L’histoire de l’abolition de la peine de mort est celle d’une victoire de l’homme sur lui-même. Face au crime sanglant, l’instinct de mort se lève en l’être humain. La loi du talion est la réponse primitive de l’homme au scandale du crime. S’y ajoute le rite du sacrifice humain pour apaiser la divinité, par la mise à mort du sacrilège. Le christianisme a choisi comme symbole le supplice du fils de Dieu exécuté sur la croix. Et pourtant au nom du Christ, que d’innocents ont été massacrés par des hommes qui se voulaient porteurs de son message. Bien d’autres religions, y compris monothéistes ont pratiqué ce blasphème sanglant, au nom d’une loi réputée divine : faire mettre à mort ceux qu’elles déclaraient hérétiques ou blasphémateurs.
Le pouvoir temporel, sous ses incarnations multiples, n’a pas agi différemment. L’histoire des sociétés politiques est celle d’une longue terreur. Elle a inscrit en lettres de sang sur le mur de la Cité, le pouvoir du maître. Nobles, sujets ou esclaves, leur existence appartenait en définitive au souverain, puisque à l’instant ultime, lui seul décidait par l’exercice du droit de grâce, de la vie ou la mort du condamné. La dimension politique de la peine de mort, elle se lit dans l’exercice du droit de grâce, de l’« imperium principis ».
Le grand duc de Toscane fut le premier en Europe à supprimer la peine de mort en 1786. Cette concomitance entre la première abolition et la philosophie des Lumières n’a rien de fortuit. Il aura fallu que l’homme soit proclamé titulaire de droits naturels qu’aucun pouvoir ne saurait lui retirer pour que s’accomplisse cette utopie : une société dont la Loi interdit d’éliminer celui qui a méconnu ses commandements ; une société qui reconnaît que son pouvoir s’arrête à ce seuil infranchissable : le droit absolu de tout être humain au respect de sa vie. L’assassin méconnaît ce droit. Mais pourquoi une société d’hommes libres ferait-elle sienne la pratique du criminel ?
L’abolition de la peine de mort trouve ainsi son fondement dans les droits de l’homme, dont le premier est le droit à la vie. L’histoire de l’abolition en témoigne. Philosophes et théologiens ont toujours débattu de la justice, qu’elle s’inscrive dans la cité de Dieu ou la société des hommes. À Cesare Beccaria qui se voulait disciple des encyclopédistes revient la gloire d’avoir le premier en 1764, énoncé cette proposition d’une audace intellectuelle inouïe : « La peine de mort n’est ni utile ni nécessaire ». On comprend l’enthousiasme de Voltaire à la lecture du Traité des délits et des peines, « qui est en morale ce que sont en médecine le peu de remèdes dont nos maux pourraient être soulagés ».
Grâce à Beccaria, la question de la peine de mort est désormais posée, non plus en termes religieux mais en termes politiques. Que les droits de l’homme soient proclamés comme fondement de toute société de liberté et la revendication de l’abolition se fera jour dans le débat politique. L’histoire de l’abolition, ses avancées dans le monde sont ainsi liées au progrès de la liberté. Car l’État totalitaire ne renonce pas au pouvoir de mettre à mort le sujet. Disposer de la vie des hommes est la marque par excellence que le maître de l’État décide du destin de chacun. Pas de dictature qui ne s’appuie sur le bourreau. En revanche, longue et difficile est la voie qui mène les peuples à l’abolition. Il leur faut d’abord franchir le portique de la liberté, proclamer les droits de l’homme et vaincre la pulsion de peur et de mort pour parvenir à l’abolition, non sans difficulté ni résistance de l’opinion publique.
L’histoire politique en France témoigne de ce lien entre reconnaissance des droits de l’homme et exigence de l’abolition de la peine de mort. De la publication « Des délits et des peines » de Beccaria en 1764 jusqu’à la Révolution, le débat est demeuré philosophique – Mably en 1776 puis Voltaire avaient repris l’analyse de Beccaria sur l’inutilité de la peine de mort. Il fallut la proclamation de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen en août 1789 pour que la question de l’abolition se pose au législateur. Lorsque survint la discussion de la réforme de la justice, unanimement réclamée par les cahiers de doléances, l’abolition fut pour la première fois dans l’histoire l’objet d’un débat parlementaire passionné.
– Du côté des abolitionnistes, Duport, Mirabeau, Robespierre, qui comptaient parmi les « patriotes », partisans de la Révolution, soutinrent la cause de l’abolition. Le rapporteur du projet de Code Pénal, Le Pelletier St Fargeau, ancien Président à mortier du Parlement de Paris, disciple de Beccaria proposa de remplacer la peine de mort par la détention à vie du condamné dans un cachot, au régime du pain et de l’eau. Les partisans de la peine de mort parmi lesquels Tronchet l’emportèrent. Elle fut maintenue et la guillotine adoptée comme instrument de l’exécution. L’Assemblée nationale se borna à décréter que la peine de mort ne sera plus que la simple privation de la vie.
La Convention, qui avait voté la mort du Roi, les lois de la Terreur, celles de la réaction thermidorienne, et vu tant de ses membres guillotinés, à son ultime séance décida dans un sursaut d’humanité d’abolir la peine de mort « à dater du jour de la publication de la paix générale, la peine de mort sera abolie dans la République française ». Alors que le Traité de paix d’Amiens était en négociation, Bonaparte fit voter par les Assemblées, le 29 décembre 1801, un décret maintenant la peine de mort « jusqu’à ce qu’il en ait été autrement décidé ». Le 4 août 1802, un Sénatus-consulte rétablit au profit du Premier Consul le droit de grâce, supprimé par la Convention.
Le Code Pénal de 1810 rétablit même à l’encontre des régicides et des parricides la mutilation du poing avant l’exécution. Cette mutilation ne devait disparaître du Code Pénal qu’en 1832.
Les épisodes sanglants de la Révolution, la succession rapide des régimes, les complots toujours renouvelés amenèrent les publicistes libéraux à s’interroger sur le bien-fondé de la peine de mort en matière politique alors que s’établissaient avec la Restauration les premières formes du régime parlementaire. Dès 1822, Guizot proposait sa suppression. Le débat connut toute son acuité après la Révolution de juillet 1830, lors de la mise en accusation de Polignac et des ministres devant la Chambre des Pairs. Le verdict épargnant leur vie prévint toute modification législative.
La Révolution de 1848 à l’initiative de Lamartine proclama l’abolition en matière politique. Elle fut inscrite dans la Constitution de la Seconde République. L’Assemblée nationale refusa néanmoins l’abolition générale proposée par Victor Hugo.
– Après le coup d’État du 2 décembre 1851, et l’établissement du Second Empire, l’abolition, en matière politique disparut. Mais l’abolition commença sa marche en Europe, au Portugal en 1867, suivi par la Hollande en 1870, par la Norvège en 1905. En France, après la présidence de Fallières qui gracia systématiquement en 1906-1907 tous les condamnés à mort, après l’Affaire Dreyfus et les campagnes de la Ligue des droits de l’homme, le temps de l’abolition semblait venu. Aristide Briand, Garde des Sceaux, présenta en 1908 un projet de loi aux députés. Le projet, soutenu notamment par Jaurès, combattu par Maurice Barrès, fut repoussé après de longs débats à la Chambre en décembre 1908. Il faudra attendre 73 ans, subir les épreuves de deux guerres mondiales, de l’Occupation, de la décolonisation pour qu’enfin en septembre 1981, en dépit d’une opinion publique largement hostile à la mesure, grâce à la volonté politique de François Mitterrand, après d’ardents débats, le Parlement vote la loi d’abolition, présentée par le signataire de ces lignes, qui fut promulguée le 10 octobre 1981. Le 31 décembre 1985, pour rendre irréversible l’abolition, l’Assemblée nationale vota la loi autorisant la ratification du 6e Protocole à la Convention européenne de sauvegarde des droits et libertés fondamentales, interdisant aux États adhérents de recourir à la peine de mort au moins en temps de paix. Les traités internationaux ayant force juridique supérieure à la loi interne, l’abolition devenait en fait irréversible, sauf au Président de la République à dénoncer le Protocole. Ce qui pour un Président français, représentant un État qui se veut la patrie des droits de l’homme s’avère politiquement impossible. Enfin l’inscription dans la Constitution de l’interdiction de la peine de mort votée à l’initiative du Président Chirac par le Parlement réuni en Congrès à une quasi-unanimité, le 23 février 2007 marque la reconnaissance de l’abolition comme une valeur fondamentale de la République française. L’opinion publique est désormais acquise en majorité à l’interdiction de la peine de mort. Le vœu de Victor Hugo en 1848 « l’abolition pure, simple et définitive » est accompli et la victoire de l’abolition en France complète.
Dans le monde, les progrès de l’abolition ont été également considérables depuis 25 ans.
En 1981, la France était le 35e État à abolir la peine de mort. Aujourd’hui, sur les 198 États membres à l’Organisation des Nations unies, 129 sont abolitionnistes en droit ou en fait.
– En Europe, le constat est saisissant. Le continent européen est aujourd’hui quasi totalement libéré de la peine capitale. Sur les 47 États européens, un seul, la Biélorussie au régime totalitaire pratique encore la peine de mort. Quand on sait combien l’histoire européenne a été chargée de crimes atroces, notamment au cours du XXe siècle, la victoire remportée par l’abolition revêt toute sa portée morale. Elle prend une dimension politique d’autant plus forte qu’au-delà des législations nationales, l’interdiction de recourir à la peine de mort a fait l’objet de diverses conventions internationales, qui interdisent aux États européens qui l’ont ratifié le rétablissement de la peine de mort.
Il en va d’abord ainsi au sein du Conseil de l’Europe, foyer des libertés sur le continent européen. Sans doute, la Convention européenne de sauvegarde des droits et libertés fondamentales de 1950, élaborée en pleine guerre froide, à une époque où l’abolition de la peine de mort était encore très minoritaire dans le monde, ne proclame pas le principe de l’abolition. L’article 2 qui affirme : « le droit de toute personne à la vie » se borne à encadrer le recours à la peine de mort dans les garanties procédurales du procès équitable prévu dans les articles 6 à 8 de la Convention, en précisant dans l’article 2 : « la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en cas d’exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ». Cependant au long des décennies, cette exception au droit fondamental au respect de la vie n’a cessé au sein du Conseil de l’Europe d’être constamment réduite par les protocoles additionnels à la Convention de sauvegarde et par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
– Le premier instrument, décisif pour la création d’un espace européen libéré de la peine de mort, est le Protocole no 6 additionnel à la Convention européenne signé le 28 avril 1983. Il énonce à l’article 1er : « la peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté ». Certes ce texte réserve la possibilité pour un État de prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger de guerre. Cependant, sur un continent européen voué à la paix, le Protocole no 13 à la Convention de sauvegarde conclu à Vilnius le 3 mai 2002 et entré en vigueur le 1er juillet 2003 fait de l’abolition un principe absolu qui ne souffre ni dérogation ni réserve, même pour le temps de guerre. 37 États ont signé le Protocole no 13, 7 ne l’ont pas encore ratifié. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, a proposé, pour marquer le progrès décisif intervenu que, le Protocole additionnel no 13 devienne un Protocole d’« amendement » à l’article 2 lorsque l’ensemble des États membres l’aura ratifié.
– De son côté, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu deux décisions essentielles contre la peine de mort. Dans l’arrêt Soering du 7 juillet 1989, en présence d’une demande d’extradition d’une personne susceptible d’encourir la peine de mort dans l’État requérant, en l’espèce les États-Unis, la Cour a jugé que les « circonstances entourant une sentence capitale » (notamment la détention dans un « quartier de la mort » pendant des années, voire des décennies) pouvaient conduire à un traitement inhumain et dégradant prohibé par l’article 3 de la Convention. Surtout, par l’arrêt Ocalan du 12 mars 2003 la Cour européenne a franchi un pas décisif. Depuis l’affaire Soering, le continent européen est passé d’une abolition de fait dans 22 États contractants à une abolition « de jure » dans 43 des 44 États parties à la Convention. Ainsi, « les territoires relevant de la juridiction des États membres du Conseil de l’Europe forment à présent une zone exempte de la peine de mort ». La Cour se prévaut d’une interprétation évolutive de la Convention pour reconnaître, « eu égard à la convergence de tous ces éléments un accord des États contractants pour abroger*, ou du moins modifier » l’article 2, paragraphe 1, de la Convention. Elle conclut que
« la peine de mort en temps de paix en est venue à être considérée comme une forme de sanction inacceptable, voire inhumaine, qui n’est plus autorisée par l’article 2 ».
Par cette décision, la Cour européenne a déclaré la peine de mort désormais contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Elle confirme que toute extradition d’un État membre du Conseil de l’Europe d’une personne qui encourt la peine capitale vers un État qui la pratique encore est interdite. L’Europe est désormais un continent purgé de la peine de mort.
Au sein de l’Union européenne, l’interdiction de la peine de mort a valeur de principe. L’abolition est une condition de l’adhésion pour tout État candidat à l’entrée dans l’Union européenne. La Charte des droits fondamentaux, adoptée lors du Conseil européen de Nice de décembre 2000 proclame en son article 2 : « Toute personne a droit à la vie. Nul ne peut être condamné à mort ni exécuté ». L’Union européenne apparaît comme le plus ardent champion de l’abolition dans le monde. Le Parlement européen a notamment lancé en juin 2001, conjointement avec le Conseil de l’Europe, « l’appel de Strasbourg » demandant aux États qui recourent encore à la peine de mort un moratoire des exécutions et l’abolition de la peine capitale dans leur législation.
Les progrès de l’abolition liés à ceux des droits de l’homme dans le monde s’inscrivent au-delà de l’Europe dans des conventions internationales. En Amérique latine où la quasi-totalité des États sont abolitionnistes, la Convention américaine relative aux droits de l’homme du 22 novembre 1969 stipule en son article IV que « la peine de mort ne sera pas rétablie dans les États qui l’ont aboli ». Un Protocole à la Convention adopté en 1990 prévoit l’abolition totale de la peine de mort, sous réserve du temps de guerre à condition que les États parties aient formulé une demande en ce sens au moment de la ratification ou de l’adhésion.
Plus importantes encore sont les conventions internationales de portée universelle.
La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 proclame : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». Mais les temps n’étaient pas mûrs pour une condamnation universelle de la peine de mort. Tout au plus, la Convention de Genève de 1949, relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, a interdit le recours à la peine de mort contre les mineurs de 18 ans.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966 présente une portée plus large. Son article 6 rappelle le droit de toute personne à la vie. Le recours à la peine de mort est limité aux « crimes les plus graves, conformément à la législation en vigueur au moment où le crime a été commis ». La peine de mort ne peut être imposée aux mineurs de 18 ans ni exécutée contre les femmes enceintes. Tout condamné à mort a le droit de solliciter la grâce ou la commutation de peine et ces mesures doivent lui être accordées dans tous les cas. Enfin, le dernier alinéa de l’article 6 incite les parties implicitement à progresser dans la voie de l’abolition : « Aucune disposition du présent article ne peut être invoquée pour retarder ou empêcher l’abolition de la peine capitale par un État partie au présent Pacte ».
Depuis lors, le 2e Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté le 15 décembre 1989 stipule qu’« aucune personne ne sera exécutée » et oblige tout État partie à abolir la peine de mort. Il n’est permis de déroger à cette règle que pour les crimes de caractère militaire d’une gravité extrême et commis en temps de guerre. En outre, cette faculté doit être fondée sur la législation en vigueur à la date de la ratification et avoir fait l’objet d’une réserve formulée lors de celle-ci.
Le Protocole a été ratifié à ce jour par 60 États. Pour permettre sa ratification par la France en fonction de la décision du Conseil constitutionnel du 13 octobre 2005, il a été procédé à la révision constitutionnelle du 23 février 2007.
Par ailleurs la portée du Pacte a été renforcée par l’adoption le 20 novembre 1989 de la Convention des droits de l’enfant qui prévoit l’interdiction pour tout État de prononcer « la peine capitale et l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de 18 ans » (article 37). À ce jour, 192 pays, à l’exception notable des États-Unis, ont ratifié cette Convention.
Tous ces instruments internationaux tendent vers le même objectif : l’abolition universelle de la peine de mort.
Au sein des Nations unies, l’Assemblée générale par diverses résolutions a incité la communauté internationale à réaliser cet objectif. Ainsi le 2e Protocole facultatif au Pacte international de 1989 élaboré sur le fondement de la décision de l’Assemblée générale des Nations unies, no 35/437 en date du 15 décembre 1980.
De ce progrès constant de l’abolition de la peine de mort, devenu une référence du système juridique international témoigne particulièrement le fait que les juridictions internationales créées par les Nations unies pour juger des principaux responsables des crimes contre l’humanité commis dans l’ex-Yougoslavie ou au Rwanda, en 1999 ne peuvent prononcer la peine capitale. Il en va de même pour le Tribunal ad hoc créé pour juger les crimes commis au Cambodge par les Khmers rouges.
Plus importante encore est l’exclusion de la peine de mort par le Traité de Rome du 18 juillet 1998 créant la Cour pénale internationale. Le refus de la peine de mort revêt une dimension particulière dans ce cas, puisqu’il s’agit d’une juridiction internationale permanente chargée de poursuivre et de juger les principaux responsables des pires forfaits : crimes contre l’humanité, génocides, massacres, viols collectifs, purifications ethniques, etc. Le Traité de Rome a retenu comme peine maximale l’emprisonnement à perpétuité « si l’extrême gravité et la participation personnelle du condamné le justifient ».