu qu'au prix de sérieux inconvénients. L'inaliénabilité des immeubles dotaux constituait une entrave considérable pour les époux. Que ceux-ci soient contraints de quitter leur résidence, que l'immeuble devienne improductif, il demeurait inaliénable. Les époux pouvaient être condamnés à garder toute leur vie un bien déprécié, à renoncer à tous les placements, à toutes les entreprises que leur aurait facilités la transformation en argent de ce capital immobilier. Et cela se répercutait même sur les immeubles du mari, car la femme ne pouvait renoncer à son hypothèque légale. Le mari avait donc peine à les vendre et à les hypothéquer. En sens inverse, la jurisprudence reconnaissait au mari le droit d'aliéner librement les meubles dotaux, de sorte que la femme n'avait aucune garantie contre leur dissipation par le mari, si celui-ci n'avait pas d'immeubles sur lesquels la femme puisse exercer son hypothèque légale. Voilà pourquoi la pratique notariale s'était efforcée de parer à ces inconvénients à l'aide de clauses d'emploi et de remploi : d'une part l'aliénation des immeubles a été permise par le contrat de mariage à charge de remploi d'un prix soit en d'autres immeubles, soit en valeurs mobilières, soigneusement énumérées ; d'autre part, l'aliénation des valeurs mobilières a été subordonnée à un remploi, dont le défaut rendait le mari et les tiers responsables. Ces palliatifs ne suffirent pourtant pas. Au fil des ans, le régime dotal n'a donc cessé de perdre son importance.

c) Ces diverses considérations relatives tant à la communauté qu'au régime dotal contribuent à expliquer le lent mouvement qui a abouti au remplacement de l'ensemble des règles du Code civil, dans le sens de l'égalité totale des époux. Pour retracer ce mouvement, il faut retenir cinq étapes principales : 1907, 1938, 1942, 1965, 1985.

La loi du 13 juillet 1907 sur le libre salaire de la femme mariée ◊ Cette loi a donné à la femme mariée, exerçant une profession séparée de celle de son mari, et cela quel que soit son régime matrimonial, capacité et pouvoir non seulement de toucher elle-même ses gains et salaires, mais encore d'administrer librement lesdits gains ainsi que les biens acquis avec eux. Cette libre administration comportait même le pouvoir de disposer, au moins à titre onéreux, des biens provenant ainsi du travail de la femme, et appelés biens réservés (réservés à son administration).

Celle loi a modifié le jeu ordinaire de tous les régimes. Mais elle a surtout profondément altéré, au moins théoriquement, pour les ménages où la femme exerçait une profession, la communauté légale. Ces produits du travail, dans le monde ouvrier et même dans la petite bourgeoisie, constituaient en général la quasi-totalité des biens provenant de la femme ; ces produits demeuraient communs et entraient dans la masse à partager lors de la dissolution. Mais, tant que durait le régime, la femme n'était plus tenue de les remettre au mari, elle les administrait et en disposait comme si elle était, à leur égard, chef de communauté, avec des pouvoirs analogues en fait à ceux d'une femme séparée de biens.

La loi du 18 février 1938 ◊ En 1932, le gouvernement déposa sur le bureau du Sénat un projet de loi prévoyant la suppression de la puissance maritale et de l'incapacité de la femme mariée. En même temps, ce projet réalisait la refonte des règles sur les régimes matrimoniaux. Le gouvernement estimait en effet qu'il y avait lieu de tenir compte des critiques élevées contre le régime de communauté de meubles et acquêts. Il avait songé cependant tout d'abord qu'il y avait peut-être lieu de conserver le régime de communauté, régime traditionnel auquel les particuliers se montraient attachés en général, mais en modifiant la composition de la masse commune et en prenant pour régime légal la communauté réduite aux acquêts. Mais la communauté réduite aux acquêts fut finalement écartée par les auteurs du projet. Ceux-ci redoutèrent les difficultés de preuve auxquelles pouvaient se heurter les époux qui ne font pas de contrat, pour établir la consistance de leurs propres mobiliers. Et surtout, ils estimèrent que le maintien de la communauté, avec les larges pouvoirs qu'elle confère au mari tant sur les biens communs que sur les propres de la femme ne cadrait pas avec le désir de réaliser l'émancipation juridique de l'épouse.

Il eut semblé alors logique de se prononcer en faveur de la séparation de biens, régime qui assure à chacun des époux l'indépendance dans la conservation et l'administration de ses biens. Mais la séparation offrait le gros inconvénient de ne pas permettre à la femme de participer aux économies faites par le ménage, lorsque les principaux revenus proviennent du mari et si celui-ci réalise les nouvelles acquisitions à son nom.

Aussi, finalement, le projet proposait-il de substituer, comme régime légal, à la communauté, un régime dit de participation aux acquêts. C'était en somme généraliser et étendre à tous les biens les solutions déjà retenues par la loi de 1907 au sujet des produits du travail de la femme. L'on décidait, en effet, que, tant que durerait le régime, chacun des époux conserverait la propriété, l'administration, la jouissance et la disposition de tous les biens provenant de son chef, comme s'il y avait séparation de biens. Mais à la dissolution, les acquêts, faits par chacun à titre onéreux à l'aide de ses économies, seraient réunis en une masse commune et partagés.

Ce projet de réforme se heurta à une vive opposition. Le monde notarial s'émut de la disparition du vieux régime de communauté. Ces résistances se firent jour devant le Sénat. On reprocha au nouveau régime préconisé de ne pas tenir compte de nos traditions nationales, d'être illogique, puisqu'il consacrait en fait la séparation de biens et reposait sur ce paradoxe d'un partage de biens qui n'avaient jamais été communs.

Le Sénat, impressionné par ces critiques, ne voulut pas suivre le gouvernement dans ses propositions. La loi du 18 février 1938 réalisa l'abrogation de l'incapacité de la femme mariée, mais maintint sans changement les textes du code relatifs aux régimes matrimoniaux. On a donc pu reprocher à la loi de 1938 d'avoir opéré une réforme plus spectaculaire que réelle. L'on proclamait la femme mariée capable, mais l'on conservait, comme régime de droit commun applicable à la plupart des ménages, la communauté. Or ce régime concentrait entre les mains du mari presque tous les pouvoirs. C'est le mari seul qui pouvait agir sur les biens communs, dont il était le chef ; c'est lui qui avait l'administration et la jouissance des propres de la femme. Quand celle-ci voulait exercer sa capacité, elle se heurtait, en droit, aux pouvoirs de son mari. Elle ne pouvait agir que sur la nue-propriété de ses propres, ce qui réduisait de forte manière le cercle de ses cocontractants potentiels.

La loi du 22 septembre 1942 ◊ Cette nouvelle loi a eu pour objet de mettre un terme aux critiques formulées contre le système découlant de la loi de 1938 60.

Cette nouvelle loi a conservé comme régime de droit commun le régime de communauté de meubles et acquêts. Elle ne modifia aucun des traits essentiels des différents régimes conventionnels prévus par le Code civil et ne réglementa aucun régime nouveau. Elle a prolongé le mouvement tendant à l'émancipation de la femme mariée.

a) La loi de 1942 a réduit les limitations apportées au principe, proclamé en 1938, de la capacité de la femme mariée. Le fait est qu'après avoir affirmé, dans les textes relatifs au mariage, que la femme mariée était désormais capable, la loi de 1938 avait maintenu intacts les textes du titre du « Contrat de mariage et des régimes matrimoniaux ». Or beaucoup de ces textes avaient été rédigés en fonction de l'ancienne incapacité de la femme : de là des inconséquences, des obscurités, des controverses. La loi de 1942 a fait disparaître ce grave défaut. Elle réalisa l'adaptation des textes concernant les régimes matrimoniaux au principe de la capacité de la femme, en faisant disparaître de ces textes les allusions à l'autorisation du mari ou de la justice, au moins lorsqu'elles ne se justifiaient que par l'ancienne incapacité et n'étaient pas commandées par le respect des pouvoirs conférés au mari par le régime lui-même.

b) La loi du 22 septembre 1942 a restreint les pouvoirs conférés au mari par le régime de communauté, en lui interdisant désormais toute disposition à titre gratuit des biens communs sans le consentement de sa femme, même pour l'établissement des enfants communs (v. supra, no 30).

c) Les auteurs de la loi de 1942 ont aussi voulu faciliter la vie familiale en rendant plus souples les règles relatives aux rapports pécuniaires entre époux. Tout en conservant le principe de l'immutabilité des conventions matrimoniales, la loi en a corrigé certains effets fâcheux liés à l'inaliénabilité des biens dotaux sous le régime dotal et aux clauses de remploi obligatoire, soit sous le régime dotal, soit sous le régime de communauté. La loi de 1942 a aussi développé le fonctionnement de la représentation entre époux, afin de permettre à un époux d'exercer, au nom de son conjoint empêché, les pouvoirs que le régime confère à ce dernier. A aussi été envisagé le cas où, d'après les règles du régime, la pleine efficacité d'un acte exige le concours ou le consentement des deux époux : or l'un des époux ne peut manifester sa volonté ou se refuser à agir ; la loi permit à son conjoint de se faire autoriser à passer l'acte seul. Pratiquement, ces mesures tendaient à faciliter l'action de la femme.

La loi du 13 juillet 1965. Sa genèse ◊ Une réforme totale du droit des régimes matrimoniaux dans le sens d'une plus grande émancipation de la femme mariée et de l'égalité entre époux n'en restait pas moins nécessaire. On ne pouvait plus la différer.

Dès les lendemains de la seconde guerre mondiale, la question fut à nouveau posée. Il fallut plus de vingt ans pour la réalisation de la réforme. Celle-ci vint tout d'abord à l'ordre du jour des travaux de la Commission de réforme du Code civil. Le projet élaboré par celle-ci comporta les solutions suivantes : la communauté réduite aux acquêts devenait le régime légal ; l'immutabilité absolue des conventions matrimoniales était abandonnée ; un régime de participation aux acquêts était désormais réglementé à titre de régime conventionnel. On reprocha à ce projet de ne pas assurer une amélioration suffisante de la situation de la femme mariée et de ne pas opérer un dosage satisfaisant de l'idée communautaire et de l'idée séparatiste en ce qui concerne le régime légal : « trop de séparation de biens pour un régime de communauté… trop de communauté pour un régime d'inspiration séparatiste » 61.

C'est pourtant le texte de la Commission de réforme du Code civil qui servit de base au projet gouvernemental déposé en 1959 sur le bureau du Sénat. Très vite, les associations féminines réagirent contre un projet qu'elles estimaient insuffisamment émancipateur. Appelé à se prononcer en première lecture, le Sénat vota le projet pour l'essentiel. Il en fut autrement à l'Assemblée nationale. Si l'offensive féministe ne parvint à faire admettre ni comme régime légal, exclusif de tout autre, ni comme le résultat d'une option possible devant l'officier d'état civil, le régime de participation aux acquêts, l'Assemblée nationale se prononça néanmoins en faveur d'une limitation plus grande des pouvoirs du mari dans la gestion des biens communs, tout particulièrement quant aux valeurs mobilières. En outre, elle décida de retirer au mari l'administration des biens propres de la femme pour la confier à celle-ci, tout en admettant que les revenus des propres tombaient dans la communauté administrée par le mari.

Parce que l'opposition entre les deux Chambres demeura sur ce point irréductible, en seconde lecture, le gouvernement préféra retirer le projet de l'ordre du jour. On tenta de sortir de l'impasse à la faveur d'une table ronde réunie en 1962, à la Chancellerie. Diverses solutions furent discutées : administration par le mari, sauf dérogation judiciaire ; administration par la femme avec concours du mari pour les actes les plus importants ; administration par la femme, mais jouissance laissée au mari ; administration et jouissance par la femme pour le compte de la communauté ; administration et jouissance par la femme, non seulement de ses biens propres, mais encore des biens entrés de son chef dans la communauté… On discuta, sans parvenir à un compromis.

Mais « des ligues féministes et des associations féminines sont efficacement intervenues pour faire sortir de l'ornière les projets de réforme des régimes matrimoniaux » 62. Le dépôt de la proposition de loi du sénateur Marcilhacy réalisa la relance. Le régime proposé accordait à chaque époux la libre disposition de ses propres et, sauf le cas des actes graves exigeant le consentement de son conjoint, des biens entrés en communauté de son chef. Dans cette mesure, il s'agissait à nouveau de la participation aux acquêts 63. De vives réserves furent exprimées contre le système proposé 64. C'est alors qu'il fut suggéré de procéder, avant l'élaboration d'un nouveau projet, à des recherches préalables inspirées très directement des méthodes préconisées en sociologie juridique. Quelques juristes dogmaticiens ne semblaient pas trop y croire. Les sociologues du droit insistèrent, parmi lesquels le doyen Carbonnier, qui était appelé à rédiger le projet de loi 65. C'est ce projet qui est devenu la loi du 13 juillet 1965.

La réforme de 1965 et ses suites ◊ La loi du 13 juillet 1965 a réalisé une refonte profonde du droit des régimes matrimoniaux, tout en s'efforçant, en la forme, de conserver la numérotation des articles du Code civil. Quant au fond, la loi tend à concilier deux aspirations dégagées à la suite de l'investigation sociologique : le désir d'une plus grande émancipation de la femme mariée, mais aussi l'attachement des Français à l'idée communautaire 66.

Le régime légal a cessé d'être la communauté de meubles et acquêts ; c'est désormais le régime de la communauté réduite aux acquêts, de sorte que tous les biens – éléments actifs et éléments passifs – des époux existant avant le mariage leur demeurent propres. La masse commune est seulement composée des biens acquis à titre onéreux pendant le mariage, ainsi que, selon l'interprétation donnée à la loi, des revenus des époux (v. infra, nos 294 s.). Demeurent propres les biens acquis à titre gratuit pendant le mariage par les époux, par donation, testament ou succession (v. infra, nos 313 s.).

La loi de 1965 a aussi modifié les règles relatives aux pouvoirs des époux. Désormais, chacun d'eux conserve le pouvoir d'administrer ses biens propres et d'en disposer. Mais le mari demeure le chef de la communauté : certes, pour les actes graves, dont la liste a été allongée, il doit obtenir le consentement de la femme ; mais aussi, sous cette réserve, il administre encore seul les biens communs et peut en disposer librement. Sur ses biens réservés, les pouvoirs de la femme sont désormais semblables à ceux du mari sur les autres biens communs, ce qui atteste, par symétrie, une diminution des pouvoirs qui lui avaient été jusque-là reconnus depuis la loi du 13 juillet 1907. L'accroissement des pouvoirs de la femme mariée entraîne aussi la suppression de certaines garanties antérieurement instituées afin de la protéger ou la bilatéralisation de certaines d'entre elles, prévues désormais au profit de l'un et de l'autre époux.

La liberté des conventions matrimoniales étant naturellement maintenue – la question fut pourtant discutée… au Conseil d'État ( ?) –, diverses réformes ont été opérées au sujet des régimes conventionnels : le régime sans communauté et le régime dotal ont cessé d'être prévus par la loi ; à l'inverse, celle-ci a consacré la possibilité du régime de participation aux acquêts (v. infra, nos 823 s.).

Plus généralement, la loi de 1965 a complété et assoupli le système antérieur en développant un certain nombre de règles de base, qui constituent le régime matrimonial primaire (infra, nos 48 s.), et en atténuant sensiblement le principe de l'immutabilité des conventions matrimoniales.

La loi de 1965 ne portait pas à son point final le mouvement tendant à l'égalité totale entre les époux. Ce n'était pas l'effet de quelque antiféminisme, c'était tout simplement le résultat d'une prise en considération, dans l'intérêt des deux époux, des réalités de la société française (v. infra, no 45). Dès cette époque, l'étape ultime d'un mouvement émancipateur était envisagée et le terrain préparé, tant il est vrai que la prévision n'est pas étrangère à l'art législatif. Chacun savait que le maintien, au profit du mari, de la qualité de chef de la communauté, serait contesté. Mais l'on pouvait bien penser qu'il suffirait de peu de chose pour que, le temps ayant fait son œuvre et l'émancipation des femmes mariées ayant encore progressé dans les faits, une symétrie encore plus accusée des prérogatives serait proposée et réalisée. Certains commentateurs estimaient même que « la possibilité de placer la communauté sous l'administration de la femme paraît postulée par l'égalité des sexes, que la loi nouvelle a voulu rendre plus effective » 67.

Outre le courant de pensée féministe qui continua de s'exercer et fut d'ailleurs renforcé par des considérations tenant au droit international et au droit comparé (infra, nos 39 s.), d'autres données ont aussi expliqué la réalisation d'une ultime réforme. C'est ainsi que l'on avait constaté que le système des biens réservés, tel qu'il avait été modifié en 1965, suscitait de sérieuses difficultés de preuve qui étaient contraires aux intérêts de la femme 68.

Divers mouvements législatifs ont contribué à renforcer le courant. Les uns se situaient dans le cadre du droit de la famille : depuis la réforme de 1965, diverses lois avaient éliminé presque totalement l'idée de hiérarchie dans la société conjugale, et l'on cita en ce sens les réformes de la puissance paternelle, devenue l'autorité parentale (L. 4 juin 1970), de la filiation (L. 3 janv. 1972) et du divorce (L. 15 juill. 1975). Les autres mouvements législatifs se sont produits au sujet d'activités professionnelles.

L'achèvement de la réforme de 1965 : la loi du 23 décembre 1985 ◊ Divers projets ou propositions tendant à une réforme de la réforme des régimes matrimoniaux ont donc été rédigés. Un projet gouvernemental fut adopté par le Sénat, en 1978, mais cette entreprise législative fut interrompue. Après une nouvelle investigation sociologique 69, un projet gouvernemental a été déposé en 1985. Il a abouti au vote de la loi du 23 décembre 1985, « relative à l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs » 70.

Le parachèvement de l'égalisation des situations matrimoniales des époux est la caractéristique principale de la loi du 23 décembre 1985. Cet objectif n'a pas été atteint au moyen du régime de séparation de biens, car les Français sont restés, après comme avant 1965 (infra, no 45), fidèles à l'idée communautaire. Appelé, dans cette perspective, à se prononcer à nouveau au sujet des divers modes possibles d'aménagement des pouvoirs, le législateur a écarté le mécanisme peu pratique de la cogestion dans le cadre du régime légal et fait prévaloir, à ce sujet, un système destiné à assurer l'autonomie réciproque des époux : désormais, « chacun des époux a le pouvoir d'administrer seul les biens communs et d'en disposer, sauf à répondre des fautes qu'il aurait commises dans sa gestion… » (C. civ., art. 1421, al. 1er).

D'autres modifications traduisent aussi, dans les lois de 1965 et de 1985, le désir de supprimer toute disposition inégalitaire, que ce soit au détriment de la femme ou à celui du mari : c'est ainsi qu'à l'hypothèque légale de la femme a été substituée en 1965 l'hypothèque légale des époux, placés, en 1985, sur un terrain de complète égalité en ce qui concerne leurs prélèvements lors de la liquidation et du partage de la communauté (infra, nos 692 s.).

Diverses modifications ont, en outre, été apportées au système consacré en 1965, notamment au sujet du régime matrimonial primaire (infra, nos 48 s.) et du changement de régime matrimonial (infra, nos 227 s.)

Droit transitoire ◊ Les lois du 13 juillet 1965 et du 23 décembre 1985 comportent des dispositions transitoires dont la combinaison entraîne, dans ses grandes lignes, les conséquences suivantes.

Les dispositions du régime primaire découlant de la loi du 13 juillet 1965 (infra, nos 48 s.) ont été applicables à tous les époux dès l'entrée en vigueur de cette loi, c'est-à-dire à partir du 1er février 1966 (art. 9).

Pour le surplus, la situation des époux dont le mariage avait été célébré ou les conventions matrimoniales passées avant le 1er février 1966, a été régie par des dispositions transitoires particulières.

Ceux qui s'étaient mariés sans faire de contrat de mariage continuèrent d'avoir pour régime matrimonial la communauté de meubles et acquêts telle qu'elle était antérieurement régie par la loi ; néanmoins, il fut prévu que, sous réserve des droits acquis par des tiers, ils reprendraient la jouissance de leurs biens (L. 13 juill. 1965, art. 13). La loi du 23 décembre 1985 a, en la matière, accéléré le processus d'application du droit nouveau, puisque désormais les époux mariés avant le 1er février 1966 sans avoir fait de contrat de mariage continueront certes d'avoir pour régime matrimonial la communauté de meubles et acquêts, mais une communauté désormais régie par les articles 1498 à 1501 du Code civil (L. 23 déc. 1985, art. 58).

Les époux qui avaient fait un contrat de mariage avant le 1er février 1966 ont continué d'être régis par les stipulations de leur contrat ; mais s'ils étaient convenus d'un régime de communauté, le droit nouveau, issu de la loi de 1965, leur a été applicable en ce qui concerne l'administration des biens propres, des biens communs et des biens réservés ; diverses autres dispositions complétaient ces mesures, y compris en ce qui concerne les époux mariés sous le régime sans communauté et sous le régime dotal (L. 13 juill. 1965, art. 11). L'esprit inspirant cet article se manifeste aussi à l'article 60 de la loi du 23 décembre 1985 : il y a donc, sous réserve de l'application immédiate des règles nouvelles relatives au régime primaire impératif, application des dispositions du contrat de mariage ; « toutefois, si les intéressés étaient convenus d'un régime de communauté autre que celui de main commune (infra, no 554), les dispositions de la loi du 23 décembre 1985 leur sont applicables en tout ce qui concerne l'administration des biens communs et des biens propres » (L. 23 déc. 1985, art. 60, al. 2).

Outre une mesure temporaire de changement de régime prévue à l'intention des époux antérieurement mariés sans contrat (L. 13 juill. 1965, art. 16 à 18), on signalera la règle suivant laquelle l'article 1397, relatif au changement de régime matrimonial (infra, nos 230 s.), a été et demeure applicable aux époux dont le mariage a été célébré ou les conventions matrimoniales passées antérieurement au 1er février 1966 (L. 13 juill. 1965, art. 15).

§ 3. Droit comparé

Richesse du droit comparé ◊ L'on est enclin, de prime abord, à penser que les bienfaits de l'étude comparative sont plus aisément perceptibles dans le droit des obligations civiles et commerciales que dans le droit de la famille. Liés plus étroitement aux constantes ou aux caprices de l'histoire, ainsi qu'aux particularités de la géographie et du climat, les droits de la famille seraient d'imitation difficile. Et sans doute ce réflexe n'a-t-il pas été étranger à la méfiance que pût susciter, à une certaine époque, l'introduction en France du régime de la participation aux acquêts (v. supra, no 33). Le fait est, d'ailleurs, qu'après avoir été introduit dans la législation française par la loi du 13 juillet 1965, ce régime n'a guère pris racine dans la pratique notariale (v. infra, no 825).

L'abondance des études comparatives est pourtant très notable en la matière. On en voudra spécialement pour preuve tous les travaux réalisés depuis plus d'une trentaine d'années à Paris sous l'égide de l'Institut de droit comparé 71. Ces investigations ont puissamment contribué à renouveler en la matière les idées acquises.

Les différences ◊ De toute évidence, la diversité des droits des régimes matrimoniaux est grande. Elle tient à la variété des structures de la famille et à la place qu'occupe le mariage dans les multiples systèmes de la parenté et de l'alliance. L'ethnologie et l'anthropologie offriraient ici ample matière à réflexion 72. De même, sur un terrain plus juridique, encore que les transitions soient souvent insensibles, convient-il d'exclure du propos, faute de place, de temps et de connaissances, l'examen, même sommaire, des régimes matrimoniaux tels qu'ils sont aménagés dans des grands systèmes de droit plus ou moins éloignés de ceux de l'Occident.

Si l'on se contente de porter le regard sur des zones plus familières, on constate encore d'importantes différences.

Les unes tiennent à des considérations juridiques d'ordre en quelque sorte externe, par rapport à cet objet théorique que constitue le régime matrimonial. Par son aménagement, celui-ci se relie et s'explique dans une large mesure en fonction d'autres corps de règles, au premier rang desquelles figurent celles qui régissent le divorce ou les successions. Or il n'est pas douteux que la structure des divers droits atteste à ce sujet des différences de répartition des normes et de réalisation des harmonies conjugales qui varient dans l'espace et dans le temps. Cette diversité porte même à observer, dans certains cas, une certaine dilution du régime matrimonial, spécialement dans les droits de common law.

Les autres différences se relient, de manière en quelque sorte interne, à l'esprit et à la technique des divers droits. À l'esprit, dans la mesure où l'on peut concevoir de maintes manières la projection de l'union conjugale sur le terrain des intérêts pécuniaires. À la technique, car les démarches offertes au droit se situent au point de vue de la répartition non seulement des biens, mais aussi des pouvoirs. Et la dose de communauté ou de séparation, d'égalité ou d'inégalité, peut varier tant sur l'un de ces terrains que sur l'autre, et d'un droit à un autre. Il existe, à ce propos, des mélanges nombreux, y compris dans la réalisation d'une sorte de justice conjugale, commutative ou distributive. Entre la rigidité et la souplesse, il existe aussi maintes solutions intermédiaires, qu'il s'agisse de l'éventail des régimes offerts au choix des futurs époux ou de la possibilité de changer de régime au cours du mariage.

Les convergences ◊ Les investigations comparatives ont permis d'observer un rapprochement des divers droits. Sous la pression des faits et l'influence de l'évolution générale des mœurs, il s'est opéré une interpénétration entre les régimes communautaires et les régimes séparatistes.

Du point de vue de l'émancipation de la femme mariée, un courant très répandu a conduit les divers droits, soit à reconnaître à la femme mariée le pouvoir de gérer, en collaboration avec son mari, des masses de biens plus ou moins importantes, soit à lui reconnaître des pouvoirs d'action personnelle plus étendus que par le passé.

En raison de l'importance croissante de la fortune mobilière, la distinction des meubles et des immeubles a cessé d'être le critère essentiel de répartition des biens entre les masses. L'idée est assez répandue ; sa traduction en termes de droit revêt néanmoins divers aspects : si la substitution de la communauté réduite aux acquêts à la communauté de meubles et acquêts (loi française de 1965) y trouve sa principale justification, on constate aussi que l'évolution contemporaine des législations conduit plutôt à en déduire, soit l'atteinte aux pouvoirs exclusifs du mari sur certains biens communs, notamment les immeubles et les fonds de commerce (lois espagnoles de 1958), soit la subordination au consentement des deux époux des actes de disposition portant sur certains biens propres de l'un ou de l'autre (loi de 1958, en Allemagne fédérale).

Autre signe d'évolution : l'augmentation du nombre des femmes mariées qui exercent une profession, jointe à la progression du divorce dans la plupart des pays, paraît contraire à l'économie traditionnelle du régime de communauté. Fallait-il en attendre des succès spectaculaires du système de séparation de biens, du moins à l'état pur ? On a pu en douter. Certes l'institution des biens réservés à l'administration et à la disposition de la femme, originairement imaginée par le droit suisse, s'est répandue dans d'autres droits. Mais, cela dit, depuis que les droits anglo-saxons l'adoptèrent à la fin du siècle dernier, il ne semble pas que le régime de séparation de biens se soit répandu de manière significative au détriment du régime communautaire.

Le signe manifeste d'une lente convergence des systèmes vers une sorte de fonds commun résulte, par des voies diverses, d'une interpénétration des systèmes traditionnels. La pénétration des idées séparatistes dans les régimes communautaires, puis des idées communautaires dans les régimes séparatistes a émoussé les arêtes des distinctions. À l'intérieur d'un même type, la pratique, la jurisprudence, puis le législateur ont, çà et là, imaginé des combinaisons nouvelles et plus ou moins originales, et des types intermédiaires assez variés.

On a souvent opposé dans le passé les systèmes de l'Europe continentale, liés à un esprit foncièrement communautaire, et les systèmes anglo-américains – si tant est qu'il y existe un régime matrimonial (supra, no 15) – attachés fortement à un principe séparatiste. Le contraste était séduisant, mais plus d'un signe a conduit, depuis plusieurs décennies, à en douter. À travers les frontières, les systèmes matrimoniaux se rapprochent depuis des années, sinon des siècles 73.

À s'en tenir aux grands ensembles de la famille romano-germanique, des droits socialistes et de la common law, l'évolution générale s'est opérée dans le sens de l'égalité du mari et de la femme. Au siècle dernier, au temps des suffragettes, le droit anglais en avait déduit la consécration du système de la séparation de biens. Mais cette époque est révolue.

Pour permettre à chaque époux de participer, sur un pied d'égalité, au partage égal des économies et des acquêts réalisés pendant le mariage, trois correctifs principaux ont été imaginés par les droits contemporains. Type néerlandais : le régime légal est celui de la communauté universelle, mais chaque époux administre la portion de la masse commune qu'il possédait avant l'établissement de la communauté, ainsi que les biens qui tombent de son chef dans la communauté. Type français : la communauté est réduite aux acquêts ; l'administration des biens communs ainsi que les ventes d'immeubles communs sont réalisées du commun accord des époux, mais les ventes des meubles communs conclues par l'un d'eux sont présumées faites avec l'accord de l'autre. Type scandinave : participation aux acquêts, c'est-à-dire séparation de biens pendant le mariage, suivie d'un partage des acquêts à la dissolution.

De nombreux indices permettent de penser que l'orientation des législations correspond aux transformations économiques et sociales de notre temps 74.

§ 4. Sociologie juridique

Diversité des sources ◊ Aux diverses sources de la sociologie juridique, on trouve de quoi nourrir la sociologie des régimes matrimoniaux. L'iconographie est à cet égard assez riche. Des peintures offrent à ce sujet matière à réflexion intéressante, même s'il peut être parfois difficile de dissocier, dans le mariage, l'aspect d'ordre personnel et l'aspect d'ordre patrimonial. Le juris-sociologue comparera notamment le Contrat de mariage de Hogarth avec l'Accordée de village de Greuze, observant que, dans le tableau anglais, les deux pères sont au centre de l'œuvre, tandis que, dans le tableau français, ce sont les deux fiancés qui s'y trouvent. Évolution de la famille, donc, évolution aussi du régime matrimonial 75. Des observations analogues pourraient être présentées au sujet de tableaux de Watteau : La mariée de village, Le contrat de mariage.

Le régime matrimonial a aussi retenu l'attention d'autres peintres des mœurs, les littérateurs. Point de surprise si l'on rencontre ici Balzac. Ses conceptions du mariage, ou plutôt des mariages, ont inspiré nombre de ses œuvres. Il est tout naturel que l'on trouve, parmi elles, Le contrat de mariage 76. Classé parmi les Scènes de la vie privée, cet ouvrage raconte les malheurs d'un mari qui se laisse ruiner par son épouse avide. Sur ce thème, l'auteur de la Comédie humaine écrit une brillante « comédie des notaires », décrivant les joutes d'un vieux notaire, Matthias, attaché à une société traditionnelle et à ses biens, et d'un jeune notaire, Solonet, conquis par les idées de la bourgeoisie libérale, avide de réussite. Le roman a pour objet, suivant l'auteur, l'une des scènes « les plus vulgaires de la vie ». Laquelle ? « La discussion à laquelle donnent lieu les contrats de mariage dans toutes les familles, nobles ou bourgeoises ».

Dans le présent cadre, on ne peut que signaler les pistes de maintes réflexions complémentaires. Il s'agissait de fournir quelques exemples.

La pratique notariale. Enquêtes et statistiques ◊ En matière de régimes matrimoniaux, la pratique notariale a exercé et exerce encore un rôle important 77. Elle a imaginé des clauses – stipulation de propres, ameublissement... – consacrées ensuite expressément par le législateur 78. Elle a adapté son comportement aux solutions dégagées par la Cour de cassation. Il lui est arrivé de résister à la jurisprudence, par exemple au sujet de la clause commerciale, et de contribuer finalement à un changement de législation destiné à satisfaire à ses besoins. Après la réforme de 1965, c'est encore elle qui a contribué à mesurer la portée du changement opéré au sujet de l'immutabilité des conventions matrimoniales (infra, nos 241 s.). Le rôle exercé par le notaire en matière matrimoniale explique cette influence 79.

Des documents de source notariale ont fourni aux sociologues du droit un riche matériau. Dans l'ordre de la sociologie historique du droit, d'assez nombreuses études ont porté sur la pratique des contrats de mariage 80. D'autres investigations intéressantes ont porté sur notre temps. Elles permirent assez vite de constater, même avant les réformes de 1965 et de 1985, une diminution notable du nombre des contrats de mariage 81. On observait aussi, à la même époque, que de nombreux contrats de séparation de biens « ne correspondaient pas à des mariages de jeunes couples français » 82, ceux-ci demeurant fidèles, dans une notable proportion, au système communautaire. Reliées à des explications doctrinales de caractère synthétique 83, ces analyses ont contribué à dégager de grandes tendances évolutives.

Il convenait cependant, pour améliorer la connaissance de la matière, de recourir à des statistiques générales. À la fin du siècle dernier, l'Administration de l'Enregistrement avait publié, pour l'année 1898, une statistique concernant la répartition des régimes conventionnels 84. Mais le document était ancien ; d'ailleurs les classifications retenues par l'Administration demeuraient, sur certains points, trop sommaires. C'est pourquoi, lorsque fut préparée la réforme qui devait être réalisée par la loi du 13 juillet 1965, à la demande de la Chancellerie, le Conseil Supérieur du Notariat diffusa auprès de tous les notaires de France métropolitaine un questionnaire relativement simple. Malgré quelques déchets, les résultats de cette enquête offraient un tableau significatif de la situation 85.

Sociologie législative : la réforme de 1965 ◊ Ce recours aux statistiques notariales n'était qu'un élément parmi d'autres dans l'emploi en législation de la sociologie juridique auquel on procéda à l'époque 86. Il fut en effet recouru aussi à un sondage d'opinion. Pour la première fois, du moins à propos d'une réforme de droit privé, l'Institut français d'opinion publique (IFOP) a mené, à la demande du gouvernement, une enquête sur échantillon représentatif de la population 87.

Des conclusions très éclairantes en furent dégagées. D'abord l'importance du nombre des personnes mariées sous le régime légal de la communauté de meubles et acquêts : 76 % des interviewés, la proportion demeurant relativement constante, quelles que soient les classes d'âge. D'autre part, le fait que les Français restaient très largement ignorants des règles légales de leur régime matrimonial. Mais cette ignorance, loin de conduire à négliger leur comportement, incita au contraire à confronter davantage ce qu'ils font avec ce qu'ils pensent. En croisant les réponses et en comparant les résultats, on put observer que le public apparaissait en avance sur ce qu'on allait lui proposer. S'il n'a pas nécessairement attendu la réalisation de la réforme pour corriger les défauts du droit, il n'en fallait pas déduire qu'il ne percevait pas ses imperfections et ne ressentait pas le besoin d'un changement de la règle.

Trois courants dominants, qui devaient inspirer la réforme de 1965 (v. supra, no 35), sont résultés de cette investigation : a) « l'attachement au principe communautaire, du moins quant aux acquêts, est très vif dans toutes les générations, dans toutes les classes sociales et sans distinction de sexe » ; b) « un consensus existe, pour admettre l'égalité des deux époux et en particulier pour reconnaître à la femme le pouvoir de gérer ses biens propres » ; c) il subsiste « l'idée d'une conservation des biens de famille dans le patrimoine de chaque époux, assez répandue ». Ces citations de l'exposé des motifs du projet de loi ont permis de dégager la signification sociologique de la réforme des régimes matrimoniaux 88.

Sociologie post-législative ◊ La sociologie juridique n'avait pas dit son dernier mot. La réforme portait en germe sa propre réforme, consciemment et sociologiquement prévue. Ses auteurs avaient pris en compte la diversité des couples, la répartition des femmes mariées suivant qu'elles exerçaient ou n'exerçaient pas de profession, le poids des habitudes, surtout dans les ménages unis, le temps des questions de droit dans la vie des familles, l'hésitation encore assez répandue de nombre de femmes à se battre pour leurs droits, à faire coïncider, en termes de sociologie, leur rôle avec leur statut. Tout naturellement, on attendait de la sociologie législative un service après-réforme. Le désir, assez vite manifesté, d'une nouvelle réforme, appelée à mener à son terme celle de 1965 (v. supra, no 37), stimula aussi la persistance de la démarche sociologique 89.

La réforme de 1965 avait été, de manière assez générale, bien accueillie 90. Quand fut pourtant demandée sa réforme, notamment à l'instigation de certaines catégories socio-professionnelles (supra, no 37), diverses contradictions se manifestèrent. À nouveau le besoin de changement s'exprima de manière divisée : lorsque les notaires tinrent à La Baule, en 1978, leur 75e Congrès, on s'en aperçut : aux partisans de l'indépendance des époux s'opposaient les tenants d'une communauté renforcée autant que possible ; derrière les minimalistes et les maximalistes du changement, les avis étaient partagés. Une nouvelle investigation sociologique se révéla nécessaire. Elle fut confiée au Laboratoire de sociologie juridique de l'Université de Paris II 91.

Un nouveau sondage d'opinion fut donc pratiqué par l'intermédiaire de la SOFRES ; il comportait des questions de connaissance et de fait, ainsi que des questions d'opinion sur le choix du régime matrimonial, sur les tendances à préconiser dans le régime légal, sur le droit existant alors, quant au partage des biens communs et quant à la gestion de ces derniers, sur les réformes intervenues, sur l'utilité et le sens d'une éventuelle modification du droit des régimes matrimoniaux.

Parallèlement, des entretiens ont été menés auprès des représentants de quelques grandes banques (Banque de France, BNP, Crédit Lyonnais, Crédit Agricole, Crédit Commercial de France, Banque de Paris et des Pays-Bas) et auprès des services centraux de compagnies d'assurances (UAP, Lloyd préservatrice vie, Centre d'information des assurances, Providence).

De ces investigations, diverses conclusions ont été dégagées : à nouveau, comme une quinzaine d'années plus tôt, on put constater, de la part des Français, une connaissance des plus confuses de la matière, ce qu'on a expliqué par la peur du droit, le souci de s'affranchir de la loi, et surtout l'indifférence ou le détachement 92. L'insatisfaction que manifestaient précédemment certaines catégories – cadres supérieurs, membres de professions libérales – s'est atténuée. La diffusion des comptes bancaires et postaux dans les ménages, avec tout un jeu de procurations et de comptes joints, a aussi favorisé, à travers les divers régimes matrimoniaux, l'émergence d'un régime matrimonial bancaire.

Il est certain que l'investigation attestait aussi l'existence d'aspirations contradictoires quant aux sens possibles des changements éventuels du droit des gens mariés, spécialement quant au désir d'une plus forte cogestion. Une autre certitude est résultée d'une recherche de sociologie judiciaire menée dans le cadre de la même enquête sociologique : une étude quantitative systématique du contentieux des régimes matrimoniaux a été menée à partir du Bulletin des arrêts de la Cour de cassation. Elle montra que les querelles doctrinales déclenchées par la réforme de 1965 paraissaient « ne correspondre à rien de réel » 93. Elle révéla aussi que « la plupart des litiges qui sont soumis aux tribunaux se déclenchent dans des situations qui, par nature, sont déjà conflictuelles : divorce, séparation de corps ou de fait » 94.

Couples mariés et couples non mariés. Plan ◊ Depuis assez longtemps, l'existence de l'union libre n'a pas pu être ignorée du droit positif, en dépit de ce que Napoléon avait affirmé au sujet des concubins. Sans doute, faute de dispositions réservées à cette situation en ce qui concerne les intérêts patrimoniaux de ceux-ci, convenait-il de se référer aux règles gouvernant les diverses formes de coopération au sein d'un couple, notamment l'indivision résultant d'une situation dite de fait et pourtant, par hypothèse, entraînant une réaction du droit. Faute de mariage, l'expression même de régime matrimonial ne convenait pas.

Cet état des choses du droit aurait pu se prolonger si, à la fin du siècle dernier, les unions, homosexuelles ou hétérosexuelles, n'avaient acquis droit de cité par l'effet de la loi du 15 novembre 1999 et la consécration du pacte civil de solidarité (PACS). Nécessairement, les règles le régissant sur le terrain des intérêts patrimoniaux 95 ont été aménagées pour tenir compte de l'absence de mariage dans les cas considérés.

Tout naturellement, comme il arrive souvent, en droit, en cas d'apparition d'une nouveauté, la tendance a conduit à se référer aux réponses apportées à des questions plus ou moins proches pour construire un régime nouveau, lui-même en voie d'insertion dans un système consacré antérieurement.

Or cette évolution s'est accompagnée d'une recherche d'une notion commune permettant de discerner, au-delà des différences, une donnée fondamentale : celle du couple auquel la réflexion doctrinale a permis de reconnaître, derrière la distinction du matrimonial et du patrimonial, une importance première : le couple, qu'il soit marié ou non.

Les trois premières parties du présent livre seront donc consacrées aux régimes matrimoniaux, successivement aux règles générales régissant ces régimes (Partie 1), aux règles relatives aux régimes de communauté (Partie 2) et aux régimes de séparation (Partie 3), avant que ne soient envisagés les régimes patrimoniaux des couples non mariés (Partie 4).

PREMIÈRE PARTIE

RÈGLES GÉNÉRALES DES RÉGIMES MATRIMONIAUX

Présentation ◊ Il existe, dans le droit des régimes matrimoniaux, un ensemble de règles que l'on pourrait être tenté de présenter sous l'appellation de droit commun des régimes matrimoniaux si cette désignation ne risquait pas d'entretenir une confusion regrettable avec la notion de régime matrimonial de droit commun (infra, nos 222 s.). On préférera donc l'expression « Règles générales », qui sert à couvrir deux séries de règles : les unes concernent ce qu'il est aujourd'hui convenu d'appeler le régime matrimonial primaire (Titre 1) ; les autres ont trait à la détermination du régime matrimonial (Titre 2) qui complète le régime matrimonial primaire, c'est-à-dire à ce que l'on pourrait être incité à appeler le régime matrimonial secondaire qui varie selon les couples.

Sens de l'expression ◊ Un statut fondamental des gens mariés découle des articles 212 à 226 du Code civil, ou peut-être plus exactement, dans la mesure où il s'agit des intérêts pécuniaires, des seuls articles 214 à 226 96. Dans le projet de loi qui devait aboutir à la loi du 13 juillet 1965, on avait évoqué des réformes réalisées en Belgique et aux Pays-Bas, lesquelles avaient « révélé l'importance de ce que l'on appelle parfois, dans ces pays, le régime matrimonial primaire, c'est-à-dire les effets directs de tout mariage dans l'ordre des intérêts pécuniaires, et la nécessité d'insérer (là) une série de mesures élémentaires de sauvegarde » 97.

L'expression a été bien accueillie dans le milieu juridique français. Elle est devenue courante en doctrine. Certes, on lui a reproché de donner à penser que le régime matrimonial primaire formerait un ensemble complet et suffisant, comme si des époux en se mariant pouvaient, par contrat de mariage, décider de se contenter des règles qui le composent 98. Le fait est que, pour nombre de ménages sans fortune, il s'en faut de peu que les règles consacrées aux articles 214 à 226 constituent l'essentiel de l'armature de leur régime matrimonial effectif. On ne saurait pourtant s'en tenir là.

Caractères du régime primaire ◊ Il n'en reste pas moins notable que le mot de « régime » ne figure pas dans les articles 212 à 226. Ces textes se situent dans un chapitre intitulé « Des devoirs et des droits respectifs des époux » et non parmi les articles relatifs au contrat de mariage et aux régimes matrimoniaux (art. 1387 s.). Cette situation illustre bien l'idée suivant laquelle le régime primaire, malgré l'expression suggestive par laquelle on le désigne, se rattache aux effets généraux du mariage et non aux régimes matrimoniaux. De ce rapprochement on peut déduire au moins deux conséquences.

L'une a trait au caractère en principe impératif des règles en cause. Ce caractère découle de la nature de celles-ci. Il résulte aussi, implicitement, de l'article 226, aux termes duquel « les dispositions du présent chapitre » – il s'agit des articles 212 à 226 –, « en tous les points où elles ne réservent pas l'application des conventions matrimoniales, sont applicables, par le seul effet du mariage, quel que soit le régime matrimonial des époux ».

L'autre conséquence est illustrée en droit international privé. Il est généralement admis que les règles composant le régime primaire relèvent de la loi gouvernant les effets du mariage et non de celle applicable au régime matrimonial, ce qui n'est d'ailleurs pas exclusif d'un rattachement de ces règles sous la qualification de lois de police et de sûreté 99.

Plan ◊ Dans la perspective des régimes matrimoniaux, on peut considérer que les dispositions des articles 214 à 226 – l'article 224 principalement relatif aux biens réservés ayant été abrogé par la loi du 23 décembre 1985 (supra, no 36) –, se répartissent en trois groupes : mesures de coopération (Chapitre 1), mesures d'autonomie (Chapitre 2), mesures de crise (Chapitre 3).

Plan ◊ Diverses mesures prolongent, sur le terrain des intérêts pécuniaires, cette communion qui est l'âme du mariage et se traduit tout naturellement par la nécessaire coopération des époux. Se devant mutuellement secours et assistance (art. 212), assurant ensemble la direction de la famille et l'éducation des enfants (art. 213), obligés mutuellement à une communauté de vie (art. 215), ils sont appelés à coopérer l'un avec l'autre.

On ne s'étonnera donc pas de voir figurer, dans le cadre du régime matrimonial primaire, des mesures de coopération ayant trait à la contribution aux charges du mariage (Section 1), à la protection du logement familial (Section 2) et à la représentation entre époux (Section 3).

Section 1. LA CONTRIBUTION AUX CHARGES DU MARIAGE

Évolution législative ◊ Les rédacteurs du Code civil n'avaient prévu une obligation d'entretien qu'à la charge du mari ; celui-ci devait fournir à sa femme « tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie selon ses facultés et son état » (anc. art. 214). La contribution de la femme aux dépenses de la vie commune ne trouvait sa place que dans le cadre du régime matrimonial, ses modalités variant selon le régime : la femme commune en biens contribuait aux dépenses par ses apports en communauté, la femme séparée de biens, par les revenus de ses biens personnels.

La loi du 18 février 1938 a prévu d'une manière générale la contribution de la femme, en la plaçant, à ce sujet, à égalité avec le mari. Il en est résulté une modification du Code civil.

Dans la rédaction qui résulte des lois du 22 septembre 1942 et du 13 juillet 1965, l'article 214 du Code civil dispose que, « si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives » (al. 1er) et que, « si l'un des époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l'autre dans les formes prévues au Code de procédure civile » (al. 2) 100.

On définira l'obligation de contribuer aux charges du mariage (§ 1) ; puis l'on envisagera les effets de cette obligation (§ 2).

§ 1. L'obligation de contribuer aux charges du mariage

A. Objet de la contribution

Les charges du mariage ◊ Constituent des charges du mariage les frais d'entretien du ménage, ainsi que les frais nécessités par l'éducation des enfants 101, la majorité des enfants ne mettant pas nécessairement un terme à la contribution due pour eux 102. La condamnation prononcée contre les parents sur le fondement de l'article 1384, alinéa 4, a été considérée comme une charge du mariage 103.

On estime que la notion de charges du mariage doit être entendue largement. En relèvent, bien entendu, les dépenses de nourriture, de logement, de vêtements des époux et des enfants. Mais il ne faut pas s'en tenir à l'existence de dépenses nécessaires. Sont aussi des charges du mariage les dépenses ayant pour objet l'agrément de la vie ou l'aménagement de son cadre, par exemple les frais d'installation de l'habitation familiale, les frais de vacances ou de loisirs 104, ainsi que les cotisations de retraite d'une employée de maison 105. C'est dire que les charges du mariage peuvent – malgré les termes de la loi – avoir une source extra-contractuelle. Ces solutions extensives s'expliquent par le fait que, par son fondement et par son but, l'obligation de contribution aux charges du mariage est distincte de l'obligation alimentaire. Entendant largement la notion de dettes ménagères, la Cour de cassation a considéré que relevaient de cette catégorie les cotisations dues par un époux au titre d'un régime légal obligatoire d'assurance vieillesse avec réversion au profit du conjoint survivant 106. La jurisprudence n'exclut pas non plus, si certaines données sont relevées, la contribution aux charges inhérentes à une résidence secondaire 107.

Une dépense ne cesse pas d'être incluse dans les charges du mariage parce qu'elle profite plus directement à l'un des époux 108. Ainsi les frais de maladie ou les frais de justice engagés dans l'intérêt même d'un époux, par exemple en vue de sa mise en tutelle, constituent des charges du mariage 109. Il en va autrement de l'impôt sur le revenu d'un époux 110.

B. Analyse de l'obligation

Un effet du mariage ◊ L'obligation de contribuer aux charges du mariage découle du mariage. La situation d'époux fait peser sur lui cette obligation de telle manière que c'est au conjoint tenu de la sorte qu'il appartient, le cas échéant, de rapporter la preuve des circonstances particulières permettant de l'en dispenser 111.

Découlant du mariage, l'obligation de contribution aux charges qui en résultent n'implique pas nécessairement une communauté de vie ; en d'autres termes, il peut y avoir séparation de fait entre les époux 112. Même le refus par l'un des époux de cohabiter avec son conjoint n'exclut pas nécessairement qu'il puisse obtenir de celui-ci une contribution aux charges du mariage 113.

L'étendue de l'obligation aux charges du mariage traduit le fait que celle-ci, ni par son fondement, ni par son but ne se confond avec le devoir de secours, c'est-à-dire avec l'obligation alimentaire entre époux (supra, no 51). Cette différence de nature se manifeste aussi en ce que la règle « aliments n'arréragent pas », selon laquelle le créancier qui ne réclame pas les termes échus de la pension est considéré comme à l'abri du besoin, ne s'applique pas à l'obligation de contribution aux charges du mariage 114. De la même différence, il résulte que chaque époux doit contribuer aux charges du mariage même si son conjoint n'est pas dans le besoin 115.

Il ne faut pourtant pas exclure trop vite ici toute référence à l'idée alimentaire, disons plutôt au régime des obligations alimentaires. On en voudra pour preuve leur caractère révisable. Ainsi l'obligation de contribuer aux charges du mariage doit être regardée comme une dette d'aliments au sens de l'article 79, 3, alinéa 1er, de l'ordonnance no 58-1374 du 30 décembre 1958 116.

C. Mesure de l'obligation

Principe de liberté ◊ La contribution aux charges du mariage relève du principe de la liberté des conventions matrimoniales (infra, nos 155 s.). Il appartient donc aux époux de s'entendre au sujet de la répartition des ressources respectives et de préciser comment chacun d'eux participera aux charges familiales. Sinon, il convient d'appliquer le principe formulé à l'article 214, alinéa 1er, du Code civil.

1o Dans le cadre d'un accord ◊ Il n'est pas exclu que les époux puissent, par une convention autre qu'un contrat de mariage, aménager leur contribution aux charges du mariage. Pareil accord serait valable et son exécution pourrait être demandée en justice sous réserve de la possibilité pour chacun des époux d'en faire modifier le montant à tout moment en considération de la situation des parties 117.

D'ordinaire, pour peu que les époux aménagent l'obligation aux charges, c'est dans un contrat de mariage que celle-ci figure. Ils peuvent convenir par exemple qu'une fraction déterminée des charges incombera à chacun d'eux ou bien que la femme versera, au titre de sa contribution, une somme fixe ou une fraction de ses revenus ou encore prendre soin de préciser que la contribution de la femme mariée résulte de son travail au foyer et de sa collaboration à la profession du mari. La liberté des époux est donc grande. Toutefois, ceux-ci ne pouvant « déroger ni aux devoirs ni aux droits qui résultent pour eux du mariage » (art. 1388, C. civ. ; infra, no 200), une clause du contrat de mariage ne pourrait dispenser un époux de toute contribution même si les charges du mariage pourraient être couvertes par les ressources de son conjoint. Mais il peut être prévu une clause aux termes de laquelle chaque époux est présumé avoir fourni sa part contributive 118.

2o En l'absence d'accord ◊ Rappelons que, « si les conventions matrimoniales » – voire une convention spéciale (supra, no 56) – « ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives » (art. 214, al. 1er). Les juges du fond apprécient souverainement le montant de la contribution due 119 ; leur appréciation échappe au contrôle de la Cour de cassation 120 ; encore faut-il qu'ils opèrent les constatations nécessaires, par exemple qu'ils recherchent quelle était l'importance des revenus de chacun des époux 121, voire de leurs revenus éventuels ou potentiels si la question est débattue devant eux 122.

Mais il ne leur est pas possible de se référer au droit commun de la solidarité passive, plus précisément aux articles 1213 et 1214 du Code civil 123. Lorsque le juge est appelé à fixer la contribution, il peut prévoir le versement d'une pension alimentaire, qui peut être modifiée en cas de circonstances nouvelles 124.

§ 2. Les effets de l'obligation

Division ◊ Ils peuvent se manifester, soit en cas d'exécution, soit en cas d'inexécution de l'obligation. On envisagera successivement les modes d'exécution et les sanctions de l'inexécution.

A. Modes d'exécution

Diversité ◊ A la diversité de situation des ménages correspond la diversité des modes d'exécution de l'obligation pesant sur les époux. L'évolution législative qui, tout à la fois, traduit et encourage l'évolution des mœurs dans le sens de l'égalité entre les époux, porte à s'inspirer ici, non sans quelque liberté, de notions familières au droit des sociétés et à faire état de trois modes de contribution : apports en nature, apports en numéraire, apports en industrie.

Qu'il s'agisse de l'un ou l'autre époux la contribution peut résulter d'« apports en dot ou en communauté », disons d'apports en nature, lesquels peuvent être effectués tant que dure le mariage. Une même remarque peut être formulée au sujet du mode de contribution le plus fréquent, qui a lieu en numéraire, chaque époux prélevant sur les ressources dont il a la libre disposition les fonds nécessaires à la contribution aux charges du mariage. Et tout naturellement, l'on tient compte aussi, le fait s'accordant avec le droit, des « facultés respectives » des époux. Dès lors que les versements faits par un époux correspondent à son obligation de contribuer aux charges du mariage, il ne peut ensuite, faute d'appauvrissement, réclamer une indemnité pour enrichissement sans cause 125.

Il est enfin tout naturel que la contribution soit assurée sous la forme de ce qu'on peut être tenté d'appeler un apport en industrie. C'était ce qui avait été expressément prévu au sujet de la femme mariée à l'article 214, alinéa 3, tel qu'il résultait de la loi du 13 juillet 1965. L'abrogation de cette disposition, de facture inégalitaire, n'exclut pas la prise en compte de l'activité au foyer de la femme mariée. Il s'agit là de sa part d'une contribution évidente aux charges du mariage. Mais, dans une perspective vraiment bilatéralisée, il y a lieu aussi de tenir compte, spécialement mais pas uniquement en temps de chômage, de l'activité de l'homme au foyer. Et il en va de même de cette forme de contribution que constitue, le cas échéant, la collaboration d'un des époux à la profession de l'autre 126.

Il arrive que la contribution de l'un des époux dépasse le montant normalement dû par référence aux charges du mariage 127. Alors, dans la mesure même de ce dépassement, il est notamment admis que l'activité de la femme dans la direction du foyer peut constituer la cause des versements faits par le mari au nom de son conjoint à l'occasion d'achats de biens faits indivisément par les époux, voire d'une acquisition faite par son conjoint 128. Les juges du fond apprécient souverainement l'existence du dépassement 129.

La jurisprudence a aussi admis qu'une femme mariée pouvait obtenir une indemnité fondée sur l'enrichissement sans cause dans la mesure où son activité, dépassant son obligation de contribuer aux charges du mariage, réalise à la fois un appauvrissement résultant pour elle du travail fourni sans rémunération et un enrichissement corrélatif pouvant résulter tant de l'absence même de rémunération que de la plus-value procurée à un bien du mari 130. De tels problèmes apparaissent généralement à propos d'époux séparés de biens 131.

B. Sanctions de l'inexécution

Diversité ◊ Bien que l'obligation de contribution aux charges soit distincte du devoir de secours, elle comporte des sanctions semblables.

Outre le fait qu'un manquement persistant à cette obligation constitue une faute propre à fonder une demande en divorce ou en séparation de corps, il faut observer que l'époux défaillant s'expose à diverses sanctions, de nature patrimoniale.

L'article 214, alinéa 2, dispose que : « Si l'un des époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l'autre dans les formes prévues au Code de procédure civile ». Or, aux termes de l'article 1069-3 du nouveau Code de procédure civile, « l'autre époux peut demander au juge aux affaires familiales de fixer la contribution de son conjoint ».

« La demande est formée par déclaration écrite ou verbale enregistrée au secrétariat-greffe de la juridiction ou par lettre simple. Elle mentionne l'adresse ou la dernière adresse connue du défendeur » (art. 1069-4, al. 1er, nouv. C. pr. civ.). « Le greffier convoque les époux par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La convocation mentionne l'objet de la demande et précise que les époux doivent, sauf empêchement grave, se présenter en personne » (al. 2). « Le jugement est, de droit, exécutoire à titre provisoire. La notification faite à la diligence d'un huissier de justice, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au conjoint débiteur et à l'un des tiers mentionnés à l'article 1er de la loi no 73-5 du 2 janvier 1973 vaut, en ce cas, demande de paiement direct » (art. 1069-5) 132. « La fixation de la contribution peut faire l'objet d'une nouvelle instance à la demande de l'un des époux, en cas de changement dans la situation de l'un ou de l'autre » (art. 1069-6). Les juges du fond apprécient souverainement le jour à compter duquel un changement est intervenu dans les facultés respectives des parties 133.

L'époux qui a obtenu un jugement fixant la contribution de son conjoint, est en droit, s'il ne s'exécute pas, de le faire condamner pénalement pour abandon de famille (C. pén., art. 227-3).

De l'article 314-9 du Code pénal, il résulte que les sanctions attachées au délit d'organisation ou d'aggravation de l'insolvabilité sont applicables, par assimilation aux condamnations au paiement d'aliments, aux décisions portant obligation de verser des contributions aux charges du mariage.

On observera enfin qu'en cas d'inexécution de l'obligation de contribuer aux charges du mariage, il n'est aucunement exclu que l'on ait recours aux mesures de crise dont il sera plus loin question.

Section 2. LA PROTECTION DU LOGEMENT FAMILIAL

Sa protection spécifique ◊ Parmi les notions dont l'évolution contemporaine du droit de la famille a favorisé l'éclosion – entreprise familiale, exploitation familiale, société de famille… – le logement de la famille occupe une place de choix 134. Son importance se manifeste notamment dans le droit des successions et dans celui des contrats. Ailleurs, on la constate aussi, spécialement dans le droit de la famille et des régimes matrimoniaux, ce qui s'accompagne d'ailleurs d'une certaine fantaisie dans le choix des expressions, notamment dans le droit du divorce (ex. « logement du ménage », C. civ., art. 255, 4 ; « local servant de logement à la famille », art. 285-1 ; rappr. sur le « logement conjugal », art. 220-1, al. 3).

Rien d'étonnant à cela. S'il repose normalement sur un support de caractère patrimonial, il n'est pas non plus sans représenter une valeur extrapatrimoniale qui fonde, dans l'intérêt du ménage et des enfants, la nécessité d'une protection particulière. S'il existe un droit au logement 135, les mesures qui assurent cette protection peuvent en favoriser la consécration. Toujours est-il qu'au titre du régime matrimonial primaire, l'article 215, alinéa 3, est le signe d'une protection spécifique.

Présentation de l'article 215, alinéa 3, du Code civil ◊ La lecture de l'article 215 illustre tout particulièrement l'étroite corrélation existant entre les effets personnels et les effets patrimoniaux du mariage. Au titre des effets personnels et aux termes de l'article 215, alinéa 1er, « les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie ». Pratiquement, cette communauté de vie ne suscite généralement pas de question, à l'orée du mariage, lors du choix de la première résidence de la famille par les époux. La loi précise pourtant, à l'alinéa 2 de l'article 215, que « la résidence de la famille est au lieu qu'ils choisissent d'un commun accord ». Autant dire encore, pratiquement, que « le changement de résidence familiale exige l'accord des époux » 136.

Sur le terrain des effets patrimoniaux et non plus personnels, l'article 215, alinéa 3, se trouve dans le prolongement naturel de l'exigence de ce commun accord des époux : « Les époux ne peuvent l'un sans l'autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. Celui des deux qui n'a pas donné son consentement à l'acte peut en demander l'annulation : l'action en nullité lui est ouverte dans l'année à partir du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d'un an après que le régime matrimonial s'est dissous » 137.

On envisagera successivement le domaine (§ 1) et la sanction (§ 2) de la règle.

§ 1. Le domaine de la règle

A. Quant aux biens protégés

Le logement familial ◊ La nécessité du consentement des deux époux concerne les actes de disposition portant sur les droits par lesquels est assuré le logement de la famille ou sur les meubles meublants dont il est garni.

1o Les droits par lesquels est assuré le logement de la famille ◊ Les droits visés peuvent être soit réels, soit personnels.

Il peut s'agir du droit de propriété, voire de quelque autre droit réel. Peu importe le régime matrimonial, peu importe qu'il s'agisse d'un bien propre à l'un des époux, que ceux-ci soient séparés de biens ou communs en biens. L'article 215, alinéa 3, prévaut alors sur l'article 225 (v. infra, no 126).

Dans d'autres cas, le logement de la famille est assuré par un droit personnel, tel que le droit au bail, le droit au maintien dans les lieux, le droit donnant vocation à la jouissance ou à l'attribution d'un appartement... 138. Il en va de même du contrat d'assurance garantissant le logement familial 139, ce qui, sur le chemin de la cogestion, oblige les assureurs à bien se renseigner.

Lorsqu'il s'agit d'un droit au bail, la coexistence de l'article 215, alinéa 3, et de l'article 1751 du Code civil peut intriguer l'interprète. Issu d'une loi du 4 août 1962, ce dernier article dispose dans son alinéa 1er que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l'habitation de deux époux est, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire, et même si le bail a été conclu avant le mariage, réputé appartenir à l'un et à l'autre des époux » (v. infra, no 338). De cette cotitularité découle la subordination à l'accord des deux époux de l'acte par lequel il est disposé de ce droit au bail 140. Or l'article 215, alinéa 3, aboutit à la même conséquence. Bien que le domaine d'application de l'article 1751 soit différent de celui prévu à l'article 215, alinéa 3 141, cela ne saurait fonder, compte tenu des intentions des auteurs de ce texte, une exclusion de son application. La cotitularité du bail découlant de l'article 1751 du Code civil persiste malgré l'attribution de la jouissance du domicile conjugal à l'un des époux au cours d'une instance en divorce 142.

2o Le logement assuré par ces droits ◊ Si large que puisse être l'interprétation de l'article 215, alinéa 3, il existe pourtant certaines limites.

Ainsi l'article 215, alinéa 3, ne s'applique pas au logement de fonction dans la mesure où le logement mis par une société à la disposition d'un salarié et occupé à ce titre par lui et par sa famille peut être repris par la société à compter de la cessation des fonctions du salarié 143.

L'on se demande en outre si, applicable à la résidence et non au domicile 144, l'article 215, alinéa 3, le reste s'il s'agit non de la résidence principale, mais de la résidence secondaire. Compte tenu de l'importance des résidences secondaires dans un pays où l'on se dit volontiers amoureux de la nature tout en la recouvrant sans cesse de maisons, l'intérêt de la question est loin d'être négligeable. Cette résidence n'« assurant » pas le logement de la famille, la Cour de cassation a décidé qu'elle ne relevait pas de l'application de l'article 215, alinéa 3 145.

3o Les meubles meublants dont le logement est garni ◊ Il y a lieu de se référer simplement ici à la définition des meubles meublants figurant à l'article 534 du Code civil, sans avoir à distinguer selon que ces meubles, servent à l'usage et à l'habitation ou n'ont qu'une vertu d'ornement 146. La règle étudiée prévaut sur l'autonomie mobilière découlant de l'article 222 du Code civil, ce que cet article précise expressément dans son alinéa 2 (infra, no 102). D'ailleurs, la cohabitation habituelle des époux rendrait vicieuse la possession que voudrait éventuellement invoquer un tiers en se prévalant de l'article 2279, alinéa 1er, du Code civil.

B. Quant aux actes soumis à l'exigence du consentement des deux époux

1o Des actes de disposition ◊ Ce qui est interdit à chaque époux, c'est l'acte de disposition accompli sans le consentement de l'autre y compris un acte de résiliation d'un contrat d'assurance (v. supra, no 64). De cette référence, il résulte que le consentement du conjoint est exigé en cas de vente 147 ou de promesse de vente 148, d'échange ou de donation 149. Par fidélité à l'esprit qui inspire le texte, il a cependant été décidé que la vente du logement par l'époux propriétaire, avec réserve d'usufruit au profit du conjoint survivant, n'était pas subordonnée au consentement du conjoint, la persistance du droit d'usage permettant de considérer que l'exigence légale est respectée 150. À l'inverse, la constitution d'un usufruit, d'un droit d'usage et d'habitation, d'un bail ou de parts d'une société civile immobilière permettant l'occupation d'un bien apporté en société, relève de l'article 215, alinéa 3, du Code civil 151. Que faut-il décider au sujet du partage ? S'il n'est pas douteux qu'un créancier d'un des époux peut agir en licitation et partage d'un immeuble indivis entre époux, même servant au logement de la famille 152, il a aussi été jugé que cet article ne privait pas chaque époux du droit de demander, sans le consentement de son conjoint, et en application de l'article 815 du Code civil, le partage de biens indivis assurant le logement de la famille 153. Pourtant le partage semble bien en pareil cas un acte de disposition ; et celui-ci peut aboutir à priver de support le logement de la famille, de sorte que des garanties particulières seraient nécessaires, par exemple « par insertion au cahier des charges de l'obligation pour l'adjudicataire de respecter le droit d'usage et d'habitation de l'autre époux » 154.

Sont aussi subordonnés au consentement du conjoint ces actes de disposition que sont les constitutions conventionnelles d'hypothèques portant sur les biens assurant le logement de la famille, par application combinée des articles 215, alinéa 3, et 2413 du Code civil 155. En revanche, n'étant que l'exercice d'une prérogative légale accordée au titulaire d'une créance, même chirographaire, l'inscription d'hypothèque judiciaire n'est pas un acte de disposition au sens de l'article 215, alinéa 3 156. Dans l'hypothèse d'un cautionnement consenti par un époux, les dispositions de l'article 215, alinéa 3, doivent, sauf en cas de fraude, être considérées comme inopposables aux créanciers 157.

L'article 215, alinéa 3, ne distinguant pas, on aurait pu penser qu'il visait aussi bien les actes de disposition à cause de mort que les actes de disposition entre vifs. La Cour de cassation ne l'a pas pensé. Elle a en effet décidé que la disposition de l'article 215, « qui protège le logement de la famille pendant le mariage, ne porte pas atteinte au droit qu'a chaque conjoint de disposer de ses biens à cause de mort » 158. Cet arrêt a été sévèrement critiqué, notamment parce qu'il distinguait là où la loi ne distingue pas, parce qu'il prive le conjoint de la protection à un moment où précisément elle est particulièrement nécessaire et parce que c'est seulement à la dissolution du mariage que chaque époux – ou ses héritiers – retrouve la pleine disposition de ses biens 159.

À quoi d'aucuns seront tentés d'objecter qu'il arrive à l'interprète de distinguer là où la loi ne distingue pas, que d'ailleurs en exigeant le consentement des deux époux, la loi vise implicitement les actes pouvant être faits à deux, ce qui n'est pas le cas du testament, qu'au surplus la solution contraire est de nature à entraîner de graves perturbations dans le droit des successions 160, ce qui ne saurait être sagement réalisé par une loi relative aux régimes matrimoniaux 161.

2o Indisponibilité relative, non pas insaisissabilité ◊ L'un des conjoints ne peut, sans le consentement de l'autre, consentir sur les biens en cause une hypothèque conventionnelle, un cautionnement réel ou un gage. Mais il n'est pas exclu qu'il se rende débiteur, par exemple en prenant un engagement de caution personnelle. La jurisprudence a estimé que sous réserve des cas de fraude 162, les créanciers de cet époux pouvaient saisir les biens couverts par l'article 215, alinéa 3, même si la dette n'avait pas été contractée avec le consentement du conjoint 163. On observera, dans cet ordre d'idées, que le droit de la « faillite » l'emporte assez naturellement sur le droit des régimes matrimoniaux 164.

Le fait est que s'engager par ses dettes n'est pas la même chose que disposer de ses biens et qu'il y a des différences essentielles entre l'insaisissabilité et l'indisponibilité : des biens indisponibles ne sont pas pour cela insaisissables (v. infra, no 497, au sujet de l'article 1424 du Code civil).

D'ailleurs, pour assurer une protection accrue du logement familial, les rédacteurs du projet de réforme des régimes matrimoniaux de 1978 tendaient à rendre le logement de la famille insaisissable par certains créanciers des époux. L'insaisissabilité ainsi prévue était limitée aux seuls engagements contractés dans l'exercice d'une profession séparée, ainsi qu'aux obligations résultant d'amendes pénales et de condamnations à des dommages et intérêts. Diverses propositions de loi émanées d'un groupe parlementaire avaient eu aussi pour objectif de rendre le logement de la famille insaisissable par tout créancier non garanti par une sûreté réelle. Ce qui a expliqué leur échec, c'est essentiellement le désir de protéger le crédit du ménage. C'est le sort habituel des excès de protection : ils se retournent contre leurs bénéficiaires. Pour de très nombreuses familles, en effet, la maison ou l'appartement constituant le logement de la famille représente la seule fortune, donc le seul gage d'éventuels créanciers.